Archive pour la catégorie 'Rencontres'

Claudio Corallo: l’élégant aventurier des saveurs

10 novembre, 2011

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Photo d’Eric Bernier

C’était vendredi dernier. Un rendez-vous pour un article… et une rencontre exceptionnelle. Claudio Corallo était en Suisse entre deux avions, deux destinations, lui qui partage sa vie entre Sao-Tomé e Principe, en Afrique, Lisbonne et Prague. A la fin de l’entretien qui a duré tout l’après-midi, nous avions échangé nos coordonnées personnelles, et nous convenions qu’il ferait escale par chez nous lorsqu’il reviendra, avec son épouse, en février.
J’ai envie de vous faire découvrir cet homme sensible, passionné et passionnant, au destin hors du commun.
Voici l’article tel qu’il paraît aujourd’hui dans l’hebdomadaire « Terre et Nature ».

Parti de l’Italie, son pays natal, Claudio Corallo est devenu un orfèvre en matière de culture de café et de cacao. Lui qui ne se sent bien qu’au cœur de ses plantations africaines est de passage en Suisse pour l’ouverture d’une boutique contenant ses produits hors du commun.

Claudio Corallo est un personnage unique. Il y a en lui autant d’Indiana Jones que de cultivateur amoureux fou de sa terre. Sa vie est une aventure. Et sa terre n’est pas celle de Florence natale. Lui dont sa maman disait: « Tu t’es trompé de lieu de naissance, tu aurais dû naître en forêt! » se spécialise en suivant ses études à l’Institut Agronomique pour l’Outremer avant d’accepter un premier contrat lui permettant de travailler au Zaïre avec un projet de coopération. En 1979, il rachète une plantation de café abandonnée, de 1250 hectares, au fin fond des forêts les moins explorées du pays. Il y plante du café, forme la population locale, apprend la langue et vit dès lors au cœur d’un océan de verdure. Pour y accéder, il faut voyager sur le fleuve, en pirogue ou en bateau à roue et terminer les 95 derniers kilomètres du voyage à pied. Claudio construit une piste d’atterrissage pour rompre un peu l’isolement dans lequel il vit avec sa famille. Les animaux sauvages qui visitent la plantation ne l’effraient pas. Désormais, sa vie est ici, avec son épouse et les trois enfants qui naîtront de leur union.

De la réussite au renoncement

Sa plantation, il lui prodigue les meilleurs soins. En 1989, sa première production est une merveille de qualité. Mais huit ans plus tard, la situation politique du pays se dégrade et il doit tout abandonner précipitamment. « J’avais senti venir le vent, raconte-t-il. En 1993, j’avais loué une plantation à Sao Tomé-e-Principe, deux îles qui représentent l’un des plus petit pays d’Afrique, dans l’Atlantique Sud, et j’y avais installé ma famille. Quand je suis parti à mon tour, il a fallu tout recommencer. J’ai planté du café sur une île et du cacao sur l’autre. Aujourd’hui, j’y vis toujours. »
Le déchirement de ce départ d’un pays où il a laissé son cœur n’empêche pas Claudio de se remettre au travail sans attendre. Au fil du temps, il rachète ses nouvelles plantations. Sur Sao Tomé, dans sa plantation de Nova Moka, il cultive le café avec sa famille, fort de l’expérience d’une vie. Sur Principe, dans sa plantation de Terreiro Velho, il apporte la même rigueur et la même attention au cacao, culture nouvelle pour lui. Esthète exigeant avec lui comme avec les autres, il cherche les variétés possédant les meilleures saveurs, est partout sur le terrain et se jette à corps perdu dans le travail. Il développe une méthode de fermentation naturelle, trouve la courbe thermique idéale pour un séchage optimal des fèves.

