Archive pour la catégorie 'Destins'

Les frères Le Nain, témoins de leur siècle

18 janvier, 2012

 

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Ils étaient trois frères, nés à Laon (France), les frères Le Nain: Louis, en 1593, Antoine, en 1588 et Mathieu en 1607.
Leur particularité?
Ils ont consacré toute leur vie à la peinture, habitant tous trois Paris en 1630.
A tel point que, restés célibataires, il sembleraient qu’ils ne se soient jamais quittés jusqu’en  1648, date de la mort de Louis et d’Antoine.

Tous trois étaient à ce point indissociables qu’ils ont signé certaines toiles uniquement de leur nom de famille.
Il était quasiment impossible de définir qui avait peint quoi.
Ce qui empêche l’identification précise de ces tableaux, mais donne à penser qu’ils collaboraient étroitement entre eux.
Des tableaux à six mains, toutes issues de la même fratrie!

C’est à Louis que l’on attribue leurs peintures les plus célèbres où il a représenté des scènes de la vie paysanne.
Antoine était spécialisé dans les miniatures, tandis que Mathieu brillait dans l’art des portraits.
C’est sans doute ce qui lui valut de devenir le peintre officiel de Paris en 1633.

Antoine, Louis et Mathieu avaient une autre particularité.
Ils refusaient  d’exploiter l’anecdotique, préférant exalter le quotidien.
C’est sans doute ce qui me touche le plus dans ce tableau, « Visite à la grand-mère », que Louis a peint entre 1645 et 1648 et qui se trouve au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg (Russie).
Les  vêtements usés des personnages ne font pas d’ombre à la majestueuse grand-mère et aux merveilleux visages des enfants.
Une peinture subtile, respectueuse et belle qui ont fait des trois frères des témoins de leur époque qui me touchent encore aujourd’hui.
Je me demande souvent comment Mathieu, dernier survivant de la fratrie, a pu supporter la disparition de ses frères, la même année…
Il ne lui restait plus que son art…
Martine Bernier

 

 

La bouteille de Tsunosuke

17 janvier, 2012

L’histoire commence 1714.
Cette année-là, le marin japonais Tsunosuke Matsuyama s’embarqua pour une chasse au trésor dans le Pacifique.
On imagine l’excitation, au moment des adieux,parmi l’équipage et ceux qui agitaient leurs mouchoirs sur le quai.
Une chasse au trésor!
L’expédition était prestigieuse!

Malheureusement, pris dans une violente tempête, le navire fit naufrage.
Tsunosuke et quarante-quatre de ses compagnons réussirent à gagner à la nage un récif corallien inhabité.
L’espoir revenait!
Mais la chance n’était pas avec eux.
Tous finirent par mourir de faim avant d’être retrouvés.
Avant de mourir, Tsunosuke avait pu envoyé un message aux siens.
Sur des débris de bois, il  avait écrit le récit du drame vécu.
Puis il avait confié la bouteille à la mer.

Elle a été retrouvée… 150 ans plus tard.
Rejetée sur la plage où Tsunosuke avait passé toute son enfance.

Martine Bernier

Elie Metchnikov et son drôle de régime

28 novembre, 2011

Si vous regardez dans la liste des lauréats du prix Nobel de physiologie et médecine, vous découvrirez que, en 1908, Elie Metchnikov l’a reçu avec l’Allemand Paul Ehrlich.
Après de longues études sur la longévité, il était parvenu à la conclusion que le corps humain était fait pour durer 150 ans.
Et pour cela, il avait mis au point une cure de lait fermenté qui l’avait rendu très célèbre.
Il préconisait la consommation de yaourt en vue de nettoyer le gros intestin, et avait découvert une bactérie, n’existant à l’état naturel que dans l’intestin du chien, susceptible, selon lui, de ralentir encore plus le processus de vieillissement.

