Archive pour la catégorie 'Coups de coeur'

Claudio Corallo: l’élégant aventurier des saveurs

10 novembre, 2011

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Photo d’Eric Bernier

C’était vendredi dernier. Un rendez-vous pour un article… et une rencontre exceptionnelle. Claudio Corallo était en Suisse entre deux avions, deux destinations, lui qui partage sa vie entre Sao-Tomé e Principe, en Afrique, Lisbonne et Prague. A la fin de l’entretien qui a duré tout l’après-midi, nous avions échangé nos coordonnées personnelles, et nous convenions qu’il ferait escale par chez nous lorsqu’il reviendra, avec son épouse, en février.
J’ai envie de vous faire découvrir cet homme sensible, passionné et passionnant, au destin hors du commun.
Voici l’article tel qu’il paraît aujourd’hui dans l’hebdomadaire « Terre et Nature ».

Parti de l’Italie, son pays natal, Claudio Corallo est devenu un orfèvre en matière de culture de café et de cacao. Lui qui ne se sent bien qu’au cœur de ses plantations africaines est de passage en Suisse pour l’ouverture d’une boutique contenant ses produits hors du commun.

Claudio Corallo est un personnage unique. Il y a en lui autant d’Indiana Jones que de cultivateur amoureux fou de sa terre. Sa vie est une aventure. Et sa terre n’est pas celle de Florence natale. Lui dont sa maman disait: « Tu t’es trompé de lieu de naissance, tu aurais dû naître en forêt! » se spécialise en suivant ses études à l’Institut Agronomique pour l’Outremer avant d’accepter un premier contrat lui permettant de travailler au Zaïre avec un projet de coopération. En 1979, il rachète une plantation de café abandonnée, de 1250 hectares, au fin fond des forêts les moins explorées du pays. Il y plante du café, forme la population locale, apprend la langue et vit dès lors au cœur d’un océan de verdure. Pour y accéder, il faut voyager sur le fleuve, en pirogue ou en bateau à roue et terminer les 95 derniers kilomètres du voyage à pied. Claudio construit une piste d’atterrissage pour rompre un peu l’isolement dans lequel il vit avec sa famille. Les animaux sauvages qui visitent la plantation ne l’effraient pas. Désormais, sa vie est ici, avec son épouse et les trois enfants qui naîtront de leur union.

De la réussite au renoncement

Sa plantation, il lui prodigue les meilleurs soins. En 1989, sa première production est une merveille de qualité. Mais huit ans plus tard, la situation politique du pays se dégrade et il doit tout abandonner précipitamment. « J’avais senti venir le vent, raconte-t-il. En 1993, j’avais loué une plantation à Sao Tomé-e-Principe, deux îles qui représentent l’un des plus petit pays d’Afrique, dans l’Atlantique Sud, et j’y avais installé ma famille. Quand je suis parti à mon tour, il a fallu tout recommencer. J’ai planté du café sur une île et du cacao sur l’autre. Aujourd’hui, j’y vis toujours. »
Le déchirement de ce départ d’un pays où il a laissé son cœur n’empêche pas Claudio de se remettre au travail sans attendre. Au fil du temps, il rachète ses nouvelles plantations. Sur Sao Tomé, dans sa plantation de Nova Moka, il cultive le café avec sa famille, fort de l’expérience d’une vie. Sur Principe, dans sa plantation de Terreiro Velho, il apporte la même rigueur et la même attention au cacao, culture nouvelle pour lui. Esthète exigeant avec lui comme avec les autres, il cherche les variétés possédant les meilleures saveurs, est partout sur le terrain et se jette à corps perdu dans le travail. Il développe une méthode de fermentation naturelle, trouve la courbe thermique idéale pour un séchage optimal des fèves.

Le must du cacao

Le résultat est magnifique. Ses fèves de cacao n’ont pas d’amertume agressive. Leur douceur permet de limiter l’apport de sucre lors de la préparation du chocolat. Les saveurs de chacun des produits issus des deux plantations de cacao comme de café ressemblent au maître des lieux: raffinées, authentiques, tout en nuance. Désormais, ce cacao, ce chocolat et ce café qui se trouvaient jusqu’ici dans les épiceries fines et autres commerces spécialisés, se retrouvent dans l’élégante boutique ouverte depuis peu à Nyon (VD) tenue par Patrick de Carvhalo, collaborateur de Claudio Corvallo.
Celui-ci revient désormais deux fois par an en Europe pour assurer le négoce de ses produits et aller à la rencontre de ses clients. Partout où il passe, il fascine et passionne ses interlocuteurs par son savoir, ses valeurs, sa sensibilité et son expérience. Sa vie est un roman qui l’a entraîné jusqu’en Bolivie où il a partagé son savoir avec des planteurs locaux. De son départ du Zaïre et de ses premières plantations où plus jamais personne n’est retourné, il parle avec tristesse mais sans aigreur. L’amertume ne fait décidément pas partie de la vie de Claudio Corallo…

