« Aujourd’hui, on chasse les loups! »
Partir au camp, lorsque j’étais aux scouts (ou plutôt aux guides) me donnait l’occasion, comme c’était le cas pour tous les enfants des villes inscrits, de devenir pour une quinzaine de jours une enfant des champs.
Ou plutôt une enfant de la forêt.
Je n’y suis pas allée souvent, mais à chaque fois, chaque jour était ahurissant pour moi.
J’adorais l’odeur des sous-bois, de l’herbe mouillée ou réchauffée par le soleil.
Comme je l’ai déjà raconté dans l’épisode sur la protection anti-ours, nos cheffes faisaient régulièrement appel à un chef scout masculin qui adorait venir nous proposer des activités « ciblées ».
Activités qui avaient l’art de me plonger dans des abîmes de perplexité et de me faire partir dans des fous rires très déplacés.
Un soir, à la lueur du feu de camp autour duquel nous étions toutes réunies, le chef invité a pris son air grave de circonstances pour nous annoncer:
« Dès demain, nous allons partir à la chasse aux loups…. »
J’avais 13 ou 14 ans, il devenait de plus en plus difficile de me faire prendre des vessies pour des lanternes.
Des loups en pleine campagne ardennaise…
J’avais comme un léger doute.
Echaudé par la réaction que j’avais eue lorsqu’il était venu nous donner un cours sur la façon de se défendre en cas d’attaque d’un ours, le jeune conférencier invité me surveillait du coin de l’oeil.
Mon large sourire n’a pas eu l’air de lui plaire puisqu’il a commencé par un soupir exaspéré:
- Bon, Won-Tolla, tu ne recommences pas!
- Je n’ai rien dit!
- Mais tu penses et ça se sent! Alors si tu as quelque chose à dire, dis-le maintenant!
- D’accord… A quoi sert d’apprendre la chasse aux loups dans une région où il n’y en a pas?
- Personne n’en est sûr! Les loups peuvent remonter depuis l’Italie!
- Oui enfin bon… le temps qu’ils arrivent en Belgique, ils doivent déjà traverser la Suisse et la France… A moins qu’ils ne passent par l’Allemagne? J’espère qu’ils ont une bonne boussole et qu’ils savent s’en servir.
Les rires fusaient autour du feu.
Et notre cheftaine, déchirée entre sa loyauté envers son ami et l’honnêteté qu’elle nous devait, a bredouillé:
- Il faut admettre que…
Notre hôte ne s’est pas démonté pour autant et à continué, en me regardant:
- Je sais bien que tu portes un totem de loup solitaire. Mais ne t’en fais pas, va, tu n’as pas à protéger tes congénères. Nous les relâcherons! Ce sont des pièges conçus pour ne pas les blesser.
Très fière de sa spirituelle répartie, il a poursuivi son exposé tandis que je me demandais si je rêvais.
Il a sorti d’un sac de vieux pièges à renards, tout rouillés, nous expliquant que « non non, ça ne leur fait pas mal », et qu’il allait nous montrer comment les installer.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Il a appuyé de toutes ses forces sur l’un des engins pour en ouvrir les dents qui devaient en principe se refermer sur la patte du pauvre loup qui passerait par là.
La simple vue de l’objet me mettait de fort mauvaise humeur.
Tout en nous abreuvant d’une abondance de détails, notre chasseur « trifouillait » son piège.
Quand soudain, au beau milieu d’une phrase, il a poussé un hurlement qui a dû réveiller toutes les meutes des alentours.
Le piège s’était refermé sur son poignet et, apparemment, cela faisait très mal.
Et il faut avouer qu’il était moins digne qu’un loup dans la douleur.
La soirée s’est terminée dans un branle-bas de combat général.
Deux de nos cheffes ont emmené le blessé en voiture à l’hôpital le plus proche.
Le lendemain matin, au petit-déjeuner, notre cheftaine nous a expliqué sobrement que notre ami Serge allait bien, qu’il avait dû être recousu et plâtré, mais « qu’il se remettrait très vite ».
J’ai mordu sur mes lèvres pour ne faire aucune réflexion.
N’empêche… la chasse a été bonne, nous avions attrapé un âne!
Martine Bernier
Très marrant! j espère qu il a arrêté chasser les loups hi hi hi