Malgré ses études et tout ce qu’il a testé, Elie Metchnikov est mort à 71 ans, d’une maladie du coeur.
Peu avant sa mort prématurée, scientifique jusqu’à la fin, il en analysa les raisons dans son journal et écrivit ceci:
« Activités intenses et précoces, caractère irascible, tempérament nerveux et adoption tardive d’un régime raisonnable. »

Avouez que cela donne à réfléchir…

Martine Bernier

Claudio Corallo: l’élégant aventurier des saveurs

10 novembre, 2011

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Photo d’Eric Bernier

C’était vendredi dernier. Un rendez-vous pour un article… et une rencontre exceptionnelle. Claudio Corallo était en Suisse entre deux avions, deux destinations, lui qui partage sa vie entre Sao-Tomé e Principe, en Afrique, Lisbonne et Prague. A la fin de l’entretien qui a duré tout l’après-midi, nous avions échangé nos coordonnées personnelles, et nous convenions qu’il ferait escale par chez nous lorsqu’il reviendra, avec son épouse, en février.
J’ai envie de vous faire découvrir cet homme sensible, passionné et passionnant, au destin hors du commun.
Voici l’article tel qu’il paraît aujourd’hui dans l’hebdomadaire « Terre et Nature ».

Parti de l’Italie, son pays natal, Claudio Corallo est devenu un orfèvre en matière de culture de café et de cacao. Lui qui ne se sent bien qu’au cœur de ses plantations africaines est de passage en Suisse pour l’ouverture d’une boutique contenant ses produits hors du commun.

Claudio Corallo est un personnage unique. Il y a en lui autant d’Indiana Jones que de cultivateur amoureux fou de sa terre. Sa vie est une aventure. Et sa terre n’est pas celle de Florence natale. Lui dont sa maman disait: « Tu t’es trompé de lieu de naissance, tu aurais dû naître en forêt! » se spécialise en suivant ses études à l’Institut Agronomique pour l’Outremer avant d’accepter un premier contrat lui permettant de travailler au Zaïre avec un projet de coopération. En 1979, il rachète une plantation de café abandonnée, de 1250 hectares, au fin fond des forêts les moins explorées du pays. Il y plante du café, forme la population locale, apprend la langue et vit dès lors au cœur d’un océan de verdure. Pour y accéder, il faut voyager sur le fleuve, en pirogue ou en bateau à roue et terminer les 95 derniers kilomètres du voyage à pied. Claudio construit une piste d’atterrissage pour rompre un peu l’isolement dans lequel il vit avec sa famille. Les animaux sauvages qui visitent la plantation ne l’effraient pas. Désormais, sa vie est ici, avec son épouse et les trois enfants qui naîtront de leur union.

De la réussite au renoncement

Sa plantation, il lui prodigue les meilleurs soins. En 1989, sa première production est une merveille de qualité. Mais huit ans plus tard, la situation politique du pays se dégrade et il doit tout abandonner précipitamment. « J’avais senti venir le vent, raconte-t-il. En 1993, j’avais loué une plantation à Sao Tomé-e-Principe, deux îles qui représentent l’un des plus petit pays d’Afrique, dans l’Atlantique Sud, et j’y avais installé ma famille. Quand je suis parti à mon tour, il a fallu tout recommencer. J’ai planté du café sur une île et du cacao sur l’autre. Aujourd’hui, j’y vis toujours. »
Le déchirement de ce départ d’un pays où il a laissé son cœur n’empêche pas Claudio de se remettre au travail sans attendre. Au fil du temps, il rachète ses nouvelles plantations. Sur Sao Tomé, dans sa plantation de Nova Moka, il cultive le café avec sa famille, fort de l’expérience d’une vie. Sur Principe, dans sa plantation de Terreiro Velho, il apporte la même rigueur et la même attention au cacao, culture nouvelle pour lui. Esthète exigeant avec lui comme avec les autres, il cherche les variétés possédant les meilleures saveurs, est partout sur le terrain et se jette à corps perdu dans le travail. Il développe une méthode de fermentation naturelle, trouve la courbe thermique idéale pour un séchage optimal des fèves.