Le must du cacao

Le résultat est magnifique. Ses fèves de cacao n’ont pas d’amertume agressive. Leur douceur permet de limiter l’apport de sucre lors de la préparation du chocolat. Les saveurs de chacun des produits issus des deux plantations de cacao comme de café ressemblent au maître des lieux: raffinées, authentiques, tout en nuance. Désormais, ce cacao, ce chocolat et ce café qui se trouvaient jusqu’ici dans les épiceries fines et autres commerces spécialisés, se retrouvent dans l’élégante boutique ouverte depuis peu à Nyon (VD) tenue par Patrick de Carvhalo, collaborateur de Claudio Corvallo.
Celui-ci revient désormais deux fois par an en Europe pour assurer le négoce de ses produits et aller à la rencontre de ses clients. Partout où il passe, il fascine et passionne ses interlocuteurs par son savoir, ses valeurs, sa sensibilité et son expérience. Sa vie est un roman qui l’a entraîné jusqu’en Bolivie où il a partagé son savoir avec des planteurs locaux. De son départ du Zaïre et de ses premières plantations où plus jamais personne n’est retourné, il parle avec tristesse mais sans aigreur. L’amertume ne fait décidément pas partie de la vie de Claudio Corallo…

Martine Bernier

Promeco Af Sarl, Patrick et Nadea de Carvalho, route de St Cergue 39, 1360 Nyon. Tél. 022 556 76 86
Site: www.claudiocorallo.com

Pierre Arditi ou les imprévus d’une interview

2 septembre, 2011

Il y a quatre ou cinq ans, j’étais partie à Grenoble pour rencontrer Pierre Arditi, qui était en tournée pour les besoins d’une pièce.
Certaines rencontres sont plus stressantes que d’autres.
J’avais donc décidé de faire une chose que je ne fais jamais: emporter un enregistreur  pour ne pas avoir à prendre de notes durant l’entretien, afin de ne pas en casser le rythme.
La veille au soir, j’équipe l’appareil de piles neuves, le dépose dans la voiture pour être sûre de ne pas l’oublier, et… je passe une nuit blanche.
Le lendemain, nous partons donc pour Grenoble.
Après plusieurs heures de route, nous nous présentons dans le grand hôtel où le rendez-vous a été donné et, après quelques minutes d’attente, je vois arriver l’acteur qui avait accepté plusieurs interviews à la suite.
Le premier contact pris, nous nous installons dans un coin salon, je branche mon appareil et nous commençons à parler.
Au bout de près d’une heure d’entretien, mon regard se pose sur l’appareil…. et je réalise qu’il s’est arrêté sans me demander ma permission.
Discrètement, je le remets en marche et poursuis le jeu des questions-réponses auquel Pierre Arditi se prête de bonne grâce.
Mon regard glisse une nouvelle fois vers l’appareil et là… je découvre qu’il est à nouveau en pause syndicale.
Je termine l’interview, un peu inquiète, écoutant mon interlocuteur me dire qu’il aime beaucoup le public suisse.
Pour la première fois de ma vie je n’ai pris aucune note…
Je suis une scribouillarde incorrigible.
Toutes mes interviews sont effectuées par écrit, y compris lorsque je rencontre des personnalités célèbres.
Mais là… non.
Je laisse Eric prendre ses photos tranquillement, nous prennons congé du comédien, et nous nous dirigeons vers la voiture.
Sur le chemin, n’y tenant plus, j’allume l’enregistreur, remet l’interview au départ et, avec horreur, j’entends ceci:
- « … et je me réjouis de retrouver le public suisse qui me reçoit toujours merveilleusement. »
Je remets le disque au début, réécoute… et réentends la même phrase.
Rien d’autre.
Il s’est avéré que la nuit avait été froide, et que l’appareil l’avait passée dans la voiture.
Les piles avaient dû se décharger…
Jamais, ni avant ni après, je n’ai ressenti ce que j’ai vécu à ce moment-là.
L’impression que j’allais vivre un très, très mauvais moment.
Il ne me restait qu’une solution.
Dans la voiture, de Grenoble à Yvorne, j’ai écrit, écrit…
J’ai retranscrit tout ce que m’avait dit Pierre Arditi, le plus fidèlement possible.
L’article est sorti (il est d’ailleurs sur Ecriplume), m’a valu quelques félicitations.
Personne n’a su que j’avais passé l’un des moments les plus stressants de ma vie professionnelle.
Et certainement pas Pierre Arditi, qui a eu la gentillesse de me suivre sur un terrain d’interview où il ne m’attendait pas.

