Archive pour la catégorie 'Destins'

Le Douanier Rousseau: le petit devenu grand.

22 juin, 2011

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Pauvre Douanier Rousseau…
J’ai toujours de la peine lorsque je pense à lui.
Il n’aura pas vu le jour où 65 de ses oeuvres ont enfin été accrochées au Grand Palais, le 7 janvier 1985.
65 sur les 250 dispersées à travers le monde.
Quelle belle revanche pour le petit « douanier (1844 – 1910) qui est sans doute l’un des artistes dont on s’est le plus moqué durant sa vie.
Lui, en revanche, a toujours opposé un calme olympien aux railleries, aux grossièretés dont on l’abreuvait, disait de lui son ami Guillaume Apollinaire.
Il a eu du courage car certains passages de sa vie ont été terribles.
Le peintre Vlaminck a un jour écrit ceci, parlant du 23e Salon des Indépendants, en 1907:
« Dans aucune comédie, dans aucun cirque, je n’ai entendu rire comme devant ces tableaux de Rousseau. Et lui, à côté, serein, drapé dans un vieux pardessus, nageait dans la béatitude. Il ne pouvait se douter un seul instant que ces rires lui fussent destinés. »

Orgueil ou inconscience?
Certains disent qu’il était surtout naïf et que la croyance imperturbable qu’il avait en son génie l’a protégé.
Sans cela, Henri Rousseau n’aurait sans doute pas pu supporter la vie misérable qui fut la sienne.

Il est né à Laval, le 20 mai 1844, d’un père ferblantier et d’une mère petite-fille d’un héros des guerres de la Révolution et de l’Empire.
Elle rêvait pour son fils d’un grand avenir.
Mais hélas, Henri était un cancre, un vrai de vrai.
En désespoir de cause, ses parents le place chez un avoué auquel il vole la somme de 10 francs qu’il lui a confiée, et 5 francs en timbres-postes.
L’avoué porte plainte.
Pour prouver ses bonnes intentions à la justice, Henri s’engage pour sept ans dans l’armée.
Il n’en fera que quatre: sa mère devient veuve et le voilà démobilisé.
Il file à Paris, épouse Clémence, la fille de sa logeuse, avec laquelle il aura 7 enfants dont 6 mourront en bas-âge.
Comme il faut faire vivre sa famille, il entre dans l’Administration, comme commis de 2e classe à l’Octroi.
Un emploi modeste qui lui laisse beaucoup de loisirs.
Il commence donc à peindre… et n’arrêtera plus.

En 1893, Henri se retrouve seul.
Sa femme et tous ses enfants sont morts.
On lui accorde de prendre une retraite prématurée à l’âge de 49 ans pour qu’il puisse se consacrer à la peinture.
Mais vivre avec 1019 francs par an, c’est difficile.
Il donne donc des cours de solfège et de dessin, et se remarie avec une veuve… qui meurt quatre ans plus tard.
Son art n’est pas reconnu, mais il vend quelques tableaux.
Seulement… Henri est bon.
Dès qu’il a un peu d’argent, il le distribue aux pauvres.
Incroyablement naïf, il est entraîné par un ami escroc dans une sombre histoire de chantage à la Banque de France.
Et il se retrouve enfermé à la prison de la Santé…
Heureusement, le Tribunal juge qu’il a été abusé dans sa candeur, et le condamne à deux ans de prison avec sursis.
Rousseau, pareil à lui-même, le remercie par ces mots: « Et pour votre gentillesse, je ferai le portrait de votre dame! »

Autour de lui, un cercle d’amis se forme et on lui témoigne de l’admiration.
Parmi eux: Pissaro, Toulouse-Lautrec, Redon, Signac, Braque, Jules Romain…
Mais il ne peut profiter de cette notoriété tardive: en 1910, il meurt d’une blessure mal soignée à la jambe où la gangrène s’est installée.
Le 4 septembre, sept personnes accompagnent sa dépouille au cimetière de Bagneux où elle sera abandonnée dans la fosse commune.