Le must du cacao

Le résultat est magnifique. Ses fèves de cacao n’ont pas d’amertume agressive. Leur douceur permet de limiter l’apport de sucre lors de la préparation du chocolat. Les saveurs de chacun des produits issus des deux plantations de cacao comme de café ressemblent au maître des lieux: raffinées, authentiques, tout en nuance. Désormais, ce cacao, ce chocolat et ce café qui se trouvaient jusqu’ici dans les épiceries fines et autres commerces spécialisés, se retrouvent dans l’élégante boutique ouverte depuis peu à Nyon (VD) tenue par Patrick de Carvhalo, collaborateur de Claudio Corvallo.
Celui-ci revient désormais deux fois par an en Europe pour assurer le négoce de ses produits et aller à la rencontre de ses clients. Partout où il passe, il fascine et passionne ses interlocuteurs par son savoir, ses valeurs, sa sensibilité et son expérience. Sa vie est un roman qui l’a entraîné jusqu’en Bolivie où il a partagé son savoir avec des planteurs locaux. De son départ du Zaïre et de ses premières plantations où plus jamais personne n’est retourné, il parle avec tristesse mais sans aigreur. L’amertume ne fait décidément pas partie de la vie de Claudio Corallo…

Martine Bernier

Promeco Af Sarl, Patrick et Nadea de Carvalho, route de St Cergue 39, 1360 Nyon. Tél. 022 556 76 86
Site: www.claudiocorallo.com

Quand Caspar David Friedrich voit double

31 octobre, 2011

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Certains artistes représentent de vrais soucis pour le chercheurs.
Oubliés, morts dans l’indifférence la plus absolue, leurs collections sont dispersée, mal répertoriées.

Caspar David Friedrich est l’un d’eux.
Lorsqu’il est mort, à Dresde, en 1840, sa disparition n’a intéressé personne et la plupart de ses peintures ont disparu.
De temps en temps, l’une d’elle réapparaît, à la plus grande joie des collectionneurs et des musées.
Enfin… presque.
Car il arrive aussi que ceux-ci s’arrachent les cheveux lorsqu’elles réapparaissent… en plusieurs exemplaires.
C’est le cas pour le tableau ci-dessus, intitulé « Paysage en hiver ».

Il a été redécouvert dans une collection privée, à Paris, en 1982, et acheté cinq ans après par le National Gallery, ravi d’acquérir une oeuvre de ce peintre oublié.
On peut imaginer la stupéfaction et la consternation générales lorsque le musée de Dortmund a annoncé, vexé, qu’il possédait déjà un tableau quasi identique du même artiste, retrouvé pendant la Seconde Guerre mondiale à Dresde.
Il en a pu en peindre plusieurs, direz-vous?
Et bien non: des documents du XIXe siècles recensant les toiles du romantique allemand indiquent qu’il n’existe qu’un exemplaire de ce tableau.

Lequel des deux musées avait l’original?
Leurs laboratoires se sont mis au travail pour analyser les toiles et ont fini par conclure que c’est le National Gallery qui avait la toile authentique.
L’analyse réflectrograme du dessin préparatoire montrait un trait précis dans la première version alors que la seconde ne comportait pas de dessin, ce qui était du jamais vu dans l’oeuvre du peintre.

L’autre toile est donc soit une copie d’élève, soit une réplique réalisée par l’artiste lui-même, soit un faux.
Caspar peut être content: il a refait parler de lui…

Martine Bernier

Brassens est dans notre ADN

25 octobre, 2011

Hier soir, au cours d’une émission consacrée à Georges Brassens, qui aurait eu 90 ans cette année, le jeune présentateur demandait à un invité comment il expliquait que l’artiste faisait à ce point partie de l’ADN des Français.
Jolie et juste phrase…
Je ne vais pas vous raconter sa vie: d’excellents livres et de magnifiques émissions s’en sont chargés.
Je suis comme la plupart d’entre nous: une inconditionnelle de l’homme comme de l’artiste.
Comme je lui suis toujours de Jacques Brel.

