Archive pour la catégorie 'Destins'

Yul Brynner à Luzé

16 août, 2011

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Yul Brynner a fait rêver des générations de cinéphiles et se pâmer pas mal de femmes.
Son regard pénétrant, sa plastique irréprochable, son charisme, sa personnalité: il avait tout pour plaire.
Un voile de mystère entourait le personnage, notamment en ce qui concerne ses origines.
Il aimait brouiller les cartes, parlait plusieurs langues parmi lesquelles le français, s’est marié quatre fois.
Né Juli Borisovitch Bryner le 11 juillet 1920 à Vladivostok selon certains, ou le 7 juillet 1915 à l’île Sakhaline selon d’autres, en Russie, il était le fils d’un ingénieur suisse, et de la fille d’un médecin russe de confession juive, ayant également des origines bouriates.

Pur joyau hollywoodien, il aurait été normal qu’il termine sa vie en Amérique.
Mais non.
Très attaché à la France où il possédait notamment une propriété dans le Calvados, il y est décédé en 1985, et repose dans la terre du monastère de Bois-Aubry, non loin de Luzé, en Indre-et-Loire, un lieu qu’il n’a sans doute jamais fréquenté, pense-t-on.
Seul lien entre lui et ce monastère: ce dernier appartenait à l’époque à une communauté de confession orthodoxe, religion qu’a pratiqué Yul Brynner durant toute son existence.
Personne ne sait pourquoi ce lieu est devenu sa dernière demeure alors qu’il aurait dû être enterré dans la nécropole russe de Sainte-Feneviève-des-Bois, en région parisienne.
Il semblerait qu’une erreur administrative soit responsable de cette situation.

Rachetée par un Belge, la propriété ou ce qu’il en reste se visite sur rendez-vous et, paraît-il, vaut le détour.
L’Abbaye a 900 ans et vieillit mal.
Le nouveau propriétaire prévoit d’y réaliser des travaux importants, raison pour laquelle en a créé l’Association abbaye royale Saint-Michel- de Bois-Aubry.
Parmi les signataires dont le nom est célèbres, se trouve un certains Rock Brynner, l’un des cinq enfants de l’illustre comédien…

Martine Bernier

http://www.abbayedeboisaubry.fr/

Alphonse Allais: le premier des humoristes français

8 août, 2011

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A la fin du 19e siècle, alors que le rire se portait de préférence gras et que les calembours pesaient des tonnes, Alphonse Allais a quasiment inventé l’humour.
Avec son esprit très proche de l’humour britannique, il est le fondateur de la littérature française de l’absurde.
En principe, rien ne vieillit plus vite qu’une oeuvre drôle.
Pourtant, les contes et les bons mots d’Allais continuent, des siècles plus tard, à déclencher l’émerveillement et le rire, sans avoir pris une ride.

Le petit Charles-Alphonse Allais est né le 20 octobre 1854 à Honfleur, le même jour que Rimbaud.
Jusqu’à l’âge de trois ans, il ne prononcera pas un mot, si bien que ses parents le croyaient muets.
Après des études banales, il devient stagiaire dans la pharmacie paternelle.
Il faudra attendre son service militaire au 119e de ligne pour qu’Allais entre dans la légende grâce à quelques hauts faits non pas d’armes, mais d’esprit.
Il commença par se rendre célèbre auprès de ses camarades en entrant dans une salle remplie d’officiers et en lançant un tonitruant: « Bonjour, M’sieurs Dames! ».
Oui.
Ca étonne.
Lorsque son colonel accorda une permission de nuit aux hommes mariés, le soldat Allais disparut pendant 24 heures.
A son retour, il se justifia en expliquant qu’il avait droit à « une perm’ de jour » en plus puisqu’il était… bigame.
Histoire de peaufiner son personnage, il avait pris l’habitude d’appeler ses supérieurs: carporal, carpitaine, cormandant, ce qui lui valu une paix royale, sa hiérarchie le prenant pour un idiot fini.