Martine Bernier

 

Le mystérieux quatuor Loffler

6 juillet, 2011

Parmi les sujets que j’ai traités pour les besoins de mon travail au cours de ces 25 dernières années, il en est un que je n’oublierai jamais.
Celui de la très mystérieuse famille Loffler dont l’histoire a aujourd’hui rejoint la légende à Cergnat, non loin de Leysin, station des Alpes vaudoises (Suisse).
Le récit m’avait été raconté à l’époque par un ami syndic (traduisez « maire » si vous n’êtes pas Suisse!).

En 2002, pour les besoins de l’article que j’ai eu envie de consacrer à ce père et à ses trois filles, il m’avait permis d’entrer dans la maison de la famille, une maison encore très imprégnée par la personnalité des locataires décédés.
Une demeure refermée sur leurs secrets…

Les araignées avaient tissé leurs toiles sur la boîte aux lettres de la maison qu’habitait autrefois le Quatuor Löffler.
Depuis le décès de Maria, la dernière survivante de la famille, elles étaient les seules locataires du bâtiment abandonné.
Rares sont ceux qui se souviennent du destin de cette famille, composée d’un père compositeur-interprète et de ses trois filles musiciennes, arrivés de Leipzig, en Allemagne, pendant la dernière guerre.
Dans la Vallée des Ormonts, beaucoup les croyaient réfugiés, d’origine juive.
Vérification faite auprès de l’administration communale, Max, Johanna, Susanna et Maria, ont dès le début été enregistrés sous le statut d’artistes et non de réfugiés.
Le brigadier de police, qui connaissait la famille depuis plus de vingt ans, a été nommé liquidateur testamentaire.
C’est lui qui m’a appris que les Löffler, contrairement à ce qui a été dit, n’avaient pas fui l’Allemagne parce qu’ils étaient en danger.
Dès qu’ils ont perçu la montée du nazisme, ils sont partis pour retrouver ailleurs la quiétude qui leur était nécessaire pour travailler.

Avant la guerre, le quatuor s’embarque donc pour les Etats-Unis.
N’y trouvant pas la sérénité recherchée, il rentre en Allemagne au bout de quelques mois.
Puis il repart pour la Suisse, définitivement, cette fois.
Les autorités communales de l’époque leur proposent de s’installer dans l’ancien collège de Cergnat.
Une bâtisse froide, mais tranquille, dans laquelle la famille retrouve la paix.
Lorsque j’ai visité la maison, construite sur la faille de la Frasse, une faille naturelle qui rend le terrain instable, elle était très abîmée.
De guingois, les murs étaient lézardés, endommagés par des infiltrations d’eau.
Le bâtiment, irrécupérable, était condamné à la destruction.
Partout, dans la maison vide de ses habitants, les pianos, clavecins, et autres partitions témoignaient du passé glorieux de cette famille de brillants musiciens.

Parmi les nombreuses photos, aucune trace de la femme de Max Löffler, semble-t-il décédée très jeune.
Rien… pas un signe.
Comme si elle n’avait jamais existé.
Aucune des trois demoiselles ne s’est mariée.
Vouées à la musique, elles chantaient et jouaient de nombreux instruments: violon, violoncelle, guitare, cithare, cuivres.
Du temps de leur splendeur, elles ont joué aux côtés de leur père dans le monde entier, dans les lieux les plus prestigieux, jusqu’à la Cour de la Reine Mère d’Angleterre.
Mais jamais, leur musique n’a été enregistrée ou gravée sur disque.

