Archive pour la catégorie 'Jardin'

Le chêne à voeux…

5 juin, 2011

Celui qui m’accompagne aime me faire découvrir sa région de Franche-Comté par ses côtés les plus magiques.
Ce samedi n’a pas fait exception.
En fin de matinée, il m’a demandé si je souhaitais qu’il m’emmène dans la Forêt de Chaux.
Deuxième plus grande forêt domaniale de France après celle d’Orléans, elle est immense, impressionnante.
28 kilomètres de long sur 16 de large… il y a largement moyen de s’y perdre.
Pour l’avoir sillonnée en tout sens, à pieds, à vélo ou en voiture, et pour y avoir organisé des activités sportives et collectives, Celui qui m’accompagne la connaît comme sa poche.
Samedi matin, donc, il a décidé de me faire visiter ce que l’on appelle les Baraques du 14, à la Vieille Loye.
Ce hameau est le dernier des  bûcherons-charbonniers qui peuplaient autrefois la forêt.
On y trouve quatre maisonnettes, dont une date du XVIe siècle, deux fours à pain et un rucher puis, plus enfoncés dans la forêt, les éléments du chantier de carbonisation.
Tout un patrimoine…
Lorsque nous avons fait le tour des lieux, Celui qui m’accompagne m’a entraînée sur un sentier forestier discret, à peine balisé.
Quelques dizaines de mètres plus loin, il s’est arrêté devant un arbre bicentenaire.
- Regarde… c’est le Chêne à voeux…

Des arbres à voeux, il en existe quelques-uns, relativement rares, dans les forêts de France.
Celui-ci est le seul chêne ayant cette vocation.
Il est grand, élancé, élégant…
En m’approchant, j’ai remarqué que les fentes de son écorce étaient remplies de minuscules petits papiers pliés.
A côté un écritoire, une boîte contenant un crayon à la mine émoussée et un ou deux morceaux de papier.
-Vas-y, fais ton voeu.

J’ai pris le crayon et, sur  ce papier large comme une pièce de deux euros, j’ai gribouillé quelque chose de parfaitement illisible vu l’état du crayon.
En réalisant que je n’arrivais même pas moi-même à me relire, j’ai eu comme un doute…
Le panneau explicatif placé près du chêne m’a rassurée: celui-ci comprend plusieurs langues, et son tronc, relais entre les divinités du Ciel et de la Terre, en a certainement vu d’autres.
Ouf.
J’ai ensuite été glisser mon misérable morceau de papier dans le chêne polyglotte.
Un peu surprise, j’ai vu Celui qui m’accompagne s’approcher de l’écritoire, un morceau de papier un peu plus grand que le mien à la main.
Il n’est pas du genre rêveur, et pourtant…
Avec le plus grand soin, il a écrit son propre voeu, puis a replié le papier et l’a coincé dans le tronc, à sa hauteur.
Autrement dit, tellement haut que les bipèdes de taille normale ne pourraient pas y accéder s’ils en avaient envie.
Avec Pomme, nous avons repris le chemin du village tandis que Celui qui m’accompagne m’expliquait le plus sérieusement du monde qu’il ne fallait ni confier son voeu à qui que ce soit, ni se laisser aller à lire ceux des autres, sans quoi nous perdrions toute chance d’être exaucés.
Caramba, flûte: mon regard a eu le malheur de se porter sur un papier ouvert par terre, demandant la santé pour tous.
Car j’ai oublié de préciser que lorsque les Esprits de la Forêt ont réalisé le souhait en question, le papier est éjecté hors de l’arbre.
Mon grand homme m’a expliqué qu’il était venu poser un voeu à une période difficile de sa vie et qu’il avait mis très peu de temps à se réaliser.

