Evoluez… vers le haut!
7 octobre, 2011Je reçois beaucoup de courrier et de réactions, sur Ecriplume ou à propos d’Ecriplume.
Lorsque les messages sont personnels et assortis d’une adresse e-mail, je réponds toujours.
Cette fois, le courrier que j’ai reçu ne me permettait pas de le faire.
Un oubli, sans doute, car ce message, signé Romain, était un véritable appel.
Je prends donc la voie du blog pour y répondre.
Romain a 22 ans, vit en banlieue parisienne et m’explique son désespoir de ne pas trouver de travail, son impression de voir sa vie se terminer avant d’avoir commencé.
J’ai été très touchée par ses mots…
Je ne pensais jamais parler un jour de ce que je vais parler, mais je crois qu’il est positif de le faire.
Pour tous les Romain qui pourraient en avoir besoin.
Je me suis mariée très jeune, juste après avoir quitté mon pays d’origine.
Je savais que ce mariage était une erreur.
Mais je n’avais pas d’autres choix.
Je voulais rebâtir sur les cendres de ma famille dévastée.
J’étais arrivée en Suisse en catastrophe et j’avais pris le premier travail venu.
Dans un hôtel, je jouais le rôle de Cendrillon.
Il était donc normal que personne ne me connaisse pour ce que j’étais vraiment.
Lorsque mes enfants sont nés, j’ai décidé d’accepter de « faire des heures de ménages » pour pouvoir leur offrir des extras.
Et c’est ainsi que j’ai rencontré quelqu’un qui a transformé ma vie.
Je détestais cette activité pour laquelle je n’étais absolument pas faite.
Mais j’avais la chance de me rendre chez un couple d’instituteurs qui possédaient une maison magnifique.
Lui, était plus âgé que son épouse.
J’avais à peine 22 ans, il devait avoir la cinquantaine.
Il avait congé le jour où je venais chez eux.
Passionné de jazz, fumant cigarette sur cigarette, il lisait ou bricolait pendant que je m’occupais de sa maison, puis nous ménageait une pause-café au cours de laquelle nous parlions beaucoup.
Il me racontait sa vie, me questionnait sur la mienne, me faisait découvrir le jazz contemporain.
Je l’appelait Monsieur, et il tempêtait pour que je l’appelle par son prénom.
Il était rebelle et nonchalant, avait un franc-parler que j’adorais, un esprit contestataire, un coeur d’or.
Un soir, un ami a organisé mon premier concert public suisse.
J’ai interprété mes chansons, à la guitare.
Une soirée incroyable, qui n’en finissait pas…
Il y avait du monde, beaucoup de monde.
Les personnes présentes ne voulaient pas me laisser quitter la scène.
La semaine suivante, Monsieur S. m’a raccompagnée chez moi en voiture après que j’aie fait le ménage dans sa maison.
Il s’est arrêté une cinquantaine de mètres avant ma destination, a coupé le moteur et a dit:
- Bon, on va parler! Quand allez-vous vous décider à arrêter de faire l’andouille?
- Pardon??
- Je le savais déjà, mais j’en ai eu la confirmation lors de votre concert. Vous n’êtes pas faite pour nettoyez chez les autres! Vous avez épousé un homme qui ne vous convient pas du tout. Et ne protestez pas, je le sais: je l’ai eu parmi mes élèves, je le connais bien! Il faut que vous réagissiez. Vous évoluez vers le bas, en-dessous de ce que vous êtes. Il faut que, au dernier jour de votre vie, vous soyez fière et heureuse d’avoir accompli ce que vous avez accompli.
- J’ai des enfants, et…
- Et alors?? Vous comptez faire carrière dans la maternité? Vous n’êtes pas une poule pondeuse!
- Quel travail voulez-vous que je trouve???
- Si vous vous entêtez à montrer aux autres un visage qui n’est pas le vôtre, vous ne vous en sortirez pas. Il faut qu’ils sachent que vous écrivez, que vous êtes cultivée! Il y a des choix à faire dans la vie. Moi, à votre âge, je rêvais de faire le tour du monde sur mon bateau. Mais les enfants sont arrivés et je suis resté à quai. Nous avons acheté la maison. J’ai été heureux, bien sûr, mais j’ai toujours regretté de ne pas avoir réalisé mon rêve. Maintenant, c’est trop tard. Vous, je sais bien que vous n’avez plus de parents depuis longtemps et que personne n’est là pour vous aider. Vous vous débrouillez comme un bon petit soldat, vous avez pris votre vie en mains. C’est vraiment bien, mais là, vous vous trompez de chemin. Bifurquez!
- Facile à dire!
Il m’a secouée pendant une bonne demi-heure, terminant par:
- Et ne dites pas à ma femme que je vous ai parlé, elle m’en voudrait à mort! Elle n’a pas envie de vous perdre!
Après l’avoir quitté, j’ai réfléchi.
La semaine, suivante, je lui présentais ma démission.
Il avait raison. Je voulais que mes enfants soient un jour fiers de moi.
Je voulais pouvoir l’être, moi aussi.
J’ai prospecté autour de moi et accepté le poste bénévole de secrétaire de la Commission culturelle locale.
La suite a été longue et parfois très dure.
C’est moi qui, entre autres tâches, présentait les artistes et les spectacles dans des communiqués présentés à la presse.
Un journal local a aimé ma plume et m’a engagée comme pigiste, puis un deuxième.
Et enfin un grand journal romand.
A chaque fois, ce sont eux qui sont venus me chercher.
J’ai énormément travaillé, beaucoup étudié tout ce qui m’intéressait.
Ma vie sentimentale s’est modifiée, et j’ai vécu avec un homme bon, stimulant, intelligent et loyal qui m’a permis de réaliser mes projets, comme j’ai ensuite pu l’aider à réaliser les siens.
J’ai repris le chemin de l’Ecole de Journalisme, ai passé mon diplôme, et ma vie a totalement changé.
Le chemin du bénévolat est souvent inexploré, et c’est un tort.
Il permet de se créer un réseau social, d’apprendre une foule de choses, de s’enrichir du savoir et de l’expérience des autres, de faire ses preuves.
Et, par la suite, avec un peu de chance, de voir quelqu’un vous proposer des pistes d’évolution.
J’ai revu Monsieur S. bien plus tard.
Il était en chimio, portait un bonnet pour cacher sa calvitie.
- La cigarette m’a eu. Je savais que ça arriverait. Vous savez, je lis tous vos articles. Je suis content, vous avez réussi…
- Et vous m’y avez aidée…
Je pense parfois à ses mots.
Ne pas désespérer, évoluer vers le haut, toujours vers le haut…
Romain, tout est possible.
Essayez le bénévolat.
Il vous enrichira d’une façon ou d’une autre, vous fera connaître,et vous permettra de ne pas perdre courage.
Et qui sait, peut-être vous ouvrira-t-il des portes, à vous aussi.
Martine Bernier