De retour à la vie civile, Alphonse abandonne la pharmacie et se lance dans le journalisme et la littérature.
Il fait ses débuts à Paris, au célèbre cabaret « Le Chat Noir », où il roule le tambour.
Il fera partie du club des Hydropathes (ceux à qui l’eau fait du mal), l’un des centres du mouvement littéraire de l’époque.
Le club se scinde en deux écoles: Les Hirsutes et les Fumistes dont Allais deviendra le chef.
Il devient rédacteur en chef du journal du Chat Noir, et commence à écrire des contes tout en tenant une rubrique littéraire la « La Vie drôle », avec une verve étourdissante.
Là encore, sa façon d’aborder la vie ne passe pas inaperçu.
Alors qu’il travaillait comme jeune journaliste, il avait pris l’habitude d’aller voir le caissier chaque mois et de lui dire:
- Bonjour, je viens toucher MON appointement.
Au bout de quelques mois, le caissier lui fait remarquer que l’on dit « MES » appointements.
Sa réponse:
- Oui, je sais, mais je ne vais quand même pas déranger le pluriel pour si peu!

Ses livres sont des trésors de drôlerie, qu’il surnommait « ses oeuvres anthumes ».
Les posthumes viendraient plus tard.
Il était aussi très connu pour ses bons mots.
Je vous en laisse quelques-uns dont je ne me lasse pas.

- Assis à la terrasse d’un café, il lui crie: « Garçon, un Picon grenadine… et un peu moins de vent, svp! »

- Un jour, avec ses amis, il se trouve par hasard dans la minuscule gare de Dozule-Putot. Il fait venir le chef de gare et lui dit: « Je tiens à vous féliciter, vous avez là une ravissante petite gare. Vous auriez cela ue St Lazare à Paris, vous auriez un monde fou! »

- Voyageant en Belgique, il envoya à l’un de ses amis un bouchon sur lequel il avait gravé ses mots: « Souvenir de Liège. »

Cet homme si spirituel était pourtant lugubre, dit-on.
Personne ne se souvenait l’avoir vu rire, et il prenait un air sinistre lorsqu’il plaisantait.
Comme il écrivait toujours au café, il s’adonna vite à la boisson, à l’absinthe plus précisément.
Et Sacha Guitry disait de lui « Jamais vu ivre, jamais dégrisé ».

En 1905, Alphonse Allais eu une phlébite.
Le docteur lui ordonna six mois de lit.
Rencontrant un ami, il lui demanda de le reconduire à l’hôtel Britannia où il habitait en l’absence de sa femme.
En le quittant, il lui a dit: « Demain, je serai mort. Vous trouvez ça drôle, mais moi je ne ris pas. Demain, je serai mort. »

Le lendemain, il mourait d’une embolie foudroyante, à 51 ans.
Il a été enterré au cimetière de St Ouen.
Mais sa tombe disparut en 1944 au cours d’un bombardement.

Ainsi est parti celui qui disait: « Dieu a agi sagement en plaçant la naissance avant la mort, sans quoi que saurions-nous de la vie? »

Martine Bernier

Luigi le Berger

4 août, 2011

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En 1990, le photographe suisse Marcel Imsand a sorti l’un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné d’avoir entre les mains: « Luigi le Berger ».
A travers ses photos et la plume de Bertil Galland, il y racontait l’histoire de Luigi Cominelli, le berger bergamasque avec lequel il partageait une solide amitié.
Il traversait les pâturages suisses en compagnie d’un immense troupeau de moutons qu’il guidait en transhumance.
Les lecteurs découvraient, fascinés, un personnage incroyablement charismatique, dont l’image n’a plus cessé de hanter chacun de ceux qui ont lu son histoire le livre.
Les photos, si belles, ont paru dans la presse, et ont été exposées à la Fondation Gianadda en 2005.
Le beau berger est passé à la télévision.
Ses yeux clairs, sa force et son accent touchaient.

