Archive pour le 5 août, 2010

Jour de riens

5 août, 2010

Quand le téléphone a sonné, j’étais absorbée dans la préparation d’une interview compliquée.

- Hello, toi! Que fais-tu, en ce moment?
- Là? Je trav….
- OK! On mange ensemble? Je viens te chercher! D’accord?
- Bonne idée!
- J’arrive, je pars maintenant.

Je connais Claude depuis des années.
Il me fait penser à mon complice Breton avec lequel je m’évade à  Paris.
Grand, élégant, pince-sans-rire.
Nous avons traversé pas mal de choses ensemble.
Quand l’un des deux ne va pas bien, l’autre garde un oeil sur lui, et est là pour l’aider.
Depuis que je suis en Suisse, c’est ce qu’il fait.
Il revient ponctuellement.

Au restaurant, au bord du lac, nous parlons de mille choses.
Il me demande sur quoi je travaille en ce moment.
Je lui explique que l’on m’a confié un mandat important qui représente un défi pour moi étant donné ma fragilité physique actuelle.
Nous aimons beaucoup jouer sur le fait que j’ai peu d’appétit. Face à la serveuse qui s’inquiète de ne me voir prendre ni entrée, ni dessert, ni café, je pousse un soupir déchirant et cela donne ceci: « Oui, nous n’avons pas beaucoup de moyens. A chaque fois, l’un de nous s’offre un dessert, l’autre pas. En général, c’est lui… Il est plus fort de moi, vous comprenez… Mais ne vous inquiètez pas, pour le café… il me donne le sucre. »
Le genre d’humour disjoncté qui nous fait partir dans des fous rires sous les regards perplexes des autres clients.
Notre repas terminé, Claude me dépose chez moi.
Et là, à peine rentrée, une douleur fulgurante me plie en deux.
Je ne pensais pas attendre un jour avec impatience de revoir des médecins.

Le téléphone sonne, je confirme plusieurs rendez-vous professionnels tout en gardant un oeil sur les échéances médicales qui reprennent en ce mois d’août.
En rallumant mon ordinateur, je découvre de nouveaux messages des personnes proches d’Alain, qui ne signent toujours pas leurs lettres.
Elles continuent à me retracer ce qu’elles appellent « les flasques aventures des Bidochons et de Blanche-Neige trépanée ». Ils m’annoncent qu’Alain va arriver la semaine prochaine à une heure de chez moi, qu’il recommence discrètement à chercher une autre proie exactement dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles nous nous sommes connus, caché sous un pseudonyme, encore.
Que celle qui vit avec lui est d’une naïveté à toute épreuve, préférant ne rien voir et  croire à ses nouveaux mensonges en jouant elle aussi une comédie d’adolescente…
Les mots qu’ils utilisent pour parler d’eux sont toujours plus durs.
Il les mérite, je le sais. Mais je suis atterrée, comme à chaque fois, de réaliser ce qu’il engendre.

Je poubellise les messages. Autre chose à faire, à penser…
Au bout d’une heure de travail, Pomme vient m’expliquer qu’elle se propose de me sortir.
Sous la pluie.
Je dirais même sous le déluge.
Exécution.
En chemin, je croise l’un de mes voisins pourtant peu enclin aux grandes conversations aquatiques:

- J’ai entendu que vous avez été opérée plusieurs fois, c’est vrai?
- Oui.
- Vous avez une petite mine!  Vous êtes pâle et vous avez des cernes!
- Heu… oui. Merci de le remarquer!
- Et puis vous avez l’air triste. Ca va?

Triste? Allons donc… pourquoi serais-je triste. N’est-ce pas?

Martine Bernier