Martine Bernier

Promeco Af Sarl, Patrick et Nadea de Carvalho, route de St Cergue 39, 1360 Nyon. Tél. 022 556 76 86
Site: www.claudiocorallo.com

Luigi le Berger

4 août, 2011

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En 1990, le photographe suisse Marcel Imsand a sorti l’un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné d’avoir entre les mains: « Luigi le Berger ».
A travers ses photos et la plume de Bertil Galland, il y racontait l’histoire de Luigi Cominelli, le berger bergamasque avec lequel il partageait une solide amitié.
Il traversait les pâturages suisses en compagnie d’un immense troupeau de moutons qu’il guidait en transhumance.
Les lecteurs découvraient, fascinés, un personnage incroyablement charismatique, dont l’image n’a plus cessé de hanter chacun de ceux qui ont lu son histoire le livre.
Les photos, si belles, ont paru dans la presse, et ont été exposées à la Fondation Gianadda en 2005.
Le beau berger est passé à la télévision.
Ses yeux clairs, sa force et son accent touchaient.

Je crois que l’on aimait Luigi pour sa sagesse, sa liberté, son naturel, sa calme philosophie, son réalisme, son amour pour la nature, les animaux.
Nous ne croiserons plus la route de ses troupeaux.
Luigi est décédé samedi, d’un cancer de l’estomac.
Il avait 52 ans.
Sa famille, ses amis parmi lesquels Marcel Imsand, doivent être terriblement tristes.
Avec eux, des centaines d’anonymes ont de la peine.

Martine Bernier

Si vous aussi vous voulez découvrir Luigi:

http://www.tsr.ch/video/emissions/passe-moi-les-jumelles/450602-luigi-le-berger.html#id=450602

André-Paul Duchâteau: les dessous d’une interview magique

15 juin, 2011

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Je n’oublierai jamais ce moment…

Comme je n’oublie jamais les beaux événements de ma vie.
J’ai tendance à redouter les interviews téléphoniques, parce qu’il n’est pas possible de s’appuyer sur le regard, sur ces mille détails qui enrichissent le tête-à-tête direct, et que seule la voix sert de vecteur relationnel.

L’interview est donc plus délicate, risque de devenir plus froide, plus métallique, raison pour laquelle je la prépare avec plus de soin encore.
Celle d’aujourd’hui, je l’espérais depuis très longtemps.

J’avais sollicité une interview d’André-Paul Duchâteau, scénariste surdoué, notamment de la BD Ric Hochet, écrivain, journaliste, homme cultivé, d’une élégance absolue. 

Je connais Ric Hochet depuis ma plus tendre enfance, en ai lu à peu près tous les albums et voue une tendresse particulière à ses auteurs, le très regretté Tibet et, donc, son complice Duchâteau.

Ric Hochet était mon compagnon de nuit d’insomnie et de journées de solitude, lorsque j’étais enfant, puis est devenu un vieil ami que j’ai toujours retrouvé avec bonheur, contaminant mes enfants au passage et leur transmettant le virus.

Je retrouve encore, en y pensant, le goût de ces moments précieux où je filais dans ma chambre avec un album sous le bras, à découvrir dans la solitude de ma chambre, avec délices.

J’ai toujours aimé les énigmes, les intrigues policières merveilleusement bien conçues, dénouées par le héros.
 Si bien “ficelées” que, bien souvent, encore aujourd’hui, je ne trouve pas le coupable.
Alors que j’étais en contact avec la personne chargée du service de presse des éditions du Lombard, en Belgique, je lui ai fait part de mon souhait d’obtenir l’entretien en question. 

En n’y croyant pas trop, je l’avoue. 

Cet homme est un monument et doit avoir bien d’autres choses à faire que de se prêter au jeu de l’interview.
 Hier, un coup de fil m’apportait la nouvelle: “demain, mercredi, dix heures, voici son numéro…”
Après plus de 25 ans de métier, je suis toujours sujette aux enthousiasmes, aux émotions… et j’en suis ravie!
 En me glissant devant mon bloc pour préparer l’interview, je me suis dit: et pourquoi ne pas rester naturelle?
Pourquoi ne pas lui poser ces dizaines de questions que je rêve de lui poser depuis mon enfance? Pourquoi ne pas lui dire, peut-être, combien son ami dessinateur et lui ont compté dans ma vie?
Pourquoi ne pas privilégier le contact humain?
Cette rencontre, je l’attendais depuis si longtemps… pas question de passer à côté.