Je crois que l’on aimait Luigi pour sa sagesse, sa liberté, son naturel, sa calme philosophie, son réalisme, son amour pour la nature, les animaux.
Nous ne croiserons plus la route de ses troupeaux.
Luigi est décédé samedi, d’un cancer de l’estomac.
Il avait 52 ans.
Sa famille, ses amis parmi lesquels Marcel Imsand, doivent être terriblement tristes.
Avec eux, des centaines d’anonymes ont de la peine.

Martine Bernier

Si vous aussi vous voulez découvrir Luigi:

http://www.tsr.ch/video/emissions/passe-moi-les-jumelles/450602-luigi-le-berger.html#id=450602

Jules Renard et Poil de Carotte

23 juillet, 2011

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Sans doute connaissez-vous l’histoire de Poil de Carotte, cet enfant roux, sensible et mal aimé.
Saviez-vous qu’il s’agit d’une histoire autobiographique signée par Jules Renard, l’un des plus fins esprits de son époque (1864 – 1910)?

Il était le quatrième enfant d’un ménage mal assorti marqué par le malheur.
Les époux Renard (qui servent de modèles à M. et Mme Lepic), avaient subi un terrible choc.
Leur premier enfant, Amélie, était mort à l’âge de deux ans.
François, le père, bouleversé par ce deuil, avait pensé mourir, lui aussi.
Depuis, plus rien n’avait été pareil, le couple vivait dans une quasi indifférence.
Malgré cela, deux autres enfants naquirent: Amélie deuxième du nom, et Maurice.
C’est dans une ambiance de rancoeur partagée et de haine que Jules est né à son tour le 22 février 1864.

Dès que son père a aperçu la chevelure blond-roux de son rejeton, elle l’a baptisé Poil de Carotte.
Pour elle, l’enfant n’aura jamais d’autre nom.
Cette maternité, elle n’en voulait pas.
Pour se venger de la maladresse de son mari, elle reporta toute sa tendresse sur ses deux aîné, confondant dans une même haine son mari et son cadet.
François Renard s’est muré dans le silence, se bornant à écrire sur une ardoise les rares mots qu’il veut communiquer avec sa femme.
C’est dans ce foyer à l’ambiance irrespirable que Jules a grandi, marqué par les haines injustes et l’agressivité latente.

Jules a rapidement fréquenté les cafés littéraires, courant les éditeurs pour présenter des textes toujours refusés.
Pour survivre, il pratiquait de petits métiers, écrivant: « Je sais enfin ce qui distingue l’homme de la bête: les ennuis d’argent. »

En 1888, il épouse Marie, une jeune fille de 17 ans dont la mère, veuve, a du bien.
Grâce à l’argent de sa femme, il peut faire éditer ses nouvelles, ce qui lancera sa carrière.

Jules Renard est une espèce de naturaliste du genre humain.
Son credo: ne tromper personne, et surtout pas soi-même.
Sous son regard aigu comme une lame, il analyse l’homme avec méticulosité, l’observant comme un insecte.
Il nous a laissé des perles.
En voici quelques-unes.

- On place ses éloges comme on place de l’argent, pour qu’ils nous soient rendus avec les intérêts.
- Pour arriver, il faut mettre de l’eau dans son vin jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de vin.
- Pour bien arriver, il faut d’abord arriver soi-même, puis, que les autres n’arrivent pas.
- L’ironie est la pudeur de l’humanité
- La vie n’est ni longue ni courte, elle a des longueurs.
- Ne réveillez pas le chagrin qui dort…

Jules Renard donna à sa famille tout ce qu’il n’avait jamais reçu de la sienne.
Il fut le meilleur des époux, le plus tendre des pères.
Lui qui pensait rester méconnu reçu la Légion d’Honneur, devint maire de son village de Chitry…
Pourtant, il restait sans illusion, écrivant: « Je vois très bien mon buste avec cette inscription: A Jules Renard, ses compatriotes indifférents. »

