Et si vous rencontriez un ours? ou « Won-Tolla, on ne rit pas! »

Lorsque j’étais adolescente, j’ai été scoute.
Enfin guide, disait-on pour les filles.
Quand nous partions en camp, nous apprenions une foule de choses très utiles pour notre vie future: le morse (qui n’existe plus aujourd’hui), comment se repérer à la boussole, faire cuire de petites saucisses au feu de bois, faire un noeud, creuser des tranchées autour d’une tente pour ne pas y périr noyés au cas où…
Et survivre face à un ours.
C’est bien connu: sous nos latitude, les ours pullulent.

Un soir donc, autour du feu de camp, l’un de nos chefs nous a expliqué le bon comportement à adopter en cas de rencontre inopportune.
Il avait potassé le sujet.
Certains regards inquiets se posaient sur les arbres de la proche forêt.
Tout le monde était très attentif… sauf moi qui ai eu un très (trop?) large sourire dès le titre de l’exposé.
Un ours en plein Bruxelles ou même dans la campagne ardennaise où nous nous trouvions… il y avait relativement peu de risque.
Mais visiblement, j’étais la seule à trouver étrange que nous ayons droit à une conférence sur un sujet aussi… heu… étrange.
Mauvais esprit, va!
Le « chef » a donc commencé sa dissertation dans un silence religieux, ponctué de temps en temps par un regard sévère en ma direction, accompagné d’un: « Won-Tolla, s’il te plaît, ne ris pas! »
Won-Tolla, c’était moi.

Aujourd’hui, soyons sérieux.
Après tout, cela peut vous servir un jour, sait-on jamais.
Je vous livre donc les très sages conseils du chef, enrichis de mes propres commentaires.

Si vous vous retrouvez face à un ours, restez calme, et donnez-lui l’impression que vos intentions ne sont pas hostiles.
A choix, souriez-lui amicalement, offrez-lui de la verroterie, sortez le calumet, demandez-lui des nouvelles de la famille, offrez-lui un bon cadeau pour un tour en pédalo sur le Léman ou deux places de concert pour le prochain passage de Ben l’Oncle Soul.

Si vous aviez envie de prendre vos jambes à votre cou, oubliez l’idée.
Ne courez jamais: un ours est capable de galoper à plus de 50 km/h.
Vous pas.
Même s’il n’est pas agressif, le vôtre risque d’avoir un réflexe de poursuite devant votre fuite.
S’il n’est pas conscient de votre présence, filez discrètement.
Si possible sans siffloter.
S’il est conscient de votre présence, reculez à pas lents en lui parlant calmement.
Comment cela, vous ne savez pas quoi dire à un ours??
Entretenez-le du cours de la Bourse, de la chance qu’il a de vivre dans une aussi belle région, du dernier bouquin que vous avez lu, ou demandez-lui l’adresse de son coiffeur!
S’il s’approche, ne partez pas comme une fusée, et ne laissez pas tomber votre sac à dos si vous en avez un.
Car, nous disait le chef: « il pourra vous protéger en cas d’attaque ».
Oui, je parle bien de votre ridicule petit sac à dos dans lequel vous pouvez à peine glisser une banane, une petite bouteille d’eau et un paquet de mouchoirs en papier.

Bref: restez harnaché et attendez la fin dignement. (Won-Tolla, ne ris pas!!!)

Si votre interlocuteur se dresse sur ses pattes arrières, ne vous évanouissez pas, il paraît qu’il cherche à vous identifier et que c’est plutôt bon signe.
Ne perdez pas espoir s’il fonce sur vous: le chef a dit que certains ours bluffent et s’arrêtent à deux mètres de vous avant de changer de direction.
Les coquinous, va!
Si vous avez l’intention de grimper à un arbre, identifiez d’abord l’ours avec lequel vous frayez.
Retournez-vous, dites-lui: stop, et regardez-le bien.
S’il s’agit d’un ours noir ou d’un grizzly (si, si, c’est fréquent ici!), il est inutile de vous fatiguer à escalader: ils grimperont mieux et plus vite que vous.

Enfin, si l’ours vous touche physiquement, roulez-vous en boule pour protéger votre ventre et votre cou, et faites-le mort.
Sauf en cas d’adversaire ours noir qui, lui, le futé, n’est absolument pas dupe et vous traitera comme un ballon de rugby (d’où l’importance de l’identification de la ligne précédente).
Comment fait-on le mort?
Je ne sais pas, moi… laissez pendouiller la langue, et ne bougez plus, peut-être?
Si l’attaque se poursuit, changez de tactique et défendez-vous sans plus tarder!
Souffletez, griffez, frappez, mordez, faites-lui une prise de judo…
Après tout, on a sa dignité!
Ils n’auront pas l’Alsace et la Lorraine! (Won-Tolla, zut, enfin!!!!)

Lorsque notre chef a terminé son exposé, il a conclu par ses mots:
« Je vous remercie pour votre attention. Et je précise que ce sont des recommandations, mais absolument sans garantie. »
Je me suis écroulée de rire…. et me suis retrouvée pour deux jours de « corvée patates » pour tout le camp.
Pas grave, cela en valait la peine!
Je n’ai jamais oublié ce grand et hilarant moment d’anthologie.

Martine Bernier

PS: Ayant raconté l’histoire à « mon ours », il a clos le chapitre en ajoutant un ultime conseil: « ne pars jamais en forêt et n’aborde jamais un ours sans un pot de miel. De préférence du miel de sapin du Jura. C’est leur préféré. »
Le chauvin, va.
Mais là au moins, c’est du vécu!

4 Réponses à “Et si vous rencontriez un ours? ou « Won-Tolla, on ne rit pas! »”

  1. JC dit :

    J’adore !!!!

  2. Marc dit :

    J’ai découvert votre blog en recherchant des infos sur Alexandre Cloutier. Depuis je ne peux plus m’en passer, j’y reviens tous les jours. C’est comme une drogue avec la même question chaque jour : que nous réserve-t-elle aujourd’hui, qu’est-ce qui la fait rire, qu’est-ce qui la fâche, l’intrigue ou la fait pleurer ? Je suis complètement accro et, ce coup-ci, vous m’avez vraiment bien fait rire. Merci ! Bravo pour ce travail (un texte par jour et 4 blogs ce n’est pas rien). Continuez pour notre plaisir !

    Marc de Québec

  3. TH* dit :

    Le beau ténébreux est bien arrivé hier*(l’ours)Très jolie cette histoire
    Bisous x2

  4. Jean dit :

    Très drôle, on aurait aimé connaître cette terrible Won-Tolla qui me semblait avoir déjà un sacré recul sur le monde. Et ça m’a rappelé des souvenirs de scoutisme. A en sentir presque l’odeur du feu de bois. Merci et encore !

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