Brassens, je ne sais même plus comment je l’ai découvert.
Je crois qu’il a toujours été là, je l’ai toujours entendu, écouté.
J’ai dû être nourrie à ses chansons.

J’ai deux anecdotes à son sujet, dont une qui m’amuse encore aujourd’hui.

J’avais 8 ans quand mon père, qui rêvait de savoir jouer de la guitare et qui avait détecté en moi une bonne oreille musicale, m’a inscrite à un cours.
Je crois y avoir été trois fois.
Ma petite guitare avec ses cordes en acier me déchiquetait les doigts.
J’ai appris une gamme et les premières notes de « L’Eau Vive ».
Puis j’ai montré mes mains à mon père et je lui ai expliqué, avec mes mots, que je n’avais plus envie d’aller à ces cours, car la guitare faisait trop mal.
L’année suivante, mon père était mort, et je me retrouvais avec un sentiment de culpabilité.
Je ne lui avais pas fait ce plaisir…

Un an plus tard encore, j’avais un accident et je me cassais un poignet et quelques doigts de la main gauche.
La rééducation ne me rendait pas ma force.
Un jour, en écoutant « L’Auvergnat », j’ai eu envie d’accompagner Georges Brassens, pour le plaisir et pour me prouver que je pouvais « récupérer » ma main.
Au fils des semaines, j’ai hérité d’une vieille guitare dont des amis se débarrassaient, j’y ai mis des cordes en nylon, ayant retenu que les cordes étaient respectivement des mi -la-ré-sol-si-mi, je l’ai accordée sur celle de Brassens en écoutant en boucle ses chansons, et j’ai cherché pendant des heures la position des doigts, avec comme seule aide une feuille où j’avais recopié les accords basiques.
Bien plus tard, quand on me posait la question, j’expliquais que j’avais appris à jouer avec Brassens, ce que je dis toujours aujourd’hui.
Je ne pouvais pas rêver meilleur professeur!

Des années plus tard, alors que j’abordais la trentaine, j’ai fait la rencontre du chanteur Bruno Brel, neveu du Grand Jacques.
J’avais été le voir en concert, avais été bouleversée par sa voix, son talent et sa ressemblance avec son oncle, et j’avais fait sa connaissance.
Nous sommes devenus amis, et il est venu plusieurs fois, avec ses musiciens ou non, passer quelques jours chez moi.
Nous parlions, je l’écoutais chanter des nuits entières.
Je me suis occupée de la sono de deux de ses concerts, bref, nous passions de bons moments.
un soir, il m’a raconté son amitié avec Brassens et m’a tendu sa guitare en me disant: « C’est son luthier qui me l’a faite. Il l’a essayée, et l’a trouvée excellente. »
Il m’a confié la guitare que Brassen avait tenue entre les mains.
J’ai joué quelques notes.
Elle était douce et moelleuse, donnait des notes pures, solides.
Un moment d’émotion intense pour moi.

Quand Brassens est parti, en 1981, à l’âge de 60 ans, j’ai pleuré, comme des milliers de gens.
Et puis j’ai réalisé qu’il ne partirait jamais complètement.
Il nous a laissé un bel héritage et le souvenir d’un être lumineux.

Martine Bernier

Quand un jeu d’enfant finit mal

28 septembre, 2011

Lorsque je suis arrivée dans son village, station de montagne, Jean-François avait déjà cinquante ans bien tassés.
Moi, je n’en avais pas vingt, je commençais à peine à choisir mon destin.
C’était un homme jovial, trapu, large d’épaules, pas très grand mais costaud.
Il riait très fort.
Et pourtant, il avait un regard terriblement triste, comme perdu, que son sourire permanent n’arrivait pas à faire oublier.