A Paris, ses amis s’appelaient Tristan Bernard, Alfred Capus, Edmond Rostand, Lucien Guitry…
On imagine les conversation éblouissantes qui devaient s’échanger entre ces fins esprits…

Le malheur ne l’a jamais vraiment quitté.
En 1897, son père se tire une balle en plein coeur.
Son frère et sa soeur son morts, eux aussi.
Ne reste que sa mère qui ne peut lui pardonner de l’avoir immortalisée sous les traits de Madame Lepic.
En lisant Poil de Carotte, elle n’a dit que deux mots: « Chien d’encre ».
Son fils, lui, disait d’elle: « Maman a eu un tas de qualités naissantes qui n’ont pas grandi ».
En août 1909 où il lui avait rendu visite, il entendit un domestique hurler.
Madame Renard mère venait de tomber dans le puits.
Suicide ou accident, personne ne le saura jamais.

Jules a survécu moins d’un an à celle qui l’a rendu si malheureux.
A 46 ans, il mourut « d’une immense fatigue ».
Sa femme se hâta de brûler des centaines de pages de son « Journal », qu’elle considérait non conforme à la morale de l’époque.
Une perte irréparable pour la littérature, une fois encore victime des bons sentiments…

Martine Bernier

Les facéties de Chopin

16 juillet, 2011

Frédéric Chopin (1810 – 1849) était un compositeur sensible et émouvant, c’est connu.
Lui qui a commencé à composer à l’âge de sept ans et qui a commencé à jouer dans un salon de l’aristocratie de Varsovie l’année suivante.
C’était un virtuose prodigieux, que l’on a comparé à Mozart et qui a enchaîné la création de chefs-d’oeuvre.

Bouleversé par la répression sanglante de l’insurrection nationale polonaise menée par le tsar de Russie, Chopin s’est installé définitivement à Paris en 1830.
Ses amis s’appelaient Franz Liszt, Hector Berlioz ou Eugène Delacroix.

Cet homme hyper sensible était aussi très drôle.
Quelques anecdotes en témoignent:

Un jour qu’il était invité avec Liszt dans un salon de l’aristocratie parisienne, son ami lui demanda s’il serait d’accord de jouer dans le noir, comme il le faisait souvent pour impressionner son auditoire.
Chopin accepta.
Rideaux tirés, obscurité totale… la musique s’élève, sublime.
A la fin du morceau, le public applaudit à tout rompre, la lumière revient et… on découvre que Franz a pris la place de Frédéric au piano.
Franz se retourne vers son ami et lui demande ce qu’il a pensé de sa prestation.
- Je pense comme tous ceux présents ici, que j’ai cru entendre jouer Chopin.
Et Liszt lui répond:
- Vous voyez: Liszt peut devenir Chopin. Mais Chopin pourrait-il être Liszt?

Chopin, à une période de sa vie porta la barbe.
Mais pas comme tout le monde: uniquement d’un seul côté du visage.
A ceux qui l’interrogeaient sur cette particularité, il expliquait que, dans sa profession, cela n’avait pas d’importance: de toute façon, les spectateurs ne voyaient que la moitié de son visage.

A Paris, Chopin était aimé, reconnu.
Il était devenu le professeur le plus prisé de l’aristocratie.
En contrepartie, lorsqu’il était invité à dîner, il était devenu fréquent qu’à la fin du repas, la maîtresse de maison le dirige vers le piano.
Un soir, l’une de ses dames s’arrange pour précipiter le dîner, pressée d’entendre le maître.
Elle somme ses convives de rejoindre le salon, persuadée que Chopin va s’exécuter, comme toujours.
Mais c’est à ce moment précis que le musicien se lève, demande son chapeau et prend poliment congé.
Outrée, l’hôtesse s’indigne, s’énerve, et insiste lourdement sur le fait qu’il a été invité à dîner.
Avec la politesse la plus exquise, le compositeur répond: « Oh, Madame… j’ai mangé si peu. »
Et il part.
Sacripant, va!