Dans les Ormonts, la mystérieuse famille vivait retirée, alimentant sans le vouloir les fantasmes les plus farfelus.
Certains affirmaient qu’à leur arrivée en Suisse, les Löffler auraient coulé de l’or dans un de leurs instruments, un cor de chasse.

En fait, ils vivaient chichement.
Ils menaient une vie spirituelle intense, collectionnaient les timbres dans de vieilles enveloppes, stockaient d’énormes sacs de graines pour nourrir les oiseaux, offraient des bouquets aux familles des communiants, et donnaient des leçons de musique à l’école.
Seule Maria parlait français et possédait un permis de conduire.
En 1961, le patriarche décède.
Aucune de ses filles ne l’avait jamais quitté.

Les trois soeurs, amies de Yehudi Menuhin, poursuivent alors une existence retirée et cultivée.
Susanna meurt à son tour en 1976, puis Johanna en 1994, dans une clinique de Leysin où sa soeur, Maria, est elle même décédée en 2000.
Tous ont été enterrés dans le paisible cimetière de Cergnat.
Quand je me suis rendue dans leur maison, ne restaient dans la demeure endormie que des instruments désormais muets, et des cascades de souvenirs accrochés à des photos jaunies.

De leur vivant, Max, Johanna, Susanna et Maria Löffler avaient rêvé de se voir un jour consacrer un musée.
Sans doute est-ce pour cela qu’ils ont fait de la commune d’Ormont-Dessous leur légataire, tandis que celle-ci promettait en contrepartie de continuer à s’occuper de leurs tombes.
Avant de se débarrasser des partitions moisies par l’humidité, la Commune vérifiera que les compositions de Max Löffler ont bien été enregistrées auprès d’une Société d’Auteurs et Compositeurs.

J’ai cru que l’histoire s’arrêterait là et que je resterais simplement avec la très étrange impression ressentie dans la maison.

En 2002, mon article a donc été publié.
Quelques jours plus tard, j’ai reçu une lettre à laquelle était jointe une photo noir-blanc, jaunie.
Celle d’une petite fille d’environ deux ans et d’une dame.
La personne qui m’écrivait m’expliquait qu’elle avait la preuve que l’une des filles Löffler a eu une fille.
Pas de père à l’horizon, mais elle savait que l’enfant avait vécu car elle s’en était occupée.
Un pasteur de la région m’a confirmé l’information.
Mais personne dans la région ne se souvient d’avoir jamais vu cette petite fille.
Parmi les très rares personnes qui m’ont confirmé son existence, tout le monde était assez mal à l’aise.
Les demoiselles Löffler ne fréquentaient pas de messieurs, et personne ne savait ce qu’était devenu l’enfant.
Mon enquête m’a menée jusqu’en Allemagne, chez une lointaine cousine, où j’ai perdu la trace de l’enfant.

Dans le petit cimetière paisible de Cergnat, les quatre musiciens dorment en paix, sans avoir rien révélé de leurs secrets.

Martine Bernier

André-Paul Duchâteau: Le gentleman du polar

17 juin, 2011

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Dans les mondes de la bande dessinée et de la littérature policière, l’écrivain belge André-Paul Duchateau est une star.
Scénariste du célèbre « Ric Hochet » créé avec le dessinateur Tibet, il a vécu avec ce dernier une histoire d’amitié qui a duré 56 ans. Roi du suspens, prince de l’énigme… rencontre avec un être humain délicieux.