Très vite, nous sommes devenus amis.
Marié, sans enfants, Jean-François me disait que j’étais « la gamine qu’il aurait aimé avoir ».
En riant, je lui répondais: « Tu n’aurais pas préféré un garçon? »
Ce à quoi il répondait: « Non, jamais! »

Il était soigné pour une dépression dont je ne connaissais pas l’origine.
Ce qui n’a pas empêché qu’un jour, en arrivant sur mon lieu de travail, une connaissance commune m’a dit que l’épouse de mon ami était arrivée juste à temps pour lui sauver la vie.
Il s’était pendu dans la grange.
Et, m’a-t-on dit, ce n’était pas la première fois.
Pendant plusieurs semaines, je ne l’ai pas vu.
Il avait été hospitalisé dans une maison de repos.
Je lui ai téléphoné plusieurs fois.
Je lui disais que je l’attendais.

Un jour, j’ai entendu son grand rire, je me suis retournée: il était là.
Nous avons été nous asseoir dans un coin, et, cette fois, je lui ai posé la question que j’évitais jusque-là.
« Dis-moi… pourquoi as-tu fait cela? Pourquoi es-tu si triste? »
Il m’a regardée longuement, ses yeux se sont remplis de larmes, et il m’a répondu:
« Parce que j’ai tué mon frère… »

Et il m’a raconté, en pleurant.
Il n’avait pas dix ans.
Deux frangins entre lesquels il y avait une petite rivalité de petits hommes.
Deux gosses qui aimaient jouer aux chevaliers, à la guerre.
Sauf que ce jour-là, la guerre a mal tourné.

Ce n’était pas voulu, un accident stupide.
Un geste malencontreux, avec leurs armes de petits garçons.
Et l’un des deux ne s’est pas relevé.

Depuis, Jean-François traînait comme autant de boulets son chagrin, sa culpabilité, la douleur de sa mère, la souffrance de son père.
Quarante ans après, il pleurait toujours, regrettait amèrement.

« Comment veux-tu que je vive avec ça… J’ai tué mon frère. »

Que vouliez-vous répondre à cela?
Tous les mots qui peuvent maigrement consoler lui avaient déjà été dits depuis des années.
Je les ai répétés, je lui ai pris la main, l’ai serrée très fort.
Nous avons parlé longuement, souvent.
Puis la vie m’a emportée ailleurs.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu…
C’était il y a déjà longtemps.

En écoutant les informations, hier, et en découvrant le drame vécu dans cette école où une fillette a perdu la vie lors d’une bousculade, j’ai pensé à Jean-François et au petit garçon sans histoire qui a donné le coup de pied fatal.
Un accident… et une souffrance immense.

Martine Bernier

Victor Hugo, la peine de mort et… nous.

21 septembre, 2011

Je n’admire pas Victor Hugo uniquement pour ses talents d’écrivain.
J’aime aussi et surtout chez lui la ferveur avec laquelle il s’est engagé dans son combat contre la peine de mort.
Il l’a mené avec un courage et une constance admirables.
Enfant, il avait été bouleversé après avoir vu un condamné conduit à l’échafaud, sur une place de Burgos.
Adolescent, il avait tout aussi mal supporté la vue des préparatifs du bourreau dressant la guillotine en place de Grève.
Hanté par ce qu’il appelait un « meurtre judiciaire », il a tenté toute son existence de sensibiliser et d’infléchir l’opinion en décrivant l’horreur de l’exécution, sa barbarie, en démontrant l’injustice (les vrais coupables sont la misère et l’ignorance) et l’inefficacité du châtiment.
Il a tout fait pour se faire entendre, utilisant sa notoriété d’écrivain, sa parole d’homme politique.
Il a également écrit, à 27 ans, un roman-manifeste: « Le Dernier Jour d’un condamné » dans lequel il parle à la première personne.
Ses descriptions d’exécutions particulièrement cruelles, il les justifiait par ces mots:
« Il faut donner mal aux nerfs aux femmes des procureurs du roi. Une femme, c’est quelquefois une conscience ».

Oui…
Pas toujours.