Martine Bernier

Balzac et l’Etrangère

9 juillet, 2011

S’il avait fallu choisir un écrivain doté de suffisamment d’imagination et de ténacité pour écrire la vie incroyable d’Honoré de Balzac (1799 – 1850) c’eut été… Balzac lui-même.
Comme les personnages de ses histoires, et comme son père le fut avant lui, il a été le modèle le plus pur du héros balzacien: assoiffé de considération sociale et obsédé par sa quête matérielle.
Tout dans sa vie est étonnant, y compris la vie de son propre père, onzième enfant d’une famille pauvre de paysan du Tarn.
Ce père n’avait pas de particule.
Il s’appelait simplement Bernard François Balssa.
Parti à pied pour Paris où il voulait faire fortune, il s’est retrouvé à Tours où il devint adjoint au maire et administrateur de l’hospice.
Une notabilité locale qui l’a poussé à transformé son nom en Balzac, un nom auquel il ajoutait de temps en temps le petit « de ».

Plus tard, son fils Honoré adoptera définitivement la particule hasardeuse.
A 53 ans, Bernard François épouse la jeune et jolie Laure Salambier qui a 32 ans de moins que lui, dont il aura quatre enfants.
Le 20 mai, jour de la St Honoré, naquit un fils baptisé du nom de ce saint.
Placé en nourrice dès sa naissance, puis mis en pension au collège du Vendôme, il se sentira abandonné.
D’autant que, dans cette véritable prison dans laquelle il passera huit ans, ses parents ne lui rendront visite que trois fois.
Plus tard, il écrira qu’il n’a jamais eu de mère.
Est-ce un hasard si, à 22 ans, son première amour s’appelle Laure comme sa mère?
Une mère de famille de sept enfants, âgée de 45 ans…

La vie sentimentale d’Honoré sera souvent malheureuse.
Lorsqu’il commence à connaître la gloire, il s’éprend de la Marquise de Castries qui va s’appliquer à humilier publiquement ce « petit parvenu prétentieux ».
Il va ensuite conquérir la Duchesse d’Abrantes (encore une Laure!), veuve déjà âgée du général Junot.
« Délabrée », disent les amis du jeune homme.
Peut-être, oui, mais elle a connu Bonaparte: le jeune écrivain l’écouterait parler durant des heures.

En 1832, Balzac reçoit une lettre anonyme signée « L’Etrangère ».
Cette missive va transformer sa vie.
Il découvre rapidement l’identité de cette admiratrice: c’est une richissime Comtesse polonaise, Eva Hanska, de 24 ans son aînée.
Elle s’ennuie à périr en Ukraine où elle est propriétaire de 22 000 hectares, règne sur 40 000 âmes et mène un bataillon de 2000 domestiques.

Ils se rencontrent pour la première fois en Suisse et tombent amoureux immédiatement.
Durant 43 jours, les amants vont vivre un bonheur absolu.
Mais le mariage est impossible: la belle est déjà mariée.
Ils doivent donc se séparer, mais pas avant que Balzac lui ait fait promettre de l’épouser lorsque mourra son vieux mari.
Il leur faudra attendre dix ans: le vieux mari était solide.
Enfin, le 5 janvier 1842, Eva est veuve, libre, riche et joyeuse!
Balzac, fou de bonheur, prévoit d’épouser son amour… et par la même occasion de régler ses créanciers.