Nous nous sommes laissés prendre aux parfums enivrants de la forêt et des fleurs sauvages, sur le chemin du retour.
Cela sentait le miel, les fleurs, les essences de bois, de plantes aromatiques… un délice olfactif.
Je n’ai rien dit, mais même si le Chêne à voeux hésitait à réaliser le mien, je ne lui en voudrais pas.
Mes voeux ont été réalisés depuis 10 mois, sans même que je  les formule.

Martine Bernier

Ile de Batz: le jardin tropical de l’étonnant Monsieur Delaselle

25 juillet, 2010

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Georges Delaselle était assureur à Paris lorsque, en 1896, il a été pris d’un véritable coup de foudre pour l’île de Batz, en Bretagne.
Amoureux des jardins, il réalise que l’île profite du Gulf Steam, ce courant océanique venu des tropiques.
Le climat local s’en trouve adouci, ce qui provoque une idée inattendue dans le cerveau créatif du nouveau venu: créer ici un jardin colonial.
En plein Finistère, au large de Roscoff, il fallait oser…
Il l’a fait.
Pendant dix ans, de 1898 à 1918, il sera partout à la fois, dirigeant les travaux et les plantations, modelant un cordon de dunes artificielles plantées de végétaux de protection, creusant une cuvette profonde de cinq mètres dont les bords seront travaillés en terrasses.
Il creuse tant et si bien qu’il met à jour une nécropole datant de l’Age de Bronze, dont il reste encore dix tombes visibles aujourd’hui.
Le jardin, lui, prend forme petit à petit.
En mai 1918, Georges Delaselle apprend une nouvelle qui va changer sa vie: il est atteint de tuberculose.
Pour lui, il n’y a plus de temps à perdre.
Il quitte Paris, démissionne et s’installe définitivement dans son Jardin de l’Ile de Batz.
C’est à partir de là qu’une véritable légende va prendre forme.
Georges Delaselle aimait la solitude.
Son jardin, si singulier, s’y prête.
Dans cet univers de plantes mystérieuses, encore inconnues sous nos latitudes, il crée un havre de tranquillité, magique et insolite.
Un véritable Facteur-Cheval du jardin…
Mais la maladie ronge le maître des lieux.
Il cède son paradis qui va subir trente années d’abandon, puis deux hivers glacés, en 1953 et 1965, qui feront périr de nombreuses plantes.
En 1989, il ne reste plus que 49 espèces végétales sur les 102 estimées par son créateur.
Dans les années 1990, le Conservatoire du littoral reprend le jardin et lui donne un nouveau souffle.

Aujourd’hui, entre figuiers de Barbarie, camphriers importés de Chine, dattiers venus des Canaries, 2000 essences tropicales s’épanouissent sous le ciel breton.
Monsieur Delaselle peut reposer en paix…
Et les amateurs de botanique s’en donnent à coeur joie.

Martine Bernier

Le jardin et moi: ne pas jardiner quand il pleut règle numéro 1. Episode 3.

15 avril, 2009

Un matin de cette semaine, très tôt, alors que le jour venait à peine de se lever et que le quartier sommeillait encore, j’ai eu l’idée lumineuse d’aller jardiner.
J’ai bien dit: jardiner.
Oui, bien sûr, l’herbe était mouillée. Je dirais même trempée, pour être franche.
Mais, bon: foin de détails stupides, allons à l’essentiel!
J’ai pris mon outil dans une main, la laisse de mon chien de l’autre, et je me suis dirigée vers le fond du jardin, pour m’attaquer à la ligne de rosiers qui n’a pas été désherbée depuis Mathusalem.
A vue de nez, il doit y avoir une trentaine de rosiers. Et la mauvaise herbe est aussi haute qu’eux….
Etant complètement inconsciente de nature, j’ai attaché Scotty à côté de moi à un pommier (ou un cerisier… ou un poirier… enfin à un arbre), avec son immense laisse lui permettant de galoper à des kilomètres autour de nous. Quand j’ai vu qu’elle restait là et qu’elle commençait à mâchouiller méticuleusement la mauvaise herbe, j’ai été très touchée. Mon chien avait décidé de m’aider… quelle émouvante attention! Si j’avais su, je n’aurais pas investi dans une tondeuse.
Quelques jours auparavant, j’avais demandé à Alain quel genre d’outil il fallait acheter pour ôter la végétation non désirée. Aussi calé que moi en la matière, il m’a dirigée vers une chose à manche long, parfaitement indescriptible. Ne me demandez pas ce que c’est: je ne l’ai trouvée dans aucun de mes livres, ni sur Internet d’ailleurs.
Mais Alain est un Homme de grand savoir.
Lui, Homme.
Moi Femme.
Donc lui savoir.