Henri Rousseau n’a jamais été douanier.
C’est Alfred Jarry, le père d’Ubu, qui lui a donné ce surnom qu’il a gardé.
Plusieurs légendes circulent sur lui.
On le dit aventurier, il prétend avoir passé sept ans au Mexique comme musicien dans la fanfare du corps expéditionnaire.
Mexique où, disait-il « il a eu la révélation de la jungle ».
Plus prosaïquement, Rousseau n’a jamais quitté la France et a fait son service à Angers.
Ses lions et ses tigres, il les a peints d’après un album pour enfants « Bêtes Sauvages ».
Son chef-d’oeuvre « La Guerre » a été copié sur une lithographie du journal l’Ymagier.
Il copiait partout, décalquait…
Et chaque année, on se moquait de lui au Salon…
On se souvient, en 1908, du banquet organisé par Picasso au Bateau Lavoir en l’honneur de Rousseau.
C’était en fait un canular auquel ont participé plusieurs personnalités.
Le peintre y avait été ridiculisé.

Et pourtant…
Après sa mort, les surréalistes ont été fascinés par son oeuvre.
C’était un peintre du dimanche, dit-on?
Qu’importe: il apportait une innocence rafraîchissante dans l’art graphique…

Martine Bernier

Marco Polo et la Licorne

18 mai, 2011

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Le Vénitien Marco Polo (1254-1324) était précoce.
Il n’avait que 17 ans lorsqu’il est parti en Chine avec son père et son oncle, auprès de l’empereur mongol Kubilay Khân.
Il a alors commencé à réunir ses souvenirs de voyage dans « Le Livre des Merveilles du monde », rédigé en français et édité bien plus tard.
Livre que l’on trouve toujours aujourd’hui dans le commerce.
Le manuscrit fut illustré au XV e siècle de manière somptueuse.
Pour les lecteurs, ce fut bel et bien un émerveillement.
Il décrivait les contrées d’Asie, particulièrement la Chine, que l’explorateur avait visitées.
Il admirait la richesse du pays, fasciné par la pêche des perles et l’extraction des turquoises dont le grand Khân avait le monopole.
Il s’étonnait que les Chinois avait une monnaie de papier, billets de banque alors inconnus en Europe.
Et, surtout, il racontait des histoires extraordinaires, parlant d’animaux que les Européens ne connaissaient pas.
Parmi eux, le rhinocéros… que ses contemporains identifieront à la fameuse licorne.
Pensez-y lorsque vous verrez une gravure de licorne.
Sa grâce prend racines dans une origine nettement plus pataude.

Martine Bernier

Aristote, star actuelle

12 mai, 2011

Sur le Net, certains joueur prennent Artistote en référence.
J’imagine que ce bel esprit, né en Macédoine en 385 environ avant Jésus-Christ, serait amusé d’assister à cela.
Ou peut-être agacé, allez savoir…

Comme le souhaitait sans doute son père Nicomaque, médecin du roi Amyntas III de MAcédoine (mais si vous le connaissez: il était le grand-père d’Alexandre dit Le Grand), le jeune Aristote a suivi ses études à Athènes, devenant l’un des plus brillant disciples de Platon.
Chez lui, tout est atypique.
Il est handicapé par un zézaiement, porte les cheveux courts, des habits voyants, des bagues, revendique son hétérosexualité à une époque où l’homosexualité était culturellement appréciée.
Et puis, surtout… il possède un esprit très indépendant et s’éloigne peu à peu de Platon qu’il commence par admirer avant de le critiquer.
Pourquoi un tel revirement?
Parce que Platon estime que l’origine de la connaissance ne peut provenir que de la réminiscence des idées que notre âme a connue avant le traumatisme de la naissance, tandis qu’Aristote pense qu’elle n’est envisageable qu’à travers les sens et l’expérience.
Pas d’accord donc…
Et c’est sans doute ce qui conduira Platon à désigner son neveu Speusippe pour reprendre sa suite à la direction de l’Académie plutôt que de désigner Aristote.
Ce dernier est déçu… mais en 343, Aristote devient précepteur du futur Alexandre Le Grand.
Il va s’intéresser à la politique, à la démocratie.
Et lorsque son élève deviendra conquérant, il lui fera clairement comprendre sa désapprobation.
Lorsqu’Alexandre montera sur le trône à la mort de son père, Aristote s’en va.
Une fois encore, il rebondit en fondant Le Lycée, treize ans plus tard, université populaire totalement novatrice.
Il y enseigne en marchant à ses élèves, ce qui leur vaut l’appellation de péripatéticiens (du grec peripateîn « se promener »).
Chacun doit explorer des domaines nouveaux: la physique, l’éthique, les mathématiques, la médecine, la cosmologie, la botanique (qu’inventa Théophraste).
Pour la première fois, joignant leurs savoirs, les chercheurs créent un inventaire encyclopédique du monde vivant.