- Quel genre de petit garçon étiez-vous?
Je suis né à Tournai, en Belgique, et dès le départ, j’ai été passionné par les aventures de Tintin. Je me suis très vite promis d’écrire. Mon père, général dans l’aviation, adorait lire les histoires policières pour se détendre. Grâce à lui, à 6 ou 7 ans, je dévorais déjà Agatha Christie. J’ai toujours été un grand amateur d’énigmes, de problèmes policiers. Puis je suis devenu un immense lecteur… de tout! Et le plaisir du lecteur est devenu le plaisir de l’écrivain. Je suis avant tout un grand amateur d’énigmes. J’adore mettre les lecteurs sur de fausses pistes!

- Le grand public vous connait avant tout comme étant le scénariste du célèbre héros de BD « Ric Hochet ». Comment avez-vous rencontré Tibet, son dessinateur?
J’étais directeur commercial dans une grande imprimerie qui imprimait beaucoup de journaux. Tibet avait été engagé comme « petite main » par les deux dessinateurs de la maison. Nous avons sympathisé et sommes devenus très amis avant d’être collaborateurs. Le soir, après 17 heures, je le rejoignais dans son bureau et nous jouions. Nous discutions pendant des heures en jouant au ping-pong. D’abord debout, puis, comme nous devenions plus fatigués au fil de la partie, nous la continuions plutôt mollement, depuis une banquette! C’est comme cela que tout est né…

- Naissance d’une amitié… et de Ric Hochet! Lequel de vous deux en a eu l’idée?
Lui. Il aimait beaucoup un personnage de BD, Valhardi, détective assureur, et m’a proposé de créer un détective dans le même genre. Je n’ai accepté le nom de Ric Hochet qu’avec réticence. Je trouvais que cela ne faisait pas très sérieux. Ric ne vieillissait pas. Il y a eu beaucoup d’anecdotes, au fil du temps. Je disais à Tibet que je ne comprenais pas comment le personnage pouvait conserver ce fameux veston à mouchetures alors qu’il passait son temps, en se battant, à le salir, le déchirer. Un jour, dans un album, Tibet a glissé un gag. Après s’être bagarré et avoir encore abîmé sa veste, Ric rentre chez lui, ouvre son placard et… on y voit une quinzaine de vestons identiques! Tibet s’amusait beaucoup de ce genre de détails. Quand il me téléphonait, je grognais souvent. Pour un scénariste, parler au téléphone équivaut à ne pas travailler. Pour lui, c’était différent. Pendant qu’il parlait, je l’entendais crayonner! Il faisait les mouchetures des vestons de Ric, dessinait, alors que je ne pouvais rien faire d’autres que de parler.

- Comment naît une histoire de Ric Hochet? Vous savez dès le départ qui sera le coupable?
J’ai souvent dit que, dans un roman, je ne sais pas ou je vais, je change de coupable en cours de route. Mais c’est parfois dangereux dans les scénarios! Autant dans un roman, vous faites ce que vous voulez, autant, en bande dessinée, le synopsis doit être très précis. Et cela nous a apporté des ennuis. Dans la série « Les aventures des trois A », que nous avions créée ensemble, j’ai changé de coupable, mais je ne l’ai pas dit à Tibet suffisamment tôt. Dans un premier temps, le personnage en question était long et grand. Au fil de l’histoire, qui paraissait chaque semaine dans Tintin, j’ai changé d’avis et j’ai choisi un autre homme, gros et large. Or, les pages devaient partir à l’imprimerie et Tibet avait déjà dessiné… Nous nous en sommes sortis, mais ça a été complexe!
En principe, je pars souvent d’une idée de base et les personnages viennent par la suite. Pour Ric Hochet, je suis peu à peu parti dans des histoires complètement fantastiques.