A 10 heures précise, je composais le numéro.
 Il a fallu deux phrases pour que la magie opère.

J’aurais pu être déçue, lui aussi.

Au lieu de cela, nous avons vécu une heure et quart de grâce. 

Une conversation à bâtons rompus au cours de laquelle il a levé le voile sur mes interrogations, m’a raconté des anecdotes, m’a permis de rentrer dans son histoire d’amitié, dans sa vie.

Il m’a parlé de lui, de Tibet, de leur travail, de son enfance, de ses livres, de ses projets…

Un homme passionnant, d’une classe, d’une courtoisie, d’une sensibilité et d’une spontanéité rendant l’instant magique.

Je n’ai pas connu très souvent cette sensation: le temps s’est arrêté. 

Nous avons parlé, parlé… nous sommes découvert un ami dessinateur commun, mille points de connivence.
Lorsque j’ai terminé, il m’a demandé mes coordonnées et a souhaité que nous continuions à nous appeler de temps en temps et, à nous voir si j’avais la bonne idée de passer par la Belgique.

J’étais ravie…

Je lui ai dit que les portes de notre nid leur étaient grandes ouvertes, pour lui et à sa compagne.
J’ai eu du mal à raccrocher.

Je n’avais pas envie de le quitter.
Le texte de l’interview trouvera sa place sur trois de mes blogs, dont Ecriplume, dans les jours à venir.

Puis un autre paraîtra dans le Journal de l’Entraide Familiale Vaudoise.
J’ai rencontré un gentleman, passionnant et passionné. 

Comme je le disais, dans la journée: Merci, Métier!!

Martine Bernier

Edouard Baer, le dandy artiste… ou le fascinant Rendez-Vous en Terre Inconnue d’un lutin facétieux

7 août, 2010

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Je ne me lasse pas de la personnalité très particulière d’Edouard Baer, ce vif-argent acteur, scénariste et journaliste.
Il a été élevé dans les beaux quartiers de Paris et cela se sent…
Je suis totalement acquise aux personnages qui manient l’humour sans grossièreté, en usant du verbe, de l’esprit et de la mimique pour partir dans des envolées lyriques hilarantes.
Olivier de Kersauzon en est l’un des plus beaux exemples, comme Fabrice Luchini, dans un registre différent…
Edouard Baer en est un autre.
Il a du style, de la classe, et pourtant rien de snob.
Cet homme a quelque chose qui n’appartient qu’à lui.
Un regard sur le monde, les autres et lui-même d’une drôlerie irrésistible, un détachement intrigué.

La première fois qu’a été diffusée l’émission « Rendez-Vous en Terre Inconnue » qui lui a été consacrée, je n’ai pas pu la visionner.
J’ai donc décidé de l’enregistrer et de la regarder quand j’aurais le temps.
Je la gardais comme une friandise.
J’étais très curieuse de voir comment allait réagir ce lutin raffiné et malicieux, en plein coeur du pays Dogon, au Mali, chez ces hommes énigmatiques…
Un Parisien contraint de vivre deux semaines dans des conditions sommaires peut avoir un peu de mal à s’acclimater…
Il se trouvait là aux antipodes de son quotidien.

Ca a été un régal…
En conservant sa personnalité, en saupoudrant tout de son humour particulier et en réagissant avec naturel vis-à-vis de ses hôtes qui ont vraiment dû parfois se demander quel était ce curieux spécimen débarqué d’une autre planète, il a apporté une saveur exceptionnelle à l’émission.
La confrontation de ces deux mondes a été un délice, jalonné de fous rires.
Le clan Dogon a été chaleureux, accueillant, joyeux, profond…
Certaines scènes, certains rites étaient fascinants…
L’invité a été drôle, intéressé, respectueux, sensible, ni trop ni trop peu.
Cet homme est gentil… cela se sent dans sa façon d’aborder les autres.
Et Frédéric Lopez, son accompagnateur privilégié, a visiblement aimé ces deux semaines en aussi bonne compagnie.

De la scène des Césars à l’étrange village des mystérieux Dogon, en passant par les plaches des théâtres parisiens, Edouard Baer a un talent très particulier: il s’adapte et séduit…

Martine Bernier

Christophe Abbet: plus qu’un vigneron

4 juillet, 2010

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Pour les besoins de la rubrique qui m’a été confiée dans l’hebdomadaire suisse « Terre et Nature », je retourne dans le milieu du vin, heureusement accompagnée par Eric qui en a une connaissance solide et sûre.

