Eric Naulleau: « Le Jourde et Naulleau »
28 avril, 2010
Le temps semble long lorsque vous êtes à l’hôpital.
Il y a différentes façons de le meubler.
Lorsque je suis en ambulatoire, je ne prends pas mon ordinateur: je lis, histoire de ne pas penser.
Cette fois, j’avais emmené deux livres d’Eric Naulleau, le sbire de Laurent Ruquier, bien décidée à découvrir une autre facette de cet homme intriguant.
La journée ayant été ce qu’elle est, je n’ai eu le temps de n’en lire qu’un: « Le Jourde & Naulleau, Précis de Littérature du XXIe siècle », ou le petit livre noir du roman contemporain.
Je savais à quoi je m’attaquais: les responsables de ce pamphlet parlaient sérieusement d’une « entreprise de nuisance littéraire », et j’avais vu Naulleau se heurter sévèrement à Pierre Bergé qui n’a pas du tout aimé l’ouvrage en question.
En attendant l’intervention que je devais subir, je me suis donc plongée dans ce livre controversé.
Les deux auteurs ont épinglé une série d’écrivains, copiant sur le mode dérision le fameux « Lagarde et Michard », ce manuel scolaire présentant des textes choisis et des biographies d’auteurs.
Naulleau et Joude s’attaquent à ceux dont ils n’apprécient pas la plume ou la personnalité, commentent des extraits de textes, allant jusqu’à proposer des exercices pour mieux aborder les oeuvres.
Dès les premières pages, j’ai éclaté de rire, toute seule dans la chambre.
Le premier chapitre est consacré à Marc Lévy. En trois phrases, les complices ont posé le décor et le ton, farfelu et ironique:
« En 2038, il a vendu au total 895 millions d’ouvrages, traduits en 275 langues, dont 3 langues non terrestres. Cela fait de Marc Lévy le plus grand écrivain de la littérature française, des origines à nos jours. Ce phénomène planétaire, et même interplanétaire, prouve en effet l’excellence des romans de Marc Lévy. Il n’est pas imaginable que tant de millions de gens puissent avoir un goût déplorable. »
On ne peut pas dire qu’ils « fassent dans le populaire »…
Le livre tout entier fonctionne sur le monde percutant. De Christine Angot à Philippe Labro en passant par Philippe Sollers, Anna Gavalda, Bernard-Henry Lévy, Alexandre Jardin et bien d’autres, chacun a droit à une lapidation en règle.
C’est très dur et, j’imagine, souvent injuste.
Mais les extraits choisis et traités sans complaisance (c’est le moins que l’on puisse dire!) sont vraiment des passages difficilement défendables.
Les auteurs n’aiment pas le « gloubi-boulga » littéraire, le n’importe quoi, les prétentieux se gargarisant d’eux-mêmes au fil des pages, et ils le disent.
Je n’aime toujours pas la démarche qui consiste à détruire le travail d’autrui.
Mais l’esprit de Naulleau (et de Pierre Jude), est savoureux.
Ils agacent, ils heurtent, mais ils sont surtout redoutablement intelligents, savent manier la langue française avec brio, traquer le ridicule là où il se prélasse et le pointer avec une ironie irrésistible.
Cela ne fait pas oublier une mauvaise foi tout aussi redoutable.
Piquer des passages plus que faibles dans le travail d’un écrivain ne veut pas dire que son oeuvre entière est bonne à jeter.
Bref, je trouve toujours qu’Eric Naulleau devrait nuancer ses critiques, adoucir un peu les angles, respecter davantage ceux dont il parle.
Mais j’ai aimé son livre, comme j’aime son intelligence.
En remontant de la salle d’opération, mon premier geste a été de reprendre son bouquin qui m’avait manqué en salle de réveil.
Martine Bernier
« Le Jourde & Naulleau », Ed. Mango