Ce séjour à Paris avec Lui, je l’attendais et le redoutais tout à la fois.
Des dizaines de questions me trottaient dans la tête.
Nous n’avions jusqu’ici partagé que des moments courts ensemble, rarement en tête-à-tête.
Allait-il supporter mes programmes?
Comment allait-il appréhender mes immersions dans la peinture?
Comment réagirait-il lorsque je me retrouverais en reportage et en interview?
Comment, tout simplement, allait-il me supporter durant ces deux jours et des poussières?
Dès que je l’ai retrouvé, ce sentiment de paix que je ressens lorsqu’il est là est réapparu.
Tout est simple, facile, clair.
Je suis arrivée dans la nuit. Mais avant de rentrer à l’hôtel, il m’a proposé d’aller prendre un verre. Ce qui nous a permis de reprendre le fil de nos échanges. J’ai commencé à le découvrir un peu plus, différemment.
Le lendemain, le premier reportage que j’avais souhaité faire était pour moi un test.
J’avais choisi intentionnellement un sujet qui avait des chances de l’intéresser, où je pourrais le mêler à la conversation. Mais allait-il être réceptif?
Très vite, il a trouvé ses marques, et a, de temps en temps, lancé des remarques dont certaines m’ont mises au bord du fou rire.
Juste avant de nous rendre à ce rendez-vous, il m’avait proposé d’aller au Musée d’Orsay après cette première partie de mon travail. Autant dire que je n’ai pas traîné inutilement…
Orsay, mon bonheur… Retrouver Monet, tous ces peintres que j’aime…
Avant de pénétrer dans ce sanctuaire, je lui ai juste donné deux ou trois clés pour qu’il puisse découvrir plus facilement la peinture de ces trois derniers siècles.
A l’entrée, il m’a confié que c’était la première fois qu’il mettait le nez dans un musée d’Art. Pression supplémentaire pour moi… Je ne voulais surtout pas qu’il s’y ennuie.
Je lui ai proposé de commencer par le plus difficile, l’exposition de James Ensor, pour ensuite nous rendre vers ce qui, à mon sens, représente la période la plus douce de la peinture, vers ce qui a représenté un tournant majeur: l’Impressionnisme.
Il a découvert l’étrange univers d’Ensor sans ciller, un peu surpris, mais amusé. Je n’avais pas envie qu’il n’en retienne que le côté un peu fou… Je lui ai montré la lumière qui jaillit de ces toiles…
Delacroix et ses collègues contemporains ont permis la transition avec l’exposition consacrée notamment à Van Gogh. C’est là que, pour moi, l’émerveillement a commencé.
Il est tombé en arrêt devant mes toiles préférées, sans que j’aie eu besoin de les lui indiquer. Je lui avais parlé de Monet, de Signac, de tous ceux qui peuplent mon monde.
Il aimait vraiment… cela se voyait.
Le voir craquer très exactement pour « mes » tableaux m’a apporté un réel bonheur.
Sa sensibilité le porte vers la lumière, la finesse, la légèreté, la grâce.
Parcourir Orsay avec lui a été un pur moment de plaisir.
En sortant, il plaisantait sur sa toute fraîche culture de l’Art… il manie l’autodérision avec un assez joli talent!
Mais la journée n’était pas finie…
Nous avons dîné en face du Théâtre de la Renaissance où j’avais réservé des places pour le spectacle de Michèle Bernier. Pendant le repas, nous étions complices, et nous sommes arrivés de très bonne humeur dans la salle du théâtre. En matière d’humoristes, nous avons également les mêmes goûts. Après avoir escaladé les quatre étages qui nous séparaient de la galerie, nous nous sommes dirigés vers nos places. Et là, autre moment insolite: entre les sièges et la rembarde de la galerie, il devait y avoir environ 30 ou 40 centimètres. Tenter de caser un homme d’1,92 mètre, même assis, dans un espace aussi réduit tient du miracle. Il a stoïquement supporté tout le spectacle très inconfortablement installé. Mais l’artiste était si drôle et si touchante que nous avons adoré… C’était une connivence que je ne suis pas prête d’oublier.
