Depuis que je suis haute comme trois pommes, je voue une méfiance sans borne aux coiffeurs.
Allez savoir pourquoi…
Dès mon plus jeune âge, j’ai estimé que le mieux, pour moi, était d’éviter les gens armés. De ciseaux, surtout. Et de laisser pousser mes cheveux.
Ce qui, au passage, cache un peu les détails qui me contrarient.
Lorsque ma mère tentait de m’entraîner chez les maniaques du ciseau, alors que j’avais à peine 4 ou 5 ans, j’exprimais déjà copieusement ma désapprobation.
Plus tard, dans mon école catholique où se côtoyaient environ 700 demoiselles, les cheveux courts, les nattes et les couettes étaient de rigueur.
Tout le monde se pliait à la règle, sauf moi.
Pas question de nouer ma crinière.
Cela m’a valu des heures et des heures de colle, que j’occupais agréablement en recopiant des textes de philo.
Un régal là où mes professeurs voyaient une punition sévère destinée à mater cette chevelue récalcitrante…
Durant une bonne dizaine d’années, dès mon arrivée en Suisse, j’ai laissé flotter mes cheveux au gré de leur envie.
Et ils étaient longs. Très longs, même.
J’avais très exactement la même coiffure que ma chienne Bearded Collie, ce qui nous convenait parfaitement à toutes les deux.
Lorsque je me suis remariée, en 1994, sous la pression de mon entourage féminin j’ai estimé que je devais faire un effort.
J’avais eu quelques soucis de santé qui avaient mis mes cheveux à mal. Il fallait agir, mais délicatement!
Je me suis donc rendue courageusement mais la mort dans l’âme chez un coiffeur local portant le pompeux prénom d’Alexandre, et je lui ai expliqué mon cas.
Je lui ai dit que je serais très mal s’il devait couper, et que je n’autorisais qu’une « égalisation » de deux centimètres.
Ce voyou a opiné du bonnet, a empoigné ses ciseaux et… j’ai vu tomber autour de moi des mèches d’au moins trente centimètres.
Choquée, déprimée, j’ai risqué un regard au miroir..
Et j’ai ressemblé à un croisement entre un caniche et un poireau pendant des mois.
Dès que j’ai atteint l’âge de 35 ans, certaines de mes amies m’ont dit: « Bon, maintenant, tu dois les couper. Ce n’est plus la mode. A nos âges, on ne porte plus les cheveux longs. »
Ah bon?! Moi si.
Quant à la mode, je m’en soucie comme d’une guigne!
Ma tête, c’est moi qui l’assume, et ce n’est pas toujours facile, vu la lourde hérédité qui est la mienne, notamment au niveau de la charpente nasale, héritage de famille exclusivement féminin dont je me serais bien passée!
Plus question pour moi de remettre les pieds dans un salon: il fallait d’abord me remettre moralement de l’agression commise par le fameux Alexandre!
Plusieurs années après, j’ai repris un peu confiance en compagnie de Hadi, un adorable coiffeur iranien, qui respectait mon désir de laisser ma chevelure en paix.
L’âge aidant, il fallait cependant couvrir les fils blancs de plus en plus nombreux et qui, chez moi ont commencé à poindre dès que j’ai eu 22 ans.
Hadi a bien tenté de me convertir à la couleur « fashion ».
Il a essayé des nuances, des éclaircissements…
Mais peine perdue: je suis née avec les cheveux sombres, et je me sens mal en dehors de ma couleur d’origine.
A trois jours de mon changement de vie, il m’a fallu prendre un rendez-vous chez un coiffeur de ma région, histoire de me gommer dix ans à grands renforts de teinture.
Par manque de temps, je ne pouvais plus me rendre chez mon sauveteur habituel.
Je suis donc entrée dans un salon inconnu.
En me voyant arriver, la dame préposée à l’accueil a quitté sa cliente pour s’approcher de moi.
Je lui ai expliqué ce que je voulais (un nuage de noir dans la blancheur naissante, c’est pourtant simple!) et ai demandé un rendez-vous.
Mais la malédiction semble continuer à s’acharner sur moi.
D’un air gourmand, elle m’a regardée en me disant: « Une teinture…. oui…. Et on coupe? »
Non, on ne coupe pas!
Pour quoi faire?
Pour me faire entrer dans le moule actuel des femmes aux cheveux courts et me garantir des mois, voire des années de mal être?
Je crains, hélas, que ce n’est pas demain que les coiffeurs et moi nous comprendrons…
La différence entre les hommes et nous sur ce sujet?
Elle tient en une phrase entendue 1000 fois dans l’antre du délit, et prononcée exclusivement par des hommes:
« Vous coupez court, et vous dégagez bien derrière les oreilles! »
Horreur!!!!!
Je dois me rendre samedi à mon terrifiant rendez-vous.
Mais j’ai bien évolué depuis l’époque d’Alexandre.
La première paire de ciseaux qui m’approchera à moins de cinq mètres risque de terminer sa vie dans le plus formidable vol plané de l’histoire de la coiffure.
Martine Bernier