Je pensais que l’humidité matinale allait me requinquer.
En fait, elle a surtout signé l’arrêt de mort de mes baskets.
Mais ce n’est pas un voile d’humidité qui allait m’arrêter!

J’ai empoigné mon outil, et j’ai vigoureusement commencé à me battre contre les mauvaises herbes, les chardons et autre fouillis végétal innommable.

Celui qui a osé écrire que « le jardin c’est facile » est un imposteur.
Non, le jardin n’est pas facile. C’est même épuisant.
La pluie avait rendu la terre aussi lourde que de la terre glaise.
Au bout de 3 minutes et une paille, j’avais l’impression de marcher dans un lac.
Je me suis battue vaillamment.
J’ai nettoyé cinq rosiers.
Puis je suis rentrée: Scotty terminait son apéritif par un trèfle bien dodu.

Non, je ne vous dirai pas que mon périple m’a valu le mal au dos du siècle. J’ai souffert dignement.
En revanche, quelques jours plus tard, je retournais à la jardinerie pour acheter un autre outil.
Celui-là, je l’étrennerai lorsque l’herbe aura séché.
Ce qui n’est pas demain la veille: il pleut un peu chaque nuit en ce moment.
Comme si le ciel avait décidé de m’obliger au repos, histoire de ne pas forcer!

Martine Bernier

Mes voisins, mon jardin et Eusèbe la tondeuse

5 avril, 2009

J’ai une chance incroyable.
Les gens sont d’une gentillesse ahurissante avec moi.
En arrivant en Bretagne, j’étais pourtant un peu inquiète.
Et si c’était différent?
Allaient-ils accepter ce spécimen de nana plus proche de l’OVNI que du schéma classique de la ménagère idéale?

Trois jours après mon arrivée, j’ai fait la connaissance de mon voisin d’en face, Frédéric, jeune père de famille. Puis j’ai rencontré son épouse, Béatrice, et leur fille, Aurore, et, plus tard, les autres voisins qui m’entourent.
Les contacts que nous entretenons sont très chaleureux.
Je pense qu’ils ont compris que, pour le moment, je ne connais pas encore grand monde, et que le fait qu’ils soient là m’était très précieux.

Cette semaine, en allant chercher le courrier, je croise Frédéric, qui accomplissait la même démarche que moi.
Je lui ai demandé s’il pouvait me dire où nous devions nous débarrasser de l’herbe une fois que nous la couperions dans le jardin. Il m’a répondu, puis nous avons fait un brin de causette.
Et j’ai reçu un joli cadeau matinal…
Il m’a demandé si nous aimions les palourdes. J’ai eu une moue significative: Alain et moi adorons les fruits de mer!
Il m’a dit: « Je suis désolé, mon père est allé en pêcher, et j’en avais tellement que j’ai dû en jeter. Mais la semaine prochaine, je vous en donnerai. Et je vous ramènerai des huîtres, aussi. »

J’étais estomaquée. D’abord parce que je ne m’attendais pas à ce qu’il me propose quelque chose d’aussi adorable. Ensuite parce que j’ignorais qu’il était permis de pêcher ce genre de précieux coquillages sans autorisation. Il m’a expliqué qu’ici, tout le monde le faisait et que c’était permis du moment que l’on ne dépassait pas un certain quota de pêche.