Aristote était courageux.
Fidèle à ses idées, il fuyait les compromis.
Pourtant, en 323, il est accusé d’espionnage et d’impiété.
Il est contrait de fuir Athènes pour se réfugier dans l’île d’Eubée.
Il y mourra un an plus tard.
Mais son esprit sert toujours d’exemple.
Je vous livre deux de ses citations que j’aime particulièrement:

« Les hommes, et il ne faut pas s’en étonner, paraissent concevoir le bien et le bonheur d’après la vie qu’ils mènent. »
 » La fin de la Politique sera le bien proprement humain. »

J’ai rencontré Aristote au tout début de mon adolescence.
Comme quelques autres, il continue à m’accompagner.
Et je n’ai pas fini de méditer ses pensées…

Martine Bernier

Erhard Loretan a atteint son dernier sommet

30 avril, 2011

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Ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai appris le décès du talentueux alpiniste suisse, Erhard Loretan.
Mort en montagne.
Il est parti le 28 avril, le jour de son 52e anniversaire.
Et je fais partie de ceux que la nouvelle attriste.
Il était admiré pour ses exploits, aimé pour ses qualités humaines, sa sagesse.
Et parfaitement conscient du danger qui faisait partie de sa vie.

Le guide de montagne était proche des Diablerets où il avait des amis, et du FIFAD, Festival International du Film Alpin des Diablerets, auquel j’ai consacré un livre il y a deux ans.
Je l’avais interviewé dans le cadre de mon travail.
Et j’avais été frappée par cet homme qui était le troisième alpiniste a avoir gravi les quatorze sommets de plus de 8000 mètres.
Il en parlait avec simplicité et humilité, comme le font les gens de la montagne.
Il m’avait expliqué l’euphorie qu’il ressentait lorsqu’il se rapprochait du ciel, ce bien-être qui était alors le sien, la dimension quasi spirituelle qu’il vivait.
Il n’était jamais aussi heureux que là-haut.
Il m’avait raconté le manque d’oxygène, les dangers qui guettaient les alpinistes, la peur à chaque départ en montagne, la peur de la mort.
Je lui avais demandé pourquoi il continuait à grimper, à se mettre en danger.
Il m’avait répondu qu’il ne pouvait pas faire autrement.
La montagne était sa vie, sa passion, c’était ainsi.
Et puis, disait-il « c’est tellement beau, là-haut, vous ne pouvez pas imaginer. Nous sommes à la limite entre la vie et l’au-delà… ».

J’avais suivi ses conférences, vu ses photos, et j’avais eu un aperçu de cette beauté qui le fascinait.

Il avait connu des drames et des bonheurs, des amitiés d’hommes, solides et fidèles, des moments d’exaltation, de grands chagrins.
Un destin d’homme né pour aller toujours plus haut.
Il est parti dans ses montagnes Valaisannes, lui qui avait grimpé partout dans le monde.
La cliente qui l’accompagnait a été grièvement blessée.

Lorsque, pour les besoins du livre pour le FIFAD, j’ai effectué des recherches dans les archives, j’ai été marquée par le nombre d’alpinistes morts tragiquement.
J’espérais qu’Erhard Loretan n’ajouterait pas son nom à cette triste liste.

Martine Bernier

http://www.tsr.ch/video/info/journal-19h30/3111203-portrait-de-l-alpiniste-erhard-loretan.html#id=3111203

