Ecureuil agile
Lorsque j’étais en Belgique et que je faisais partie d’une troupe scoute (oui, je sais, il faudrait dire « guide ». Mais vu mon sens de l’orientation, je ne me serais pas vue guider personne. Donc, je dis « scoute »), nous avions un aumônier.
« Ecureuil Agile » était un curé déjà âgé, responsable de la paroisse à laquelle notre Compagnie était reliée.
Il adorait les enfants, en tout bien tout honneur.
La semaine, il s’acquittait de ses tâches professionnelles
Le dimanche venu, les quelque 250 enfants et adolescents, membres de la Compagnie, étaient présent à sa messe.
Louveteaux, lutins, guides, scouts, horizons, pionniers: tout le monde était là, en uniforme, s’efforçant de réprimer des bâillements dominicaux et chantant avec entrain les chants choisis par le prêtre.
Surtout le chant final, nous ouvrant la porte vers la liberté.
Pour animer ses messes, il avait demandé à ceux d’entre nous qui savaient jouer de la guitare, d’animer musicalement les cérémonies.
Les jours où nous étions en grande forme, certains moments viraient au concert de rock, pour le plus grand plaisir de notre curé, qui se dandinait discrètement sur sa chaise.
Dès qu’il avait prononcé le dernier « Ite » relâchant ses jeunes ouailles, il allait serrer quelques mains sur le perron, fonçait à la sacristie pour troquer sa robe contre ses vêtements civils, enfilait ses chaussures de marche, prenait son bâton sculpté et courait nous retrouver tandis que nous formions les patrouilles sur la place.
Une fois hors de l’église, nous ne devions plus l’appeler: « Mon Père ».
Il redevenait notre Ecureuil Agile.
Nos dimanche en forêt, nos fêtes, nos activités urbaines, nos répétitions pour les spectacles, nos camps d’été, nos jeux de nuits, nos rallyes: il était toujours là.
Il suivait à tour de rôle chaque groupe.
Nous le voyions donc revenir régulièrement à nos côtés pour des marches, des jeux, des feux de camp.
Il adorait cela, connaissait toutes les chansons scoutes, était le premier à éclater de rire, à être partant pour les corvées, à donner son avis quand nous étions bloqués sur une énigme.
Il nous questionnait sur nos vies, nous racontait ses souvenirs de jeune scout.
Un jour, il est venu à côté de moi en forêt, et a commencé la conversation:
- Won-Tolla, il faut que je te remercie: tu mets une belle ambiance à la messe avec ta guitare.
- Merci!
- Mais à part ça, la messe, ce n’est pas vraiment ton truc. Je me trompe?
J’ai rougi jusqu’aux oreilles.
- Pourquoi me demandez-vous cela?
- Parce que même si je ne suis pas en face des musiciens, j’ai bien vu que tu lis entre les chants.
Que vouliez-vous que je réponde?
Rien…
- Je peux voir ce que tu lisais ce matin?
J’ai sorti un livre de poche de mon sac à dos.
- « Ainsi parlait Zarathustra »??? Tu lis CA pendant MA messe?
- En ce moment, oui…
- Tu as quel âge, déjà?
- Treize ans.
- Tu ne crois pas que tu es un peu jeune pour lire Nietzsche?
- Non, puisque que j’aime ce qu’il écrit! Notez que je ne lis pas pendant vos sermons. Enfin pas toujours!
Il a ri. Nous avons marché un moment côte à côte, en silence, puis il a repris:
- Il y a autre chose que je voulais te demander. Tu ne peux pas m’appeler Monsieur, ce n’est pas indiqué pour un prêtre. Pourquoi ne m’appelles-tu jamais « mon Père », comme les autres?
- Parce j’ai perdu le mien il y a quatre ans. Vous n’êtes pas mon père. Si je vous appelais comme cela.. enfin je ne peux pas.
- Je ne savais pas… je suis désolé.
Le dimanche suivant, au moment où nous accordions nos guitares dans l’église, Ecureuil Agile s’est approché de moi et m’a donné un livre.
Comme je le regardais d’un air interrogateur, il m’a dit:
- Pour le cas où tu aurais fini Nietzsche. Je pense que tu aimeras!
J’ai regardé le titre: « Le Prophète », de Kahlil Gibran.
Je l’ai dévoré en une messe.
Ecureuil Agile était un bon curé.
Et son livre… je l’ai toujours.
Martine Bernier
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