Au passage, mon précieux voisin m’a également dit que si je n’arrivais pas à mettre la tondeuse en route quand Alain n’est pas là, il le ferait volontiers pour moi dès qu’il sera remis d’une opération du canal carpien qui l’handicape ces jours-ci.

Quand nous nous sommes dit au revoir et que je suis rentrée, j’ai repensé à une phrase que quelqu’un de ma famille m’a souvent dite lorsque j’étais jeune.
« Toi, à t’entendre, les gens sont merveilleux, le monde est merveilleux, tout est merveilleux! »

C’était un peu exagéré.
Mais je crois ne pas avoir tellement changé, finalement.
Je ne suis pas naïve. Mais j’ai toujours été émerveillée par la gentillesse spontanée, c’est vrai.

Bref. Vendredi, il faisait beau. Alain m’avait quittée le matin, j’avais le cœur gros. Et quand je dis gros… c’est très en dessous de la réalité.
Connaissant la fragilité de son dos, je me suis dit que c’était le moment ou jamais de m’attaquer au jardin, afin qu’il ne soit pas tenté de le faire en revenant.

Je me suis glissée dans le garage où la tondeuse siestait innocemment, à l’abri des regards indiscrets.
Notre tête-à-tête a ressemblé à « Règlement de comptes à OK Corral ».
Je me suis avancée vers, elle, ai sauté sur la bête, et j’ai essayé de la mettre en marche.
Après plusieurs essais infructueux… j’ai réussi!
J’en ai donc conclu que je pouvais me lancer dans l’opération Eusèbe.
L’opération Eusèbe étant le nom de code donné par mes soins à la tonte du jardin.
C’est idiot, mais les voyages en Absurdie me motivent.

J’ai traîné ma victime dans le jardin (le petit malin qui a placé une marche à la porte arrière du garage mériterait la bastonnade publique!), et je me suis dirigée vers le bout du bout. Dehors, Johann et son copain Léo ont couru à ma rencontre dès qu’ils m’ont vue.
J’ai fièrement lancé le moteur (bon, il a fallu quatre tentatives, mais j’y suis arrivée!) et j’ai commencé à œuvrer.

N’imaginez pas un aller-retour gracieux et très classe. Tondre la savane, ce n’est pas simple. Je me demande si je n’aurais pas dû la laisser ainsi, d’ailleurs. Il aurait suffi d’y rajouter un marais pour donner envie à un Bec-en-Sabot (voir rubrique « Le plus mystérieux des Oiseaux) de s’y installer…
Au bout de 10 minutes, Eusèbe avait déjà l’estomac plein.
J’arrête le moteur, me perd dans une réflexion intense.
Grand conciliabule avec mes deux apprentis: que faire de l’herbe rasée?
Ils m’expliquent que les précédents locataires la mettaient au bout du jardin, dans le « pré aux moutons ».
- Ah bon? Le pré aux moutons? Mais… où sont les moutons?
- Ils viennent parfois…
- Et ils aiment l’herbe coupée?
- Non, pas vraiment…

De toute façon, en l’occurrence, je n’ai pas le choix. Si je veux pouvoir continuer mon Œuvre, il faut que je me débarrasse de la verdure. Je n’allais quand même pas me la préparer en salade… Suivie de mes deux acolytes, je m’exécute donc, reviens vers la tondeuse, lui replace son estomac, m’empare du cordon pour lancer le moteur, tire fermement et… rien.
Sans me démonter, je réessaie, une fois, deux fois… dix fois.
Toujours rien.
Je ne suis pas violente pour un sou.
Mais là, si j’avais pu, j’aurais pendu la bestiole par les pieds à mon pommier et j’aurais attendu qu’elle sèche.