Comme je ne bois pas, je me rends toujours sur ce genre de sujet avec une bonne dose d’humilité.
J’aborde l’homme (ou la femme!), son vécu, le rapport qu’il entretient avec son travail, son domaine.
Je l’écoute sur la partie technique, sur son art, sur ses vins.

J’ai inauguré la rubrique avec un vigneron encaveur Valaisan, Christophe Abbet, réputé pour avoir atteint l’excellence dans son domaine.
Et ce fut une rencontre que je n’oublierai pas.
Il est des hommes qui n’utilisent que des mots choisis, qui ne les gaspillent pas en phrases vaines.
Il en fait partie.
L’homme que j’avais devant moi, et qui souffrait à ce moment-là d’un sérieux problème de dos, est passé par-dessus la douleur et l’inconfort de son état pour m’offrir un entretien magnifique.
Il m’a fait le cadeau de sa confiance.
Le courant est passé comme dans les plus belles interviews.
Il a répondu à mes questions en réfléchissant avec soin à ses réponses, s’est livré, m’a parlé de sa philosophie de vie, de ses bonheurs, de ses tristesses.
Le tout avec ce regard riche et profond dans lequel passe chacune de ses émotions.
J’ai découvert un personnage attachant et généreux, heureux de s’être relancé dans l’aventure de la vie avec sa nouvelle compagne, Carine.
Les voir aussi heureux, tendus vers les mêmes aspirations, m’a touchée.
Et écouter parler le « Magicien de Martigny » a été un moment précieux.

Martine Bernier

L’article intégral consacré à Christophe Abbet et diffusé dans le numéro du 24 juin 2010 de « Terre et Nature » se retrouve sur Paroles de Soie, tandis qu’une présentation courte de ses vins se trouve déjà sur Toutitest.

Jacques Perrin: »Dits du Gisant », un coup au coeur

5 février, 2010

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C’est un cri silencieux…
C’est un choc.

Jacques Perrin est un homme que l’on n’oublie jamais lorsqu’on l’a rencontré.
Autrefois professeur de philosophie et de littérature française, il a choisi de s’orienter vers le monde du vin.
Et là encore, il est devenu une sommité, membre du Grand Jury Européen, responsable de la revue Vinifera dont l’excellence est reconnue unanimement dans la profession.
La culture, l’esprit et l’humanisme de cet homme marquent ceux qui le croisent, dont j’ai la chance d’avoir fait partie quelques fois.
Il est l’un des grands spécialistes du vin, l’aborde sous tous ses angles et en parle avec talent.

En février 2006, cet alpiniste chevronné est victime d’une chute lors de l’ascension de l’Aiguille du Pèlerin, dans le massif des Grandes Jorasses.
L’accident, terrible…
Un corps brisé.

“Dits du Gisant” est le journal qu’il a tenu durant les quelques mois suivants l’événement.
Homme cassé, perdant la maîtrise de son corps et le sens du goût, (drame absolu pour ce prince de la saveur), il va s’attacher, jour après jour, à affronter la douleur souvent insupportable, à franchir les portes du dépassement de soi.
Au fil des mois d’immobilité, il va sonner le grand rassemblement de tout ce qu’il a accumulé de connaissances philosophiques et littéraires, d’expériences et de vécu.

Le livre qu’il nous offre n’est pas le récit facile d’un quotidien de souffrance.
Il va beaucoup plus loin que cela.
Avec une écriture puissante et pudique, jouant sur plusieurs niveaux de styles, il nous entraîne au coeur de lui-même.
Personne ne sort intact de ce voyage intérieur.
Il est d’une force et d’une intelligence stupéfiantes.
Pour le lire, il faut se délester de ses propres certitudes, des attentes que l’on peut ressentir face à un scénario aussi tristement classique que celui d’un destin torturé.
Il faut accepter d’être entraînés, renversés, happés par un fil de récit inattendu, parsemé d’allusions à des souvenirs précis, à des êtres que certains reconnaîtront.
Il faut se laisser happer par le mental hors normes de cet homme étonnant, d’une dignité et d’une élégance folles, qui parle de la douleur extrême avec des mots rares.

Ce livre est ainsi. Rare.
On le prend en plein coeur, en plein ventre.
Il ressemble au regard de Jacques Perrin, qui est un monde à lui seul, d’une intensité qui vous cloue au sol.

Aujourd’hui, ce survivant est à nouveau un homme debout.
Mais a-t-il un jour cessé de l’être, même lorsqu’il était gisant?

