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Jee, un destin de femme…

2 mai, 2010

Jee, notre Fleur d’Asie, a passé un morceau du week-end chez moi, avec mon fils, qui est son compagnon, et son petit garçon, Kim.
Lorsque j’ai vu combien elle était joyeuse de voir son fils jouer avec ce que j’avais acheté pour lui, je l’ai interrogée. Nous nous sommes rapprochées, et c’est ainsi que j’ai découvert un destin de femme bouleversant.

Jee est née en Thaïlande, dans une famille nombreuse, extrêmement modeste.
Elle a vécu dans des conditions très précaires, avec ses soeurs et sa maman. Le seul garçon de la fratrie est décédé en bas âge.
Je l’ai écoutée me parler de ce pays où les orchidées poussent comme des mauvaises herbes, où les habitants ont plus de générosité dans le coeur que la plupart des nantis. Ce pays où elle n’a pu poursuivre ses études par manque d’argent. Elle m’a parlé de sa vie quotidienne, de la souffrance endurée par sa mère tout au long de sa vie, de sa mort prématurée. L’une des soeurs de la jeune femme est elle aussi en fin de vie alors qu’elle est en pleine jeunesse.

Jee m’a expliqué n’avoir jamais eu le moindre jouet durant toute son enfance.
J’ai regardé mon fils, et je lui ai demandé d’aller chercher le deuxième coffre à jouets que j’ai gardé.
Il l’a apporté dans la pièce et je l’ai proposé à Jee.
Elle l’a ouvert et a découvert une multitude de poupées.
Jee va avoir 30 ans.
Mais la voir découvrir ces poupées avec un regard brillant, l’observer leur tresser les cheveux, les lisser, caresser leurs vêtements, m’a mis une boule dans la gorge.
Lorsque mon fils s’est absenté, je l’ai serrée dans mes bras et je lui ai dit qu’elle ne devait plus avoir peur.
Que désormais, nous serions là.

Je l’ai interrogée sur ses goûts, ses envies, ses rêves.

Lorsqu’ils sont partis, j’ai longuement pensé à elle.
Cette fine jeune femme aux longs cheveux noirs a du caractère, du courage. Elle élève remarquablement son fils et veut se battre pour se faire une place au soleil.
Elle est l’antithèse de ce que j’appelle la Blanche-Neige geignarde dont la philosophie n’est pas de travailler mais de se faire entretenir, ne sachant que manipuler celui qui lui permet de vivre sans rien faire, et  se faire passer pour une femme terriblement fragile et peu sûre d’elle, incapable de s’assumer. Tout est d’ailleurs fait pour lui faciliter la vie, pour que rien ne vienne troubler son petit quotidien hyperprotégé duquel elle trouve encore le moyen de se plaindre.
Blanche-Neige n’a jamais rien connu de dur, si ce n’est de perdre l’un de ses parents à l’âge adulte. Comme presque tout le monde à l’exception de ceux qui ont perdu leurs parents enfants ou ne les ont pas connus. Elle est donc dans la norme. Mais elle, elle ne peut pas le supporter, bien sûr. Elle est tellement plus précieuse et délicate que le commun des mortels… Tellement plus digne de compassion. Tellement inutile, aussi… Elle n’a pas d’amis, son caractère difficile la rend antipathique, son manque d’intelligence et sa façon d’avoir toujours raison provoquent des réactions agressives à son égard, mais qu’importe: c’est toujours la faute des autres. Ils sont si méchants avec elle… pauvre petite chose incomprise. Elle qui met tellement de soin à dissimuler à son mari ce dont elle est capable et dont il vaut mieux ne pas se vanter. Il préfère d’ailleurs ne pas savoir, se convaincre qu’elle est digne de confiance… C’est moins dérangeant.

Oui, cela me révolte.
Terriblement, même.
Parce que c’est profondément injuste.
Jee n’est pas née du bon côté de la planète. Elle fait partie de ces petites filles, de ces femmes qui auraient mérité que l’on prenne soin d’elles. La mer est bleue, là-bas… mais les femmes y ont souvent des vies difficiles.
Elle est en Europe depuis plusieurs années,  a mis toute son énergie à apprendre à parler français. Sa spontanéité, sa douce présence, sa gentillesse lui ont valu de belles amitiés qu’elle gardera, je pense. 
Elle sait qu’elle devra se battre pour décrocher un travail. Mais elle veut y arriver. Et elle y arrivera.
Sa vie a été très rude, mais elle s’accroche. Pour elle, pour son fils… et pour le mien qu’elle ne veut pas décevoir.

Martine Bernier