Mais au moment décisif, Eva hésite, tergiverse… et s’enfuit.
Elle refuse de lier son existence à celle d’un petit bourgeois peu raffiné, malade et couvert de dettes.
Histoire terminée?
Non.
Pendant sept ans, ils vont continuer à s’écrire, à se voir dans toute l’Europe.
La santé d’Honoré décline.
A tel point qu’Eva ne se sent plus la force de se refuser à celui dont la fin est si proche.
Le 14 mars 1850, 18 ans après la première lettre de l’Etrangère, ils se marient en Ukraine.
Le jeune marié revient à Paris, sa Comtesse à son bras.
Il ne lui reste plus que cinq mois à vivre.
Balzac disparaîtra alors qu’il pensait avoir enfin gagné le droit d’être heureux…

Martine Bernier

Le mystérieux quatuor Loffler

6 juillet, 2011

Parmi les sujets que j’ai traités pour les besoins de mon travail au cours de ces 25 dernières années, il en est un que je n’oublierai jamais.
Celui de la très mystérieuse famille Loffler dont l’histoire a aujourd’hui rejoint la légende à Cergnat, non loin de Leysin, station des Alpes vaudoises (Suisse).
Le récit m’avait été raconté à l’époque par un ami syndic (traduisez « maire » si vous n’êtes pas Suisse!).

En 2002, pour les besoins de l’article que j’ai eu envie de consacrer à ce père et à ses trois filles, il m’avait permis d’entrer dans la maison de la famille, une maison encore très imprégnée par la personnalité des locataires décédés.
Une demeure refermée sur leurs secrets…

Les araignées avaient tissé leurs toiles sur la boîte aux lettres de la maison qu’habitait autrefois le Quatuor Löffler.
Depuis le décès de Maria, la dernière survivante de la famille, elles étaient les seules locataires du bâtiment abandonné.
Rares sont ceux qui se souviennent du destin de cette famille, composée d’un père compositeur-interprète et de ses trois filles musiciennes, arrivés de Leipzig, en Allemagne, pendant la dernière guerre.
Dans la Vallée des Ormonts, beaucoup les croyaient réfugiés, d’origine juive.
Vérification faite auprès de l’administration communale, Max, Johanna, Susanna et Maria, ont dès le début été enregistrés sous le statut d’artistes et non de réfugiés.
Le brigadier de police, qui connaissait la famille depuis plus de vingt ans, a été nommé liquidateur testamentaire.
C’est lui qui m’a appris que les Löffler, contrairement à ce qui a été dit, n’avaient pas fui l’Allemagne parce qu’ils étaient en danger.
Dès qu’ils ont perçu la montée du nazisme, ils sont partis pour retrouver ailleurs la quiétude qui leur était nécessaire pour travailler.

Avant la guerre, le quatuor s’embarque donc pour les Etats-Unis.
N’y trouvant pas la sérénité recherchée, il rentre en Allemagne au bout de quelques mois.
Puis il repart pour la Suisse, définitivement, cette fois.
Les autorités communales de l’époque leur proposent de s’installer dans l’ancien collège de Cergnat.
Une bâtisse froide, mais tranquille, dans laquelle la famille retrouve la paix.
Lorsque j’ai visité la maison, construite sur la faille de la Frasse, une faille naturelle qui rend le terrain instable, elle était très abîmée.
De guingois, les murs étaient lézardés, endommagés par des infiltrations d’eau.
Le bâtiment, irrécupérable, était condamné à la destruction.
Partout, dans la maison vide de ses habitants, les pianos, clavecins, et autres partitions témoignaient du passé glorieux de cette famille de brillants musiciens.

Parmi les nombreuses photos, aucune trace de la femme de Max Löffler, semble-t-il décédée très jeune.
Rien… pas un signe.
Comme si elle n’avait jamais existé.
Aucune des trois demoiselles ne s’est mariée.
Vouées à la musique, elles chantaient et jouaient de nombreux instruments: violon, violoncelle, guitare, cithare, cuivres.
Du temps de leur splendeur, elles ont joué aux côtés de leur père dans le monde entier, dans les lieux les plus prestigieux, jusqu’à la Cour de la Reine Mère d’Angleterre.
Mais jamais, leur musique n’a été enregistrée ou gravée sur disque.