Jean Cocteau, ce génie de la formule

12 avril, 2011

De Jean Cocteau, nous avons gardé les dessins, les poèmes, les pièces de théâtre…
Mais s’il fut aussi connu, c’est certainement parce qu’il est né avec, non seulement, le don des arts, mais aussi… le don de plaire.
Le « prince frivole », toujours en avance sur les modes, qu’il fume de l’opium ou qu’il revendique son homosexualité, étonnait, dérangeait, séduisait.
Né en 1889 à Maison-Lafitte, dans une famille d’agents de change, il avait l’ambition de faire un jour partie de l’aristrocratie.
Et le destin le combla…
Le 4 avril 1908, le tragédien Edouard de Max organisa une matinée poétique au Théâtre Fémina.
Le Tout-Paris s’y pressa.
La séance était consacrée aux oeuvres d’un jeune poète inconnu, Jean Cocteau.
Du jour au lendemain, il devint la nouvelle coqueluche de la haute société.
Il fréquentait, comme il l’avait souhaité, les duchesses et les gloires littéraires du moment, d’Anna de Noailles à Marcel Proust en passant par Maurice Rostand.
Brusquement, il déserta leurs cercles pour rejoindre des individus résidant à Montmartre ou Montparnasse, dont les audaces faisaient hurler.
Ils s’appelaient Picasso, Max Jacob, Igor Stravinski…
Devenu leur ami, Cocteau devint le propagandiste zélé de cet art nouveau.
Après avoir lancé les Ballets russes avec, notamment, Nijinski, il est devenu le leader d’un mouvement musical: le Groupe des Six, dont le père spirituel était Erik Satie.

Cocteau, charmant bateleur, devint un faire-valoir de premier choix.
De santé fragile, il était pourtant très actif.
Romancier, poète, dramaturge, metteur en scène de théâtre et de cinéma, acteur, critique, essayiste, créateur de décors et de costumes de théâtre, dessinateur d’affiche, de portraits, scénariste, céramiste, potier, lithographe, créateurs de modèles pour les verriers de Murano et les vitraux d’église: il touchait à tout avec talent.

Très croyant, il aimait se retirer dans les chapelles où il peignait des fresques étonnantes à la gloire de Dieu.
Et puis un jour, le 11 octobre 1963, Jean Cocteau est mort d’une crise cardiaque, deux heures après la mort de son amie Edith Piaf.

Certaines phrases qu’il nous a laissées indiquent la personnalité de cet homme hors norme.
Lui qui disait « Nous sommes le rêve d’un dormeur endormi si profondément qu’il ne sait même pas qu’il nous rêve » reste l’un des hommes clés de la première moitié du XXe siècle…

Martine Bernier

Léonard Gianadda: « Venez, je vous invite! »

7 avril, 2011

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J’ai largement passé l’âge d’être une midinette.
J’ai rencontré beaucoup de personnalités célèbres ou non, et j’ai eu la chance de m’enrichir à leur contact.
Beaucoup m’ont marquée, voire bouleversée.
Mais celui pour lequel j’ai une admiration absolue reste, sans discussion possible, Léonard Gianadda, dont j’ai déjà souvent parlé sur Ecriplume.
Je lui ai consacré plusieurs articles et, récemment, lui ai adressé un petit message pour lui redemander une courte interview téléphonique pour les besoins d’un encadré.
Le sachant très occupé, je doutais un peu d’avoir une réponse.

Pour ceux qui auraient vécu sur Mars au cours de ces 40 dernières années, Léonard Gianadda est le créateur de la Fondation Pierre Gianadda, érigée à Martigny (Suisse) pour perpétuer le souvenir de son frère cadet, décédé tragiquement en 1976.
De cet endroit magique bâtit autour des vestiges préservés d’un temple antique romain, il a fait un haut lieu de culture où se succèdent des expositions extraordinaires et des concerts classiques de grande classe.
Connue internationalement, la Fondation est l’un de ces rares endroits, en Suisse romande, où les oeuvres des plus grands peintres sont présentées au public.
Pour son courage, sa générosité et sa ténacité, pour sa personnalité rayonnante et volcanique, pour sa culture, j’aime cet épicurien chaleureux et enthousiaste, que je pourrais écouter pendant des heures sans me lasser.

Jeudi après-midi, le téléphone sonne: « Bonjour, bureau de la Fondation Gianadda. Je vous passe Monsieur Gianadda. »
Je me précipite sur mon bloc et mon stylo, ravie.
L’homme à qui je dois des heures de bonheur artistique est au bout du fil.
Comme à chaque fois, l’interview est un délice.
Arrivée au bout de mes questions, la conversation prend un tour plus personnel et nous parlons peinture.
Je lui redis le bonheur absolu que je ressens à chacune de ses expos.

- Avez-vous vu la dernière?
- Oui, je l’ai adorée! J’espère la revoir avant le décrochage…
- Et savez-vous quelle sera la suivante?
- Bien sûr: Monet! Mon peintre préféré. J’ai vu la rétrospective qui lui a été consacrée à Paris. Comme vous, j’imagine. J’attends le mois de juin avec impatience pour le voir à Martigny.
- A Paris, ils avaient peu de tableaux de Giverny. Nous en aurons beaucoup, vous verrez. Passez me voir à la Fondation, je vous montrerai la maquette de l’exposition.