Juste au moment où je me disais que j’allais devoir lamentablement abandonner, Frédéric est venu à la rescousse. Malgré sa main convalescente, il a relancé le moteur (en une fois, comme Alain!!! Agaçant, ça!), et m’a dit que, par la suite, nous tondrions nos pelouses en osmose pour qu’il prenne mon herbe avec la sienne dans une remorque qu’il mènerait à la déchetterie.
Et je suis repartie pour un tour sous l’œil de Johann et Léo.
Ils s’amusaient beaucoup, mais discrètement, mes petits compagnons. N’ayant pas l’esprit géométrique, je ne tondais apparemment pas dans les règles de l’art, en belles et longues lignes régulières.
Ma tonte était plutôt du genre: je vais où je peux, ou plutôt je suis la tondeuse!

Ils ont été chercher un râteau pour m’aider, passant derrière moi et ramassant l’herbe laissée là par ma machine. Comme je n’avais une fois de plus pas mis mes lunettes et que ma ressemblance avec les taupes se confirme au fil du temps (je parle de la myopie, ignares!), ils me guidaient, me disant où je devais repasser, quels coins j’avais oubliés…
Deux véritables GPS sur pattes!

Une heure plus tard, le jardin ressemblait plus ou moins à un jardin.
Et si l’herbe a le malheur de repousser d’ici le retour d’Alain, lundi, je la tond au napalm la prochaine fois!

J’ai offert une tournée de jus d’orange, ai récompensé mes petits apprentis, et j’ai rangé la tondeuse. Vaincue et épuisée, elle n’en menait pas large.
Veni, vidi, vici, comme dirait Jules!

Plus tard, j’ai fait un brin de causette avec Béatrice, la maman de Johann et d’Aurore, dans mon jardin qui sent la menthe fraîche. (Heu… Eusèbe a dû en couper par inadvertance…)
Son mari nous a rejointes, m’invitant chez eux pour un verre de sirop salvateur après l’effort. Nous sommes ensuite revenus chez Alain et moi, en procession, pour nous pencher sur mon problème de rideaux. Trois têtes remplies d’idées valent mieux qu’une!
Puis nous nous sommes quittés.
Une heure plus tard, Scotty m’avertissait que quelqu’un frappait à la porte.
J’ai ouvert et je me suis retrouvée face à Aurore.
Celle-ci m’apportait deux crêpes toutes fraîches, de la part de ses parents.

Qu’est-ce que je disais au début, déjà?
J’ai une chance incroyable.
Et je n’ai jamais été aussi émue par deux crêpes…

Martine Bernier

Le jardin et moi: rencontre du troisième type…

1 avril, 2009

Pour la première fois de ma vie, depuis que j’ai emménagé dans ma nouvelle demeure, me voici co-responsable d’un jardin, avec Alain. Je dirais même un grand, un très grand jardin.
Pour une gamine née en pleine ville, qui, durant son enfance, n’a connu qu’une bande de terre d’un mètre sur quatre parsemée de tulipes rachitiques, et qui allait se cacher sous le lierre grimpant de son oncle, pour y attendre Tarzan, convaincue de se trouver en pleine jungle, le contraste est saisissant.
Dans notre jardin, donc, se trouvent huit arbres fruitiers, une haie plus grande que moi, une interminable ligne de rosiers, des arbustes en fleurs, des massifs de… heu… de je ne sais pas trop quoi, en fait, et des fleurs un peu partout, parmi lesquelles des jonquilles et de la lavande. Détail amusant: Alain est allergique à la lavande. Enfin quand je dis amusant…

Pour lier artistiquement le tableau, une pelouse. Enfin… de l’herbe. Une vaste, très vaste étendue verdoyante.
Quinze jours après mon arrivée, il a fallu faire face à la terrible réalité: l’herbe, ça pousse. Ca pousse même très vite. Si je ne veux pas que Scotty prenne des allures d’antilope bondissant dans la savane, il faut agir, et agir vite.
Alain et moi avons donc étudié les solutions qui s’offraient à nous.

