J’ai rencontré plusieurs fois Ricet Barrier, suis allée chez son épouse, Anne, et chez lui, à La Chaux-de-Fonds, ai été reçue à sa table avec Eric, ai beaucoup ri avec lui, écouté ses souvenirs.
L’annonce de son décès m’a fait de la peine…
Lorsque je l’ai rencontré chez lui, je lui avais demandé de me chanter la chanson de Saturnin.
Et je l’ai écouté avec un plaisir fou, comme si j’avais encore 6 ans.
Aujourd’hui, je pense à sa femme, à lui qui s’en est allé.
Et pour lui rendre hommage, voici le dernier article que je lui avais consacré, en 2006.
UN CHANTEUR « FURIEUSEMENT HEUREUX »
Entre l’Auvergne et la Suisse, Ricet Barrier emporte partout, en bandoulière, son amour du terroir, son goût pour les petits bonheurs simples et une bonne humeur à toute épreuve. Rencontre avec un homme hors du temps.
Ricet Barrier, c’est avant tout un sourire immense caché derrière une paire de moustaches broussailleuses, et des yeux rieurs, pétillants de malice. Pour la majorité du public, son nom est étroitement lié à celui des Barbapapa, mais surtout à celui de Saturnin le caneton. De 1964 à 1980, cette fiction pour enfants a fait les beaux jours des chaînes francophones, en mettant en scène des animaux vivants. Le chanteur a également fait partie de « La Bande à Brassens ». En dehors du Grand Georges, ses amis ou ses collègues de scène s’appelaient René Fallet, Jacques Brel, les Frères Jacques, José Arthur, Pierre Tchernia, Gotlieb, Emile Gardaz ou Serge Gainsbourg.
À 74 ans, l’éternel troubadour chante toujours. Il vient notamment de sortir un disque, « Furieusement Heureux », dont les chansons lui ressemblent: tendres, drôles et un tantinet grivoises. Toutes sentent bon les petits bonheurs quotidiens et la joie de vivre.
ENTRE AUVERGNE ET SUISSE
Ricet et son épouse Anne vivent en pleine nature, au cœur de l’Auvergne, mais passent également trois ou quatre mois par an à la Chaux-de-Fond. Là, dans la cuisine chaleureuse, autour de la table que le chanteur a fabriquée lui-même « avec un bois de sapin du Nord, de 200 ans d’âge! », ils reçoivent leurs amis autour de tranches de saucisson et de pain « cuit dans le four à pain de notre village ». Le tout accompagné d’un dé à coudre d’alcool de verveine de Montaligere dont ils distillent quelques bouteilles pour leur usage personnel et les palais amis. La vie à la campagne, Ricet Barrier en raffole: « J’adore les paysans, leur bon sens, leur façon d’avoir les pieds bien plantés sur terre. En Auvergne, nous vivons dans une maison en pleine campagne. Récemment, nous avons trouvé un vieux chevreuil devant la porte. Ça arrive souvent… comme si les animaux se sentaient bien là, et avaient envie d’y revenir pour y mourir. Nous avons aussi deux ânes, parfaitement autonomes, qui ont quatre hectares de terrain pour eux tout seuls! Nous les avons appelés Max et Lexa… du prénom de deux de nos amis. »
UNE TROUPE DES SATURNINS
Parce qu’il voyage beaucoup, Ricet Barrier n’a pas d’animaux domestiques. Mais il retrouve Twingo, le chien de sa belle-fille, lorsqu’il est à la Chaux-de-Fond. « C’est un vieux monsieur de déjà 13 ans. Anne, ma femme, a toujours eu des problèmes d’allergie avec les chiens, mais pas avec lui. Twingo est souvent avec nous. Il est parfait! »
Les animaux ont toujours fait partie de la vie du chanteur… et ont joué un rôle primordial dans sa carrière. « Lorsque, avec le réalisateur Jean Tourane, nous avons commencé à tourner Saturnin, les vedettes étaient les canards, la belette, le chien, le cobaye etc. Pour jouer Saturnin, nous utilisions des canetons de la race Pekin. Ils ont cet aspect de petit canard bien jaune entre le troisième et le huitième jour de leur vie. Ensuite, ils deviennent blancs. Comme nous tournions treize épisodes par an, vous imaginez le nombre de canetons qu’il fallait! Chaque Saturnin avait sa propre personnalité… Certains n’ouvraient pas le bec, et ne pouvaient donc pas être utilisés, puisque je mettais ma voix sur leur expression. D’autres étaient très doués. Nous tournions chez Tourane, près de Paris. Il avait chez lui beaucoup d’animaux. Et notamment une guenon, Joséphine, qui était ma copine. Un jour, je ne sais pas pourquoi, elle m’a mordu. Je suis arrivé à mon gala avec le bras en écharpe. Quand je me suis excusé auprès du public de ne pas pouvoir jouer de guitare parce qu’une guenon m’avait mordu, allez savoir pourquoi… tout le monde a éclaté de rire et personne ne m’a cru! »
LE SAC A FOUILLES
Ricet Barrier est un diseur d’histoires, un orfèvre des mots. Devenu Officier des Arts et des Lettres en 2005, il a reçu bien des titres, dont celui de Chevalier de l’Ordre de la Courtoisie Française. Dont il dit: « Parce que mon père en était président! Quand il a voulu me décorer, j’ai dit: oui papa, pour ne pas le contrarier! ».
Dans son « sac à fouilles », vieux sac en cuir dans lequel il collectionne des objets qui ont marqué sa vie, l’artiste accumule les souvenirs. La plupart prennent leurs racines dans une enfance mi-citadine, mi-campagnarde. Le sac à fouilles est resté en Auvergne, mais les souvenirs sont bien là: « Nous habitions Paris, mais mon grand-père et mon père étaient chasseurs. Ils chassaient en Sologne. C’était une tradition familiale! À 16 ans, j’ai reçu mon premier fusil. Un fusil gras modèle 1874, transformé en fusil de chasse, et un couteau. Et nous sommes partis, tous les trois. Notre chienne a levé un gibier. J’ai tiré, croyant que c’était un faisan. Et, quand je suis arrivé sur place… c’était une chouette. J’ai dû l’achever. Mais avant, elle m’a longuement fixé de ses grands yeux… je me suis senti très mal. Après une chose pareille, tu n’es plus chasseur. »
Dans sa bulle de musique et de mots, Ricet est un homme heureux. Et fait partager son bien-être en le distillant, par petits morceaux, à travers des chansons dont les amateurs de bonheur se délectent.
Martine Bernier