Je suis aux anges… la maquette de l’exposition Monet!!!
Je donnerais beaucoup pour trouver un moment pour y aller!
Et je ferai tout pour cela!

- Que faites-vous, le 14?
- Le 14 avril?
- Oui. Je vous invite à venir écouter le concert violon piano de Joshua Bell et Sam Haywood à la Fondation. Deux invitations à votre nom vous attendront dans l’entrée. Et venez me voir: j’ai tendance à oublier les visages.

Lorsque je raccroche, je suis en lévitation.

J’imagine que la population de Martigny, qui a l’habitude de travailler avec lui et de croiser Léonard Gianadda, a l’habitude de sa présence.
Mais je sais aussi que la rayonnance culturelle qu’il apporte à la ville, au canton du Valais et à la Romandie en général depuis des années, marquera à jamais l’histoire de la région.
Dans le monde de l’art, que ce soit en France, en Suisse, en Allemagne, en Espagne ou ailleurs, j’ai pu m’en rendre compte: tout le monde sait qui est Léonard Gianadda.

Je ne suis pas une midinette.
Mais j’ai une chance infinie…

Martine Bernier

La dictée de Prosper Mérimée

3 avril, 2011

Nous devons à Prosper Mérimée deux nouvelles (Carmen et Colomba) et… une torture.
Il avait imaginé un texte demeuré célèbre, où il avait accumulé le plus grand nombre possible de pièges orthographiques.
Histoire de vérifier son impact, il organisa un concours de dictée, au château de Compiègne, à la cour de Napoléon III.
L’Empereur fit 75 fautes, l’Impératrice 62 et la princesse de Metternich 42.
Alexandre Dumas fils en fit 24 et… l’ambassadeur d’Autriche 3 seulement.

En voici le texte:

« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bon crus, les cuisseaux de veau et des cuissots de chevreuils prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient, et quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, bien que lui ou elle soit censée les avoir refusées et s’en soit repentie, va-t’en les réclamer pour telle ou telle bru jolie par qui tu les diras redemandées, quoiqu’il ne te siée pas de dire qu’elle se les est laissée arracher par l’adresse des dits fusiliers et qu’on les leur aurait suppléées dans toute autre circonstance ou pour des motifs de toute sorte.
Il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.
Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d’une phtisie, et l’imbécillité du malheureux s’accrut.
— Par saint Martin ! quelle hémorragie ! s’écria ce bélître.
À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière. »

Ouf.

Même si vous êtes expert en orthographe, si vous refaisiez la dictée aujourd’hui, vous feriez des fautes par rapport au texte original.
Pourquoi?
Parce que l’évolution de l’orthographe a transformé certains termes au passage.
Le français est décidément une langue vivante…

Martine Bernier

Cyrano de Bergerac: la véritable histoire

28 mars, 2011

Depuis plusieurs siècles que le théâtre existe, les grands événements sont rares.
Les spécialistes se rejoignent pour estimer qu’il y en a eu quatre:
- La première du « Cid » de Pierre Corneille, en 1636
- Celle du « Mariage de Figaro » de Beaumarchais, en 1784
- Celle « d’Anthony », d’Alexandre Dumas, en 1831
- … et la première de « Cyrano de Bergerac », d’Edmond Rostand.

Cette représentation historique a eu lieu le 28 décembre 1897 au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris.
Pourquoi historique?
Parce que, durant les répétitions, qui se sont déroulées dans une ambiance glaciale, personne n’y croyait.
La troupe était convaincue d’aller au devant d’une catastrophe.
Un quart d’heure avant le lever du rideau, l’auteur était en pleurs.
Il s’est précipité dans les bras de Coquelin, son interprète principal, en lui disant: « Pardon, mon ami, de vous avoir entraîné dans cette aventure désastreuse… »

Le rideau s’est levé.
A la fin du première acte, c’était le succès.
A la fin du deuxième, on parlait de triomphe.
A la fin du troisième, l’ambiance virait au délire.
Durant l’entracte précédant le cinquième acte, l’histoire raconte que le ministre des Finances a surgi dans les coulisses, a dégrafé la décoration qui ornait le revers de son habit, et « en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés », l’a épinglé sur la veste de l’auteur, ahuri, le faisant Chevalier de la Légion d’Honneur.