1. Nous lancer dans des incantations pour que le ciel consente à raccourcir la pelouse de lui-même.
2. Mettre un âne dans le jardin et le nommer régisseur.
3. Trouver une bonne âme pour prendre en charge la destinée de notre domaine.
4. Acheter une tondeuse et me laisser crapahuter joyeusement parmi les touffes d’herbe.

Nous avons attaqué notre programme avec le plus grand sérieux.
Pour les incantations, n’essayez pas: cela ne fonctionne pas. Le ciel a même été jusqu’à nous narguer. Deux jours après notre intervention, la pelouse ressemblait à la tignasse d’Antoine, au temps de ses élucubrations.

La deuxième solution, soufflée par moi, n’a pas immensément enthousiasmé Alain. Sortir Scotty, d’accord. S’occuper d’un âne… je lui suffis.

Nous avons donc fait appel à un professionnel dont nous avions trouvé une publicité alléchante, et l’avons convié à nous rendre visite pour nous proposer un devis.
Aimable et sûr de lui, l’homme, béret planté sur le sommet du crâne, a fait le tour du jardin au pas de charge, faisant des commentaires sur le travail à effectuer . Rien que l’écouter nous a mis la puce à l’oreille. Inquiétant…
Il est ensuite passé à la partie délicate de l’opération: nous annoncer ses tarifs. L’œil innocent et la bouche en cœur, il nous a appris que, pour dix visites de 4 heures (mais la 11e est offerte!) il nous en coûterait 1200 euros… au lieu de 1400, va, il est bon prince. Et puis « si vous recevez du monde le samedi et que vous réalisez que votre pelouse n’est pas nickel, je peux vite passer. Mais bien sûr, en tarifs de week-end… »

Oui, bien sûr… Et il est parfaitement clair que nous sommes du genre à faire tondre la pelouse une heure avant de recevoir des amis, pour faire chic, tiens…
Je n’ai pas envie de mettre Alain mal à l’aise. J’ai donc retenu les deux réflexions que je mourrais d’envie d’exprimer: « Heu… je peux avoir le vague espoir que vous parlez en francs suisses? » et « Excusez-moi, nous avons besoin d’un jardinier, pas d’un avocat… Si vous me le permettez, je m’évanouis et je reviens. »

Je n’ai rien dit. Je suis extrêmement sage depuis que je suis ici.
Quand le monsieur est parti, non sans nous avoir averti qu’il fallait le rappeler rapidement car son planning se remplissait à vue d’œil, l’homme que j’aime et moi avons échangé un regard entendu. Visiblement, nous pensions la même chose… La longue visite que j’ai dû faire à un médecin depuis mon arrivée m’a coûtée très exactement 22 euros, avec consultation complète. Quel est donc ce pays où le tarif horaire d’un jardinier est plus cher que celui d’un médecin?!

Alain m’a dit:
- Bon, on demande un autre devis?
- Oui!

J’attends le deuxième homme pour la semaine prochaine. Mais cette fois, je sais à quoi m’attendre…

Nous reste éventuellement la dernière solution: acheter une tondeuse à gazon.
Si je n’ai jamais tondu une pelouse de ma vie, Alain, lui, connaît l’exercice.
Il m’a donc dit: « Je crois que tu ne te rends pas très bien compte que c’est assez physique. Je la tondrai moi-même, la pelouse. »
Hum. Connaissant l’importance de ses problèmes de dos, c’est exclu.
Seulement voilà, je sais que, bien souvent, lorsqu’il me met en garde, il a raison.
C’est parfaitement horripilant, mais c’est ainsi.
Nous attendons donc le devis du Messie avec anxiété.
Et si Messie a lui aussi des velléités de paie de ministre, nous complèterons son intervention par la mienne, nettement plus artisanale, mais moins onéreuse. Je mettrai peut-être deux jours complets là où il mettra une heure, mais bon, nous ne sommes pas pressés.
A moins que… ôtez-moi un doute…
Quelle est exactement la vitesse de croissance d’un brin d’herbe, déjà?

(à suivre…)

Martine Bernier