Dans les Ormonts, la mystérieuse famille vivait retirée, alimentant sans le vouloir les fantasmes les plus farfelus.
Certains affirmaient qu’à leur arrivée en Suisse, les Löffler auraient coulé de l’or dans un de leurs instruments, un cor de chasse.

En fait, ils vivaient chichement.
Ils menaient une vie spirituelle intense, collectionnaient les timbres dans de vieilles enveloppes, stockaient d’énormes sacs de graines pour nourrir les oiseaux, offraient des bouquets aux familles des communiants, et donnaient des leçons de musique à l’école.
Seule Maria parlait français et possédait un permis de conduire.
En 1961, le patriarche décède.
Aucune de ses filles ne l’avait jamais quitté.

Les trois soeurs, amies de Yehudi Menuhin, poursuivent alors une existence retirée et cultivée.
Susanna meurt à son tour en 1976, puis Johanna en 1994, dans une clinique de Leysin où sa soeur, Maria, est elle même décédée en 2000.
Tous ont été enterrés dans le paisible cimetière de Cergnat.
Quand je me suis rendue dans leur maison, ne restaient dans la demeure endormie que des instruments désormais muets, et des cascades de souvenirs accrochés à des photos jaunies.

De leur vivant, Max, Johanna, Susanna et Maria Löffler avaient rêvé de se voir un jour consacrer un musée.
Sans doute est-ce pour cela qu’ils ont fait de la commune d’Ormont-Dessous leur légataire, tandis que celle-ci promettait en contrepartie de continuer à s’occuper de leurs tombes.
Avant de se débarrasser des partitions moisies par l’humidité, la Commune vérifiera que les compositions de Max Löffler ont bien été enregistrées auprès d’une Société d’Auteurs et Compositeurs.

J’ai cru que l’histoire s’arrêterait là et que je resterais simplement avec la très étrange impression ressentie dans la maison.

En 2002, mon article a donc été publié.
Quelques jours plus tard, j’ai reçu une lettre à laquelle était jointe une photo noir-blanc, jaunie.
Celle d’une petite fille d’environ deux ans et d’une dame.
La personne qui m’écrivait m’expliquait qu’elle avait la preuve que l’une des filles Löffler a eu une fille.
Pas de père à l’horizon, mais elle savait que l’enfant avait vécu car elle s’en était occupée.
Un pasteur de la région m’a confirmé l’information.
Mais personne dans la région ne se souvient d’avoir jamais vu cette petite fille.
Parmi les très rares personnes qui m’ont confirmé son existence, tout le monde était assez mal à l’aise.
Les demoiselles Löffler ne fréquentaient pas de messieurs, et personne ne savait ce qu’était devenu l’enfant.
Mon enquête m’a menée jusqu’en Allemagne, chez une lointaine cousine, où j’ai perdu la trace de l’enfant.

Dans le petit cimetière paisible de Cergnat, les quatre musiciens dorment en paix, sans avoir rien révélé de leurs secrets.

Martine Bernier

Franz Liszt

4 juillet, 2011

Il y a ce que l’on sait des personnages célèbres, et ce que l’on sait moins.
De Franz Liszt, personne n’ignore qu’il a été le pianiste le plus important du XIXe siècle.
Il a appris le piano avec son père avant de poursuivre ses études à Vienne, puis est parti à Paris de 1823 à 1835, où il a rencontré Hector Berlioz, Victor Hugo, Frédéric Chopin, Alphonse de Lamartine…
De sa liaison avec la comtesse Marie d’Agoult (aussi connue sous son nom de plume, Daniel Stern), naitront trois enfants.
Leur fille Cosima épousera plus tard Richard Wagner.
Compositeur, pianiste, chef d’orchestre: Franz Liszt a marqué le monde artistique.

Cette partie là, tout le monde la connaît.