Martine Bernier


« Dits du Gisant », Jacques Perrin, Editions de l’Aire.
Blog de Jacques Perrin:http://blog.cavesa.ch/

Jean-Pierre Coffe: Une réalité conviviale

15 janvier, 2010

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Il est rare que je souhaite rencontrer deux fois la même personnalité.
Jean-Pierre Coffe a tant à dire, tant à partager, qu’il fait exception à la règle.
Son actualité est toujours aussi riche et trépidante, mais il prend le temps de se poser, de partager un repas, de partager une conversation intime et de reprendre le fil d’une interview en s’amusant des questions posées lorsqu’elles entrent dans sa sphère privée, sans esquiver celles qui le dérangent. L’image que le public connaît de lui ne correspond qu’à une infime partie de sa personnalité. Généreux et fin, c’est un homme sensible, cultivé, pour lequel la convivialité n’est pas un vain mot… Rencontre à Paris, au Café Le Nôtre, autour d’un repas, pour un moment très particulier.

- La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, vous m’aviez notamment parlé de ce que vous aviez fait, à l’époque, pour les personnes âgées isolées et dépourvues de moyens financiers suffisants pour pouvoir partir en vacances. Vous aviez, il y a des années de cela, créé une association qui permettait de les envoyer en vacances à travers la France et, parfois, à l’étranger, chez des personnes qui les accueillaient chez elles. Privé de subventions, vous aviez fini par financer le tout de vos propres deniers avant de devoir abandonner, la mort dans l’âme…
Oui… c’est très amusant que vous reveniez sur ce sujet, parce qu’il est question que ce soit repris. C’est en projet. On m’a demandé de réorganiser la même chose en France. Et cette fois, l’initiative serait supportée par un Groupe d’assurance. J’ai rencontré les responsables par hasard, et ils m’ont demandé comment l’on pourrait parler d’eux. Je leur ai dit que j’avais une idée, que ce serait formidable si l’on remettait ce projet en route. Comme il faut un assureur, ce pourrait être eux. Il n’y a pas grand-chose à payer puisque ce sont les gens qui invitent qui paient les frais.
Le problème en France, et je pense que c’est pareil un peu partout dans le monde… le Français est égoïste. C’est très lié à la façon de manipuler la générosité. On sort son portefeuille, on pose 20 euros ou 20 francs sur la table et l’on est libéré de sa culpabilité. C’est la même chose si vous voulez parrainer quelqu’un. Vous payez et vous ne vous en occupez plus. Cela ne viendrait pas à l’idée de se dire: « Je paie tous les ans pour le même petit Ghanéen, et je ne le verrai jamais, je ne vais pas le recevoir chez moi, il n’y aura pas d’échange… »
Je suis contre cette façon de faire.
A l’origine, en France, on quêtait sur la voie publique pour les veuves de guerre, les personnes âgées, les paralytiques… On donnait un peu d’argent et l’on recevait une épingle avec un bout de papier que vous épingliez à votre poche. C’était valorisant.
Donc, quand on m’avait posé le problème des vacances pour les personnes esseulées, je ne voulais pas d’une opération pleine d’argent. L’idée était: arrêtons de quêter et de se donner bonne conscience parce que l’on donne de l’argent et rien d’autre. Donnons réellement de notre personne. Ouvrons notre maison, partageons. Partageons la table, les joies, les fêtes, le temps, et en échange de cela, rendons service. Que les deux donnent. L’un reçoit chez la personne, en échange de quoi l’invité va parler aux enfants, leur apprendre ce qu’est la communication, leur apprendre ce qu’est la cuisine, recoudre un bouton. Elle fera ce qu’une grand-mère ferait. Il ne s’agit pas de travailler, d’être transformée en femme de ménage, non. D’ailleurs, à l’époque, à la moindre plainte de ce genre, nous intervenions. Simplement, la personne ne sera pas à charge, elle sera utile, en étant intégrée à la famille.

- Vous soutenez également l’opération « Je Déj’, je donne ». De quoi s’agit-il?
Cela fait partie de mon combat pour la lutte contre la faim dans le monde. Le projet va évoluer, puisqu’il a eu lieu au moment de Noël. L’association contre la faim dans le monde cherchait une personnalité qui accepterait d’expliquer qu’ils avaient passé un accord avec l’organisation des chèques restaurant. Quand on payait avec un chèque restaurant, une partie de cette somme était redistribuée pour la faim dans le monde. Mon équipe de TV a accepté gratuitement de tourner, Drucker a accepté que l’on montre la bande. On a tourné chez moi à la campagne etc, pour diffuser une information.