La dernière réplique « Mon panache » était à peine prononcée que ça a été un déchaînement.
Quarante rappels… qui ont épuisé le régisseur.
Il a fini par laisser le rideau ouvert…
A deux heures du matin, pas un spectateur n’avait encore quitté la salle.
Certains avaient envahi la scène, criant de joie et de bonheur.

Depuis cette représentation mémorable, Cyrano de Bergerac a connu plus de 200’000 représentations.
La pièce a été traduite dans toutes les langues, et a été mise au répertoire des théâtres du monde entier.
Les plus grands comédiens se sont battus avec ce rôle écrasant de 1400 vers, le plus long du répertoire français.
Le cinéma, la télévision: tout le monde l’a voulu…

Mais saviez-vous que Cyrano a existé?
Edmond Rostand a respecté dans la pièce les principaux faits qui ont jalonné l’existence de son modèle.
Savinien de Cyrano de Bergerac est né à Paris en 1619.
Il a été aussi galant dans la vie que brave au combat.
Et tous ceux qui se sont risqués à moquer son nez ont eu à tâter de son épée.
Il a participé comme officier au siège de la Compagnie de Carbon de Casteljaloux, et y a récolté une blessure.
L’épisode de la fameuse bagarre de la Porte de Nesles où il se batit seul contre cent pour défendre son ami Lignières a également été attestée par la chronique.
Homme de culture, Cyrano a écrit une comédie « Le pédant joue », dont Molière s’est inspiré dans ses « Fourberies de Scapin ».
Il a aussi signé une tragédie « La mort d’Agrippine », puis son « Histoire comique des états et empires de la lune et du soleil », qui a fait de lui un précurseur.
A la fin de sa vie, il rencontra sa cousine, Madeleine Robineau, veuve, qui vivait retirée du monde.
Il en tomba amoureux.
Mais polémiste à la dent dure, Savinien avait l’art de se faire des ennemis.
Sans doute est-ce ce qui donne à penser que la bûche qu’il reçut sur la tête était un attentat plutôt qu’un accident.
Il en mourut en 1655, à seulement 36 ans, sans savoir qu’il deviendrait un magnifique héros bien français, courageux jusqu’à la témérité, beau parleur jusqu’au lyrisme, frondeur, râleur, irrespectueux, querelleur, mauvais caractère au coeur d’or, passionné, spirituel et galant…

Martine Bernier

Pic de la Mirandole… heu?

11 mars, 2011

Je me souviens encore très bien de ce jour où notre professeur d’Histoire est rentrée dans la classe, a posé ses dossiers sur son pupitre et a lancé:
- Est-ce que le nom de « Pic de la Mirandole » vous évoque quelque chose?

Dans chaque classe, à chaque époque, il y a toujours quelqu’un pour lever la main dans la seconde et répondre n’importe quoi, sans réfléchir.
Ou pour faire croire qu’il ou elle a tout vu, tout connu, tout lu, tout entendu.
C’est ce qu’a fait ma voisine de bureau.

- Moi!!!
- Oui?
- C’est une montagne en Provence!

Elle n’aurait pas dû.
Le prof a susurré:

- Vous y êtes déjà allé?

Pleine d’aplomb, ma voisine a répondu:
- Oui, je crois. Avec mes parents en revenant de vacances.

Les lèvres de la prof, qui avait visiblement un oeuf à peler avec la malheureuse, se sont retroussées en un sourire un peu cruel:
- Et bien, mademoiselle, vous venez une fois encore de nous faire une brillante démonstration de votre inculture et de votre propension à dire n’importe quoi. Félicitations. Bon, soyons sérieuses…

Oui, soyons sérieux.
Pauvre Pic qui doit avoir été confondu ainsi avec une pseudo montagne par des générations de têtes blondes…
Jean Pic de la Mirandole, donc, est né en 1463.
Il fut l’une des vedettes de la République de Florence, était un homme de conviction, de courage, dont l’érudition précoce était sidérante.
A tel point qu’aujourd’hui encore, l’évocation de son nom est un hommage au savoir.
A dix ans, il était nommé Officier du Saint Siège, proclamé « Prince des poètes et des orateurs ».
On dit de lui qu’il maîtrisait 22 langues à 18 ans, qu’il a étudié toutes les sciences possibles dans toutes les grandes universités d’Europe, qu’il était spécialiste réputé en droit canon à 15 ans déjà.
Passionné par la cabale, il décida, à 24 ans, de rédiger ses « 900 Thèses philosophiques, théologiques et cabalistiques », histoire de braver les doctes de Rome.
Le texte qui le précédait est toujours considéré comme un exemple de l’humanisme renaissant.

