Le grand magasin
26 juillet, 2011Les grands magasins n’ont pas été construits à la dimension de Celui qui m’accompagne.
Le passage dans les rayons ne pose pas de problèmes: servi par sa grande taille, Il est assez satisfait de regarder les rayons d’en haut.
Le passage à la caisse est, lui, plus délicat.
C’est ce que j’ai pu constater dernièrement.
Arrivé à cet endroit stratégique, Il réalise qu’il a oublié un article.
Tandis que je vide le chariot sur le tapis roulant, Il file chercher l’objet de sa convoitise, revient au pas de charge et, en se faufilant devant moi, effleure sans s’en rendre compte l’étalage des cartes de téléphone.
Quand un colosse effleure, cela équivaut en général à un séisme de force 8 sur l’échelle de Richter.
Les cartes n’ont pas survécu: une trentaine se sont retrouvées au sol.
J’ai commencé à les ramasser alors qu’une voix, derrière moi, s’écriait: « Oh la la! La catastrophe! »
J’ai regardé l’homme qui me parlait.
La soixantaine, un peu plus petit que moi (autant dire qu’il avait deux têtes de moins que Celui qui m’accompagne), très sympathique, il a coulé un regard vaguement craintif du côté de Bruno en ajoutant:
- Il faut dire qu’il est imposant!
J’ai souri en ramassant mes cartes, et j’ai répondu:
- Oui, mais ne vous inquiètez pas, il est très gentil!
- J’en suis sûr! Je ne veux surtout pas insinuer qu’il ne l’est pas!
J’ai cru qu’il faisait de l’humour, mais non, il avait vraiment l’air impressionné en regardant Celui qui m’accompagne.
Visiblement, il n’avait pas spécialement envie de le contrarier.
Bruno a commencé à endosser son rôle de Cousin-du-Grand-Méchant-Nours, emploi qu’Il affectionne tout particulièrement.
Tout en continuant à vider le chariot, Il a bougonné:
- Qu’est-ce qu’il dit, lui?
Je lui ai expliqué en riant.
Il a répondu, glacial, sans regarder mon interlocuteur, mais suffisamment fort pour qu’il puisse l’entendre:
- Je ne suis pas gentil.
J’ai continué à ramasser mes cartes et à les ranger.
Une petite femme a rejoint mon voisin de chariot et, en regardant les cartes par terre, a dit:
- Oh! C’est encore un gamin qui a tout fait tomber!
Avec une lueur d’inquiétude dans le regard, son mari a répondu:
- Regarde le gamin! Il est là! C’est le grand monsieur costaud! Fais attention à ce que tu dis! Il n’a pas fait exprès.
Celui qui m’accompagne affichait une mine dignement renfrognée.
Zeus n’appréciant pas que le commun des mortels se penche sur son cas, même de loin!
C’est un jeu, je le sais.
Le petit monsieur craintif, lui, ne le savait pas.
Quand j’ai terminé d’accrocher la dernière carte au rayon, je me suis retournée vers lui:
- Et voilà! Excusez-nous encore!
- Non non! Avec sa carrure il doit se sentir à l’étroit, là!
En rejoignant la voiture, Celui qui m’accompagne affichait toujours un reste d’air grognon.
Il a cependant consenti à livrer le fond de sa pensée:
- Tsss… De toute façon, c’est la faute du magasin. Il est responsable de ses rayons. Si quelque chose de ce genre tombe parce que quelqu’un l’a touché, c’est que c’était mal accroché! Tu n’aurais pas dû le ramasser.
Le petit monsieur est sorti du magasin avec son épouse alors que Celui qui m’accompagne terminait de charger la voiture.
Il m’a adressé un petit signe.
Qui sait, peut-être raconte-t-il l’anecdote autour de lui en ce moment, en décrivant Hercule qui, entre l’Hydre de Lerne et les Ecuries d’Augias, trouve encore le moyen de mettre les grandes surfaces sens dessus-dessous avant de poursuivre sa tâche!
Martine Bernier