Et puis il y a l’autre, parsemée d’anecdotes.
Comme celle-ci:

Liszt a formé des centaines d’élèves.
Un jour, une jeune fille lui rend visite.
Honteuse, elle avoue qu’elle a prétendu être son élève dans le but de voir des portes s’ouvrir devant elle, alors qu’elle ne l’a jamais été.
Le pianiste, qu’elle admire, lui demande d’interpréter pour lui quelques partitions qu’il a écrites.
Il secoue la tête de temps en temps, grimace légèrement.
Lorsqu’elle a terminé, il l’embrasse sur la joue et lui dit:
« Désormais, vous pourrez dire que vous avez été l’élève de Franz Liszt. »

Vous avez dit « la classe »?

Martine Bernier

La petite histoire de Kipling

1 juillet, 2011

Rudyard Kipling, tout le monde le connaît.
Le Livre de la Jungle reste l’une de ses oeuvres majeures que chacun a découvert d’une façon ou d’une autre durant son existence.
Kipling n’était pas qu’un grand écrivain.
C’était aussi un pince-sans-rire et une personnalité riche, comme en témoignent certaines anecdotes.
J’en ai choisi trois parmi celles qui me touchent ou m’amusent le plus.

Kipling donna un jour un paquet de feuilles rassemblées dans une enveloppe à la nurse qui s’occupait de Joséphine, sa fille.
Il lui dit: « Gardez précieusement ce manuscrit. Et vendez-le lorsque vous aurez besoin d’argent. »
Quelques années plus tard, la gouvernante a suivi son conseil.
C’était le manuscrit original du « Livre de la Jungle ».

Un jour où il lisait un journal, l’écrivain découvre une annonce étonnante dans la rubrique nécrologique.
Il prend aussitôt sa plume et écrit au directeur:
Je viens d’apprendre ma propre mort en lisant votre journal. Merci de ne pas oublier de me radier de votre liste d’abonnés. »

Un magazine calcula un jour, alors que Kipling était en pleine gloire, qu’il gagnait un dollar par mot écrit.
L’un de ses fidèles admirateurs, qui essayait d’obtenir en vain un autographe, lui écrit alors ceci:
« J’ai lu que vous gagnez un dollar par mot. Voici un chèque d’un dollar, merci de m’envoyer un échantillon. »
Kipling renvoya un courrier, sans le chèque avec un simple mot: « Merci ».

Martine Bernier

Christiane Desroches-Noblecourt: première femme égyptologue

29 juin, 2011

J’aurais dû en parler plus tôt, mais je n’en ai pas eu le loisir.
Trois phrases dans les journaux télévisés, quelques articles dans la presse écrite ou sur Internet, c’est tout ce qui a salué le décès de Christianne Desroches-Noblecourt, le 23 juin dernier, à l’âge de 97 ans.

Une grande dame.
Elle a terminé sa vie dans une maison de retraite, elle qui a été la première femme égyptologue.
Une femme passionnée par son métier, par cette civilisation qui la captivait.
Personne ne doit ignorer qu’elle est celle qui, en 1954, soutenue par l’UNESCO, a sauvé des eaux du Nil les grands monuments de Nubie que menaçait la construction du barrage d’Assouan, en Haute-Egypte.
Si elle n’avait pas été là, vous n’auriez sans doute plus l’opportunité de voir les temples d’Abou Simbel et Philae tels qu’ils sont aujourd’hui.
C’est elle aussi qui a organisé la grande exposition consacrée à Toutankhamon, à Paris, en 1967.
Exposition qui a accueilli plus de 2 millions de visiteurs.

Sur la quinzaine de livres qu’elle a écrits, j’en ai lu quelques-uns.
Son « Ramsès II » a été un succès auprès du public, il mérite d’être relu.
Car elle ne romançait pas: elle contait, livrait des récits clairs et sérieux, passionnants comme pouvait l’être cette femme au caractère bien trempé, courageux.

Pour moi, elle était de la trempe des Alexandra David-Neal.

Martine Bernier

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