Aujourd’hui, s’il revenait, Victor Hugo serait heureux de constater que, en France comme dans bien d’autres pays, l’abolition de la peine de mort a été acceptée.
Ce soir, il tournerait les yeux vers la Géorgie, et serait sans doute bouleversé de voir que l’un des pays soi-disant les plus civilisés du monde, va ôter la vie d’une personne qui semble innocente.
Ou en tout cas, contre laquelle il n’existe pas de preuves tangibles.
Il serait bouleversé, j’imagine.
Comme je le suis.

Je ne parle pour ainsi dire jamais deux jours de suite du même sujet dans Ecriplume.
Mais ce soir…
A l’heure où j’écris ces lignes, la soirée a commencé et il ne semble plus y avoir le moindre d’espoir que soit épargné Troy Davis.
Partout dans le monde, la colère et l’indignation grondent.

Mais, semble-t-il, rien n’y fait.
La femme et les enfants du policier tué il y a 20 ans seront présents pour l’exécution, et se disent ravis de voir enfin la justice rendue.
La Justice à laquelle nous assistons ces derniers jours aux Etats-Unis…
N’est-ce pas un vulgaire simulacre?
Il fallait un coupable, celui-ci était bien pratique.

Vingt ans de combat pour rien.
Bien sûr, on dira: au moins il est resté en vie 20 ans de plus.
Oui… mais quelle vie?
Si cet homme est bien innocent comme on peut le penser, à quoi rime ce qu’il a vécu, ce qu’il s’apprête à vivre cette nuit?
Sa vie a été un cauchemar, une horreur absolue.
Peut-on imaginer son désespoir, sa rage, ce sentiment d’impuissance épouvantable, cette solitude imposée, cette privation de tout, tout au long de ces années interminables et pourtant trop courtes?
S’il est bien innocent, on lui a volé sa vie, on a sali son nom.
Et cette nuit, on va lui imposer la mort.
Une mort indigne.

Elle est belle, la justice américaine…

Comme je l’écrivais ce matin, je sais que je ne suis pas responsable de la misère du monde.
La honte que je ressens ce soir face au geste qui va être commis, je ne la ressens que parce que je fais moi aussi partie de cette race humaine… plus inhumaine que n’importe quelle autre créature sur Terre.
Et je sais que si je n’essayais pas de changer les choses, d’améliorer ce qui peut l’être, avec mes très petits moyens, je me sentirais aussi infâme que ceux que je méprise.
Il n’en reste pas moins que, ce soir, c’est à un terrible échec auquel nous assistons.
Il ne faudra pas oublier Troy Davis.

Le combat pour les Droits de l’Homme ne s’arrête malheureusement pas à lui.
Des situations lamentables de ce genre, il y en a beaucoup.
Je voudrais rappeler le cas de Asia Bibi, qui est condamnée à mort au Pakistan pour blasphème.
Celle dont on dit qu’elle va mourir pour un verre d’eau.
Elle a simplement refusé de renier sa foi chrétienne en faveur de l’Islam.
Ses collègues de travail ont réagi avec violence.
Sous la pression de la foule, la police n’a pas osé protéger cette mère de famille de 45 ans et l’a arrêtée pour blasphème.
Elle est en détention depuis un an, condamnée, donc à la pendaison. Sa famille a dû quitter son village et vit dans un lieu tenu secret.
Deux personnalités (un gouverneur musulman et un ministre chrétien) qui ont voulu prendre sa défense ont été assassinés.
Elle a lancé un appel au secours dans un livre appelé « Blasphème » paru à Oh Editions.

Et que l’on ne vienne pas me dire: nous n’y pouvons rien, c’est leur culture!
Trop facile…
Vraiment trop facile.

Martine Bernier

Picasso: un sens percutant de la répartie

10 septembre, 2011

Que l’on aime ou que l’on n’aime pas Picasso, il faut admettre que cette personnalité complexe est inoubliable.
Ses réparties cinglantes se dégustent ou font encore grincer des dents à travers certaines anecdotes qui circulent toujours à son sujet.