Le lendemain, j’avais l’interview majeure de mon séjour, puisque je retrouvais Jean-Pierre Coffe, pour qui j’ai une réelle tendresse. La veille au soir, mon compagnon d’aventure m’a proposé de passer la matinée de ce mercredi au Louvre. Le Louvre… Je ne l’avais pas revu depuis 25 ans. Plusieurs fois j’ai failli y retourner au cours de ces dernières années, mais cela ne s’est pas fait.
J’étais très touchée qu’il m’invite à me rendre dans ce temple de la culture avec lui. Clairement pour me faire plaisir.
Nous y sommes donc allés. Et là encore, j’ai eu quelques moments d’amusement pur. Notamment en le voyant, tout seul, immense, au milieu d’un troupeau de jeunes japonais qu’il dépassait largement d’une bonne trentaine de centimètres…
Au Louvre, nous avons parcouru des kilomètres de galeries en nous fixant sur quelques grands classiques et sur l’histoire des civilisations. Nous sommes tombés d’accord sur le fait que voir la Joconde sous verre et aussi surveillée (ce qui est d’ailleurs parfaitement logique), ne rend pas possible une approche véritable du tableau. Il a snobé la Vénus de Milo, lui préférant Athena. A compris mon amour pour l’Art Etrusque, a craqué comme moi pour une statue de l’Ile de Pâques et pour un petit tableau de la Renaissance italienne, et a traversé sans broncher des labyrinthes de galeries pour voir ce que je désirais lui montrer: le fameux Scribe agenouillé égyptien.
Sachant qu’un petit souci de santé m’a un peu brouillée avec les escaliers, il partait en estafette, discrètement, pour trouver des ascenseurs. De la gentillesse pure…
Nous sommes arrivés à notre rendez-vous un peu avant notre hôte, dans un établissement parisien très réputé. Chaque étape marquante de notre voyage fera l’objet d’un article individuel. Mais ici, je ne parlerai que de ce qui est typiquement lié à Lui.
Lorsque Jean-Pierre Coffe est arrivé, il m’a embrassée. Notre relation est devenue beaucoup plus chaleureuse que la première fois que nous nous sommes rencontrés.
La conversation a été très belle, intime, spirituelle, douce, tout en gardant le fil professionnel.
Lui, qui n’a pourtant pas l’habitude de rencontrer des célébrités, a été parfaitement naturel, à l’aise. Il n’en a fait ni trop ni trop peu, respectant mon travail avec beaucoup de tact, s’intégrant à la conversation.
J’ai vécu avec et grâce à lui, deux jours parfaits.
J’espère qu’il les a vécus de la même façon…
Il cumule les problèmes, actuellement, dans sa vie.
Mais avec une élégance folle, il le cache sous un sourire, laissant à peine filtrer son exaspération lorsque, vraiment, c’est trop.
Je l’ai déjà dit: il a sa vie, j’ai la mienne.
Je n’ai jamais su, et je ne sais toujours pas pourquoi, dès la première fois où je l’ai rencontré, j’ai compris qu’Il aurait un rôle clé, différent, dans mon existence.
Si l’amitié consiste à se sentir bien, en confiance avec quelqu’un, à aimer partager des choses avec lui en étant sur la même longueur d’ondes, à aimer sa présence, son esprit, sa vision des choses, à oser se parler des sujets les plus profonds, sans crainte, à être heureuse de le retrouver, à aimer le découvrir, voir ses réactions et à s’entendre avec Lui comme larrons en foire, alors, je crois que, au fil de ces derniers mois, Il est devenu mon ami.
Enfin… je crois!
En espérant qu’il pense la même chose.
Martine Bernier