Archive pour le 3 avril, 2011

La dictée de Prosper Mérimée

3 avril, 2011

Nous devons à Prosper Mérimée deux nouvelles (Carmen et Colomba) et… une torture.
Il avait imaginé un texte demeuré célèbre, où il avait accumulé le plus grand nombre possible de pièges orthographiques.
Histoire de vérifier son impact, il organisa un concours de dictée, au château de Compiègne, à la cour de Napoléon III.
L’Empereur fit 75 fautes, l’Impératrice 62 et la princesse de Metternich 42.
Alexandre Dumas fils en fit 24 et… l’ambassadeur d’Autriche 3 seulement.

En voici le texte:

« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bon crus, les cuisseaux de veau et des cuissots de chevreuils prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient, et quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, bien que lui ou elle soit censée les avoir refusées et s’en soit repentie, va-t’en les réclamer pour telle ou telle bru jolie par qui tu les diras redemandées, quoiqu’il ne te siée pas de dire qu’elle se les est laissée arracher par l’adresse des dits fusiliers et qu’on les leur aurait suppléées dans toute autre circonstance ou pour des motifs de toute sorte.
Il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.
Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d’une phtisie, et l’imbécillité du malheureux s’accrut.
— Par saint Martin ! quelle hémorragie ! s’écria ce bélître.
À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière. »

Ouf.

Même si vous êtes expert en orthographe, si vous refaisiez la dictée aujourd’hui, vous feriez des fautes par rapport au texte original.
Pourquoi?
Parce que l’évolution de l’orthographe a transformé certains termes au passage.
Le français est décidément une langue vivante…

Martine Bernier

Les Témoins

3 avril, 2011

Je remplissais un carton en attendant mon équipe de choc lorsque l’on a sonné.
La porte s’est ouverte sur deux messieurs fort coquets, tenant dans les mains une pile de brochures.
J’ai à peine eu le temps de penser « oh non… » que le premier me tendait un papier en m’invitant à une grande manifestation en l’honneur de Jésus, le jour de mon déménagement.
Avec les beaux jours, les Témoins de Jéhovah sont de retour.
Je les ai remerciés et ai pris rapidement congé.
Ils se sont retournés alors vers la porte de ma voisine de palier pour poursuivre leur quête d’âmes à sauver.

Avez-vous remarqué que, lorsqu’un tandem de Témoins vient vous voir, l’un d’eux parle avec une assurance souriante et modeste, tandis que l’autre prend un air contrit, un peu gêné.
Comme pour donner l’impression qu’il n’est là que parce qu’il y a été obligé, que sa famille est prise en otage chez lui et qu’il n’a pas d’autre choix que de suivre son compagnon.
Je me suis toujours demandé à quoi servait le numéro deux du tandem.
Aujourd’hui, je sais, grâce à Pomme qui ne voulait pas rentrer, s’attardant à renifler le pantalon du monsieur.
Le deuxième: il sonne.

Ici, regardant Pomme, il m’a souri:
- Elle doit sentir mon chien.

C’est toujours la phrase que l’on dit lorsqu’un chien nous renifle.
J’ai pris Pomme dans mes bras et l’ai fait rentrer au bercail.
Mais je n’ai pas pu m’empêcher de dire au « sonneur »:
- Bon courage.

Il a re souri.

Du courage, j’imagine qu’il en faut pour faire le tour des foyers en sachant que l’on sera éconduit à 99% des chances.

Martine Bernier