En 1937, la Guerre civile met l’Espagne à feu et à sang.
Le 26 avril, en plein jour de marché, les avions allemands de la légion Condor bombardent la ville basque de Guernica, près de Bilbao.
C’est un massacre.
Cinquante tonnes de bombes incendiaires et à fragmentation arrosent la ville.
L’Allemagne nazie tue là 1654 civils et fait 889 blessés.
Bouleversé, Pablo Picasso exprime sa rage dans un tableau monumental, Guernica.
Pendant l’occupation nazie de Pars, des soldats allemands viennent un jour visiter son appartement.
L’un d’eux, devant une photo du tableau Guernica interroge le peintre:
- C’est vous qui avez fait cela?
Picasso aurait répondu:
- Non. C’est vous.

Après la deuxième guerre mondiale, les prix des tableaux de Picasso se sont envolés.
Une richissime collectionneuse américaine, totalement inculte en la matière (hé oui!) visite l’atelier de l’artiste.
Son comportement est insupportable: suffisant, snob, vaniteux, prétentieux.
Elle s’arrête devant l’une des oeuvres cubistes et la désigne d’un geste du menton:
- Et celle-là, qu’est-ce qu’elle représente?
- Deux cent mille dollars.

Martine Bernier

François Cevert

19 août, 2011

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Je ne connais rien à l’univers des sports motorisés.
Enfin presque…
Dans les années 70-80, alors que j’étais adolescente, j’étais passionnée par la course automobile.
Il faut dire que le circuit était fréquenté par des personnalités lumineuses.
Jacky Stewart, Ronnie Peterson, Jean-Pierre Beltoise, Clay Regazzoni…
Et puis… François Cevert.
Il était le dauphin de Jacky Stewart sur Tyrrell, beau-frère de Beltoise, très bon pilote.
Il était surtout d’une beauté à couper le souffle, jouait du piano, avait un charme fou.
Il était surnommé « Le Prince », c’est tout dire.
J’imagine qu’à l’époque, des milliers de femmes se sont intéressées à son sport uniquement dans l’espoir de l’entrevoir au départ ou sur les marches du podium.
Et puis…
Il est entré dans la légende le 6 octobre 1973 en se tuant dans un accident lors des essais qualificatifs pour le grand prix des Etats-Unis, sur le circuit de Watkins Glen.
Ca a été un choc immense.
En 1978, Ronnie Petterson est mort en course, lui aussi.
En 1980, Clay Regazzoni était victime d’un accident épouvantable qui l’a laissé handicapé.
J’ai arrêté de suivre les compétitions, écoeurée par le manque de sécurité des véhicules et des circuits, par ce sport qui tuait ou blessait ses héros.

Le temps a passé.

Mercredi, je suis allée faire un reportage chez une personne à Genève, pour un sujet qui n’avait initialement rien à voir avec les sports motorisés.
Dans la conversation, j’ai découvert qu’il avait fait de la moto de course à un haut niveau, qu’il avait été mécanicien sur voitures de compétition dans une autre vie.
Nous avons parlé, et je lui ai confié mon ignorance, sauf en ce qui concernait cette dizaine d’années précise qui a marqué mon tout jeune âge.
Et je lui ai parlé de François Cevert, inoubliable.
Et là…
Ce monsieur m’a emmenée dans un local ou une forme était cachée par une bâche, sur des tréteaux.
Il a ôté la bâche et je me suis trouvée devant… l’une des voitures marquées Elf, pilotées par François Cevert à l’époque.
Il l’avait rachetée et la retapait avec la ferme intention de lui donner une deuxième jeunesse et de lui permettre de rouler à nouveau.
J’ai été émue de voir l’habitacle si étroit, les réservoirs d’essence, l’absence de systèmes de sécurité.
J’ai caressé la carrosserie.

Quand j’ai pris congé, j’avais une foule de choses importantes dans la tête.
Mes rendez-vous, les articles à écrire…
Mais, dans un coin de ma mémoire, je garde ce moment rare et précieux.
Qui, pour quelques minutes, a rendu la vie à un homme fascinant.

Martine Bernier

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