- Depuis quelque temps, vous intervenez sur une nouvelle collection: « Ce que nous devons savoir sur… ». Pouvez-vous en dire quelques mots?
Je suis directeur de cette collection. Je fais la préface, et je choisis les sujets. Chaque livre est réalisé par un auteur différent, et conçu selon le même canevas, avec une partie historique, une partie de communication, une partie d’explications techniques, des recettes, etc. Nous en avons en préparation des volumes sur le fromage, le yaourt, le poisson, par exemple. Je travaille beaucoup sur les yaourts en ce moment car je voudrais que l’on puisse en faire sans épaississant, sans colorant et sans arômes.

- Etes-vous vous-même en préparation d’un nouvel ouvrage?
Oui. A la fin du printemps sortira « Recevoir ses amis à petits prix »… Avec des idées de repas, mais aussi de vins bons et peu chers

- Pourriez-vous avoir un jour l’envie d’écrire un livre sur les régimes?
Jamais! J’ai fait un régime quand j’étais jeune parce que je pesais 130 kilos. Et j’ai perdu tous mes cheveux en 48 heures! Alors les régimes… Il est nettement plus intelligent de parler de bonne hygiène de vie. Mais je n’ai pas le temps d’écrire sur ce sujet: j’ai signé pour des ouvrages jusqu’en 2014!

- Vous collaborez avec Leader Price. Pour eux, vous testez et validez des produits alimentaires, visitez des usines. Votre image apporte une crédibilité nouvelle à la marque. Pourtant, vous avez été attaqué plusieurs fois sur votre démarche, et particulièrement par Perico Leggas qui vous a mis en cause à propos de raviolis dont la viande n’est en fait que de la farce composée de cartilage etc. Comment réagissez-vous à ces attaques?
Je me défends en principe face à des interlocuteurs qui sont de bonne foi, qui ont des arguments sérieux. Ce qui n’est pas le cas ici. Cet homme, qui a été mon employé pendant trois ans, m’attaque sur un produit qui date de 2001 et qui a été retiré de la vente en 2002! S’il avait mon estime, je me défendrais, mais pas là. Ce sont des attaques personnelles, je ne m’abaisserai plus à lui répondre, j’ai déjà rectifié la vérité à la télévision, à la radio, dans la presse. Si vous saviez le travail que j’effectue pour cette campagne… J’effectue deux visites d’usine par semaine pour vérifier la qualité des produits. Je suis suffisamment orgueilleux et fier de ce que je fais pour Leader Price pour ne pas m’arrêter à cela.

- J’aimerais que nous imaginions ensemble un questionnaire de Proust de la gastronomie. Pour un repas idéal, quelle serait votre entrée préférée?
Des asperges avec une sauce hollandaise.

- Votre plat principal?
Une blanquette de veau.

- Trois fromages?
Tout dépendra de la saison. En été, un assortiment de chèvres. En automne, un camembert. Et en hiver, un munster, un très vieux roquefort et un vrai gruyère de Gruyère. Au printemps, les fromages ne sont pas faits. Il faut donc prendre des fromages d’hiver.

- Votre dessert?
Si je prends une entrée, un plat et des fromages, je n’en mange pas. Sinon, j’aime beaucoup les desserts dans la grande tradition de la pâtisserie française: les babas au rhum, les Paris-Brest, les mille-feuilles. Je fais aussi une charlotte aux pommes, uniquement avec des pommes, qui est le dessert que je sers lorsque j’ai du monde.

- Le produit dont vous ne pourriez pas vous passer?
L’œuf!

- Celui que vous ne supportez pas?
Le surimi

- Votre épice?
Le curcumin

- Le légume?
L’asperge, parce que c’est réellement un légume de saison, et la pomme de terre.

- Le fruit?
J’adore la pêche.

- La friandise?
Pour moi, le chocolat à la pistache est irrésistible. Surtout s’il vient d’un petit magasin de Lausanne, dans une rue qui descend, où ils vendent un chocolat extraordinaire. (NDLR: Blondel, rue de Bourg à Lausanne)

- Votre boisson?
J’aime beaucoup le vin blanc. Je choisirais un Chenin.

- Votre péché mignon?
Le petit-déjeuner, quand j’ai le temps. Je le prends vers 11 heures, et cela me tient jusqu’au soir. Cela peut être avec du saumon fumé, un œuf à la coque, du caviar, des confitures, des toasts, des salades de fruits frais…

- Qu’avez-vous toujours dans votre frigo?

De la graisse de canard et du saindoux

- Et dans vos placards?
Du thon, du maquereau en boîte et des sardines. J’adore ça!

