Archive pour le 9 octobre, 2010

Les grillons égarés, le Prix Nobel et Gao Zhisheng

9 octobre, 2010

Quel que soit le jour de la semaine, pour Pomme, toujours bichon havanais de son état, l’heure c’est l’heure.
Peu lui importe que je veuille rester couchée ou non, que ce soit le week-end ou pas, c’est ainsi.
Ce samedi, donc, à contrecoeur, j’ai quitté le confort de mon lit et la chaude présence qui l’occupe pour me retrouver dehors alors que le jour n’avait même pas encore pointé son nez complètement.
Un coup d’oeil aux montagnes pour constater que la brume est de la partie exactement le jour où j’ai un reportage sur un sommet.
Je grimace.
Il ne fait pas froid… la promenade commence.
Et là, à quelques mètres à peine de chez moi, dans le silence total de la nuit, à peine rompu par le bruit du torrent, j’entends un bruit qui m’intrigue.
Impossible de me tromper, il est reconnaissable entre mille.
Des grillons!!
Des grillons en Suisse, à 7 heures du matin, en plein mois d’octobre.
C’est normal, docteur?
Des égarés… qui crissent à l’unisson dans l’obscurité.
Comme il est un peu tôt pour prendre le monde à témoin, je regarde Pomme, visiblement peu sensible au bruit des grillons, et je rentre.

Aujourd’hui sera une journée bien remplie, mais je veux prendre le temps, avant de l’aborder, de saluer trois hommes.

Bernard Clavel, dont les funérailles ont lieu cet après-midi, était un merveilleux écrivain, un beau conteur.
Il sera inhumé dans ce Jura qu’il aimait tant, à Frontenay.

Depuis que j’ai appris l’attribution du Prix Nobel 2010, je pense beaucoup à deux hommes exemplaires.
Premier Prix Nobel chinois, le dissident Liu Xiaobo est un exemple de courage. Et le Prix de cette année, qui lui a été décerné malgré les menaces et les réactions furieuses de Pékin qui aimerait décidément beaucoup que le monde lui obéisse, est un choix que je salue avec reconnaissance.
Il aura peut-être un impact sur l’avenir de ce pays et de ceux qui y vivent…

C’est l’occasion de parler de Gao Zhisheng.
Pour avoir défendu des pratiquants de Falungon et avoir défendu des affaires liées aux Droits de l’Homme comme celle des chrétiens de Chine, cet avocat a été torturé pendant des mois en 2009.
Puis il a « disparu » au printemps 2010.
Interrogée, la police a affirmé « ne plus savoir où il était ».
Ce qu’ils peuvent être distraits, quand même…
On « perd » un homme comme on perd ses clés.
J’ai remarqué que les tortionnaires ont une fâcheuse tendance à mettre en avant leur « mémoire défaillante ».
Réflexion faite et mémoire revenue, les autorités ont relâché leur victime et ont renvoyé Gao Zhinsheng chez lui pendant dix jours, pour le recapturer et le faire disparaître une nouvelle fois.
Sa famille, ses amis sont à nouveau sans nouvelles de lui depuis près de six mois.
Sa femme et ses enfants ont fui la Chine pour gagner les Etats-Unis.
Quelques jours avant la remise du Prix Nobel, une trentaine d’élus du Congrès américain ont encouragé Barack Obama à demander à Pékin de libérer deux dissidents: Liu Xiaobo et Gao Zhinshend, explique le journal français des Etats-Unis « France-Amérique » de ce jour.

En attendant que les choses bougent, et elles mettent bien longtemps à le faire, Amnesty International se réjouit de l’attribution du Prix Nobel en espérant qu’il contribuera à inciter la Chine à libérer ses nombreux prisonniers d’opinion.
Pékin, elle, tente de ne pas laisser filtrer l’information et se dit indignée de l’octroi du Prix à ce qu’elle appelle « un criminel ».
C’est vrai qu’il est criminel de sacrifier sa vie pour défendre celle des autres, pour faire appliquer la loi, quand on y pense.
Tsss…

Dans mon coin, là où chantent les grillons désorientés et insomniaques, je continue à me dire que l’Homme est capable du pire comme du meilleur.
Mais cela, je le savais déjà.

Martine Bernier