Arrogant Mirandole… il se voulait libre, maître de son destin… mais ses thèses, jugées hérétiques et brûlées, lui valurent l’excommunication.
Réfugié en France, il y séjourne avant de rentrer à Florence, se placer sous l’aile protectrice de Laurent de Médicis. Mais l) encore, il continue à travailler sur une exégèse cabalistique de la Genèse, et part dans des idées révolutionnaires pour l’époque.
En 1492, Laurent meurt.
Trop proche de Savonarole, le moine sévère qui veut la perte des Médicis, Jean Pic de la Mirandole mourra peu après, à 31 ans dans des circonstances mystérieuses.
Celles-ci ne seront élucidées qu’en 2008, lorsque ses restes ont été découverts.
Il aurait été empoisonné par les émissaires de Pierre de Médicis, fils et successeur de Laurent.
On parle de lui comme ayant été une étoile filante.
L’une des plus brillantes, sans doute.

Martine Bernier

Jean Genêt, le sulfureux

3 mars, 2011

Avez-vous déjà lu un ouvrage de Jean Genêt?
A travers une écriture fine, il aimait aborder les thèmes de la perversion, du mal.
Né en 1910, il nous a quitté en 1986.
Mais quel destin…

Enfant naturel, il a été placé à l’Assistance publique.
Mauvais début pour ce petit Parisien qui, à dix ans, commettait son premier vol.
Ses copains de classe expliqueront, plus tard, qu’il chapardait plumier et crayons.
Un peu normal pour un enfant qui aurait aimé recevoir autant que les autres…
A treize ans, il fugue de chez sa famille d’adoption, et se retrouve placé pour suivre une formation de typographe.
Mais il fugue encore… et cette fois, à 15 ans, se retrouve condamné, à 45 jours de prison, puis envoyé dans « un bagne pour enfants », à Mettray, près de Tours.
Un bagne pour enfants…
Le terme fait frémir.
Il y découvre les rapports de domination et de soumission, les travaux épuisants, les punitions, les journées commençant dès 5 heures du matin.
Il restera dans cet endroit maudit pendant près de trois ans.
Lieu terrible et pourtant… période heureuse pour l’adolescent qui découvre également son homosexualité.
A 18 ans, il s’engage dans la Légion Etrangère, se retrouve en Afrique du Nord pour quelques missions, et démissionne.

Son retour à Paris marque alors une période de vagabondage et de prostitution qui lui vaudra plusieurs séjours à la prison de Fresnes pour vols et usages de faux papiers.
C’est en prison qu’il va écrire « Journal d’un voleur » et « Notre-Dame-des-Fleurs », qu’il va publier à compte d’auteur.
C’est alors qu’il vit l’une des rencontres les plus importantes de sa vie.
Jean Cocteau va le remarquer et l’aider à trouver un éditeur.
C’est un changement mais l’écrivain en herbe n’a toujours pas un sou.
Il continue à voler des livres dans les librairies pour les revendre, est arrêté et, cette fois, risque la perpétuité.
Son protecteur ne l’abandonne pas pour autant.
Jean Cocteau va intercéder pour lui auprès du Président de la République qui transforme sa peine en quelques mois de prison.
C’est en sortant de prison qu’il rencontrera le succès avec des pièces comme « Les Paravents ».

Mais la drogue va le replonger dans la marginalité.

Ecrivain adoré des uns, détesté par les autres, il est l’objet de multiples polémiques.
Toute sa vie, il abordera des thèmes sulfureux, défendra des causes fortes, comme l’homosexualité, les conditions de vie en prison, la cause des opprimés.
Et là encore, certains le verront comme un saint, d’autres comme un manipulateur.
Jean Genêt est mort d’un cancer de la gorge le 15 avril 1986, laissant une impressionnante bibliographie.
Il avait du talent, un très beau talent d’écrivain.
Et il lui a fallu de la ténacité et du courage pour arriver à l’affirmer, lui qui a débuté sa vie dans des conditions aussi difficiles et aussi peu propice à une existence harmonieuse.

Martine Bernier

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