- Quel aliment ne mangerez-vous jamais?
De la cervelle de singe décalloté vivant. C’était le repas des empereurs Manchus. J’ai mangé de la chauve-souris, du boa, des tas de choses. Mais ça, je n’ai pas pu…

- Quels convives, d’hier ou d’aujourd’hui, aimeriez-vous réunir autour d’une table idéale?
Voyons… Miou-miou et Jean Teulé, parce que ce sont des amis, Jussieux, Vincent de la Chapelle, créateur de la cuisine moderne sous Louis XV, Tayllerand et Jean de la Quintinie, jardinier de Louis XIV. Il faudra que j’aille voir si c’est possible, en arrivant au Paradis!

Martine Bernier

Frederic Lopez et Rencontres en Terre Inconnue

3 janvier, 2010

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Je n’ai pas de sympathie particulière pour les présentateurs de télévision. Ils font leur travail de présentateurs, chacun en fonction de sa personnalité.
Mais il en est un qui, pour moi, sort du lot, n’a rien à  voir avec ses confrères: Frédéric Lopez. Cet homme présente, non, vit l’une des plus belles émissions actuelles, selon moi: Rencontres en Terre Inconnue.
Pour ceux qui ne connaitraient pas, le principe est simple. Grâce à  son équipe, il emmène une personnalité publique vers une destination que cette dernière ignore jusqu’à  ce qu’ils y arrivent. Il ou elle partage durant 7 ou 15 jours la vie quotidienne de gens à  l’autre bout du monde, dans des conditions aux antipodes de celles dans lesquelles ils vivent en temps normal. C’est une émission non seulement passionnante parce qu’elle permet de découvrir de manière originale des cultures et des contrées lointaines, mais aussi et surtout pour les émotions authentiques qui s’en dégagent.

France 2 a diffusé ce dimanche l’émission consacrée à  Gilbert Montagné, accueilli dans une famille du Zanskar, dans la chaîne himalayenne, à  l’extrême nord de l’Inde.
La relation qui s’est créée entre le chanteur et ses hôtes est magnifique. Et le courage dont il a fait preuve en accomplissant un trek sur des pentes vertigineuses, pour se rendre à 5000 mètres récupérer un troupeau de yacks, a été salué à l’unanimité et force l’admiration. Son hôtesse a d’ailleurs souligné que bien des personnes ne sont pas arrivées à  faire ce qu’il a fait, lui qui est non-voyant. Dans des conditions aussi extrêmes, difficile de tricher. La sensibilité du chanteur a rencontré un écho chaleureux auprès des membres de la famille qui l’ont reçu.

L’émission était très belle. L’image de ce petit garçon essuyant de la main les larmes de sa mère confiant son désarroi de devoir laisser partir ses enfants à  la ville afin qu’ils puissent étudier, ce qui ne lui permet de ne les revoir qu’une fois par an seulement, était notamment bouleversante.

Et Frédéric Lopez, dans tout cela, me direz-vous? Il était fidèle à  lui même: naturel. Pas une fausse note, il a le ton juste, très à  l’écoute des autres, posant les bonnes questions, essentielles, sans jamais trop en faire. Il écoute plus qu’il ne parle, met la main à  la pâte pour aider ses hôtes. Les liens qu’il crée avec les personnes qui les reçoivent et l’invité qu’il accompagne ont l’air réellement authentiques. Aux côtés de Gilbert Montagné dont il a pris soin avec un tact et une délicatesse émouvants, il a été particulièrement brillant dans sa simplicité. Son rôle n’est pas facile: il doit toujours garder en lui l’idée de la finalité de l’émission, sans pour autant se couper de l’émotion née des gens qui l’entourent, des paysages sublimes qu’il traverse. Et il réussit à  merveille. Les conversations qu’il a eues avec Gilbert Montagné étaient troublantes tant elles touchaient à  des sujets qui mettaient visiblement ce dernier au bord des larmes.
Le chagrin des uns et des autres lorsque vient le moment du départ n’est pas feint.
C’est pour moi la seule émission dont je vois arriver la fin à  regret, et que j’aimerais voir se prolonger par une longue interview de la personnalité invitée, après son retour.
Cela a d’ailleurs été fait dans une émission au cours de laquelle plusieurs d’entre elles ont été réunies.

Les moments magiques à  la télévision sont suffisamment rares pour être salués lorsqu’il y en a un…
J’adorerais rencontrer Frédéric Lopez, tiens. J’aurais bien des questions à  lui poser…

Martine Bernier

Une pensée, ce soir, pour Tibet, le dessinateur de Ric Hochet, qui nous a quittés la nuit dernière.

Ousmane Sow: un rêve…

5 novembre, 2009

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J’ai encore des rêves d’interviews que je n’ai pas pu réaliser. Ou pas encore pour certaines. Je ne perds pas espoir.
Il en est une qui, si je pouvais un jour la vivre, serait un bonheur absolu: celle d’Ousmane Sow.
Sénégalais, il n’a jamais pu intégrer les Beaux-Arts, lui qui a quitté son pays pour la France en 1957 dans ce but.
Infirmier, kiné, il connaît le corps humain par coeur. Il a exercé son métier de kinésithérapeute jusqu’à cinquante ans, âge où, enfin, il s’est consacré entièrement à sa passion: la sculpture.
Et lorsqu’il a présenté ses premières oeuvres, le public du monde entier a été conquis.
Eric et moi avons eu un coup de foudre total pour son oeuvre dès la première fois que nous en avons vu quelques échantillons.
Une oeuvre magistrale, composée en majeure partie de personnages conçus à partir d’une armature de métal, de paille, de jute etc, puis modelés à l’aide d’une pâte de sa composition.

Son univers est fascinant. D’immenses guerriers, des hommes, des femmes « en vie »… Il représente des êtres dans leur dignité, jamais des hommes piétinés, comme il le répète souvent. Une oeuvre puissante, des mises en scène épiques, souvent dramatiques (notamment dans l’oeuvre consacrée aux émigrés), poignantes.

Pour créer des personnages aussi profonds, il faut être soi-même très particulier. Il l’est si j’en crois les interviews qu’il a données. Je rêve désormais de pouvoir rencontrer celui qui donne un tel souffle de vie à ses oeuvres…

Martine Bernier

Le coup de foudre coloré

22 octobre, 2009

Ce soir, dans mon club où, contrairement à ce qu’en pensent certains, (enfin… un « certain » en particulier!) on ne se gave pas de petits fours en buvant du champagne, il a été beaucoup question de la Roumanie.
La Roumanie, un pays auquel j’ai consacré trois ans de ma vie, entre 1989 et 1991.
J’en garde un bouquet de souvenirs. Mais parmi eux, il y a eu ce qui est resté pour moi un choc visuel exceptionnel.

Nous étions sur une route cabossée, en pleine campagne, en direction de Rimnicu Vilcea où j’étais attendue.
Devant nous, un camion un peu déglingué a perdu l’équilibre en passant dans une ornière, et s’est renversé sur le bas côté.
Et là… les portes arrières se sont ouvertes, et une multitude d’oranges ont roulé dans le pré.
Ces fruits roulant dans cette herbe très verte, c’était une vision quasiment féerique.
J’avais vu que le chauffeur était sorti indemne de son véhicule, et je n’arrivais pas à détacher mon regard de ce spectacle.
Cet orange et ce vert, le contraste entre ces deux couleurs pour lesquelles la main de l’homme n’est pas intervenue, était saisissant.
Nous sommes restés sans bouger, captivés, à regarder…
Et tout à coup, sortie je ne sais d’où, une myriade d’enfants est arrivée en courant et en criant.
Ils ont couru vers les oranges, et les ont ramassées avant de disparaître aussi vite qu’ils étaient venus.
Seuls quelques-uns d’entre eux restaient là, les fruits en main, à les regarder un peu perplexes.
Mihaïl, mon ami musicien qui m’accompagnait, m’a dit: « Ils ne savent pas ce que c’est, ils n’en ont jamais vu ».
Le spectacle de ces gamins retournant les oranges dans leurs mains sans savoir s’il s’agissait d’un jouet ou d’un aliment… c’était fascinant.

J’ai des souvenirs très précis des conditions effroyables dans lesquelles vivaient les enfants parqués dans les orphelinats, ceux-là même qui s’accrochaient à moi pour que je les emmène.
Les odeurs repoussantes, la saleté, le manque de soins, le désespoir de ces gosses perdus, dont personne ne se préoccupait vraiment.

La Roumanie, juste après Ceausescu, m’a ravagé le coeur.
Et puis il y avait ces couleurs à couper le souffle.
J’étais là pour les enfants, pour les amis que je me suis faits sur place.
Mais on ne se refait pas, l’art, la peinture, me touchent quelle que soit la partie du monde où je me trouve.
Et là… je garde encore au fond des yeux le bleu si particulier de certaines icônes et de certains vitraux.
Un bleu profond, intense, magique.
Mes amis, grâce à leurs relations, me permettaient d’entrer dans des lieux qui n’étaient pas ouverts aux étrangers.
C’est là que j’ai vu les plus beaux trésors de l’art roumain.
Des icônes d’une valeur inestimable si l’on tient compte de leur ancienneté, de leur beauté.
Les voir, jalousement surveillées par des pops dont les regards devenaient tendres lorsqu’ils se posaient sur les oeuvres dont ils avaient la garde a été un privilège inoubliable.

M.B.

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