- J’ai le souvenir d’un album au cours duquel l’un des personnages voyait ses cheveux blanchir totalement en une seule nuit. C’était une création ou un fait réel?
C’était un cas exact. Je suis parti sur un fait réel qui m’a été raconté. Celui d’un homme vivant en Arabie, qui a assisté a tellement d’horreurs que ses cheveux sont devenus blancs en quelques heures…

- Le temps a passé. Tibet nous a quitté voici un peu plus d’un an…
Oui. Après 56 ans de travail commun et d’amitié. Ca a été une immense douleur pour sa femme et pour moi. Mais il est mort de manière miséricordieuse. Il regardait un spectacle comique à la télévision, s’est levé pour ouvrir une fenêtre, et s’est affaissé. Sans douleur… Il était mon cadet de six ans. Ca a été tragique… Il me manque terriblement, à tous les niveaux…

- Peu après sa mort est sorti le fameux album numéro 78, ultime aventure de Ric Hochet dessinée par Tibet, mais qu’il n’a pu terminer.

Nous avons beaucoup réfléchi, avec son épouse, et nous avons décidé de le sortir, pour lui, même si la plupart des dessins n’en étaient encore qu’à l’état d’ébauche.

- A la fin de la préface que vous lui consacrez, vous dites que Tibet aurait souhaité que Ric ne meurt pas et qu’il y aura d’autres albums.
Nous essayons, nous testons… mais la décision est prise: nous serons d’une exigence énorme. Si un album 79 doit sortir, il devra être parfait. L’épouse de Tibet et moi-même aurions voulu arrêter. C’est lui qui ne le voulait pas. Nous craignons une désillusion. Nous verrons. En attendant, les albums de l’intégral sortent et marchent très bien.

- Vous êtes non seulement scénariste, mais également un écrivain reconnu, sous plusieurs pseudonymes.
Après Ric Hochet, nous avons créé la BD « Les Trois A ». L’éditeur a estimé qu’il était plus judicieux de prendre un pseudonyme. J’ai énormément écrit: c’est une démangeaison extraordinaire, un immense plaisir. J’ai notamment signé beaucoup de romans pour l’illustré belge « Bonne Soirée ». En core aujourd’hui, j’écris toujours à la plume et je fais retaper mes textes. J’aime ce contact avec le papier, le bruit de la plume… Pour le moment, j’ai un livre historique prêt à sortir si je trouve un éditeur.

- Une biographie?
Oui, l’histoire d’un homme qui a défrayé la chronique en Belgique, en son temps. Il était à la fois commissaire et chef de bande!

- Vous avez aussi notamment consacré un ouvrage à Stanislas André Steeman, maître du suspens. L’avez-vous rencontré?
J’ai eu la chance de le connaître, oui. Tout le monde se souvient de « L’assassin habite au 21″, porté à l’écran. Il m’a toujours encouragé, m’a poussé en me donnant de bons conseils. Je lui dois beaucoup. Il ne me corrigeait pas mais relisait avec moi. Dans l’un de mes livres, le personnage rentrait dans une chambre, respirait un parfum et trouvait quelques vers. En lisant ce passage, S.-A. Steeman m’a dit: « Tu dois aller au fond des choses. Il faut que l’on puisse lire ces vers. »
Le problème c’est que je ne suis absolument pas doué pour la poésie. J’ai composé une multitude de vers que je lui ai envoyés. Il ne les trouvait pas bons.Il me disait: « Vos vers, mon ami, sont des vers de mirlitons. Et encore, de mirliton qui jouerait faux! ».
En désespoir de cause, j’en ai écrit un énorme paquet et je les lui ai envoyé. Trois lignes ont trouvé grâce à ses yeux, que j’ai pu publier: « L’éclat de tes bas noirs
Dans l’ombre de ta jupe
Je n’espère plus d’autres soirs… »

- Ecrivez-vous toujours, aujourd’hui?
Je suis toujours aussi passionné par les mystères. Mes énigmes paraissent une fois par semaine dans le magazine « Télé 7 Jeux ».
Tibet me manque, je vous l’ai dit… Nous avions peur de lasser nos lecteurs, mais nous avions faim de continuer. Pendant qu’il dessinait, j’inventais l’histoire suivante, et ainsi de suite. En dehors de son absence cruelle, rien n’a changé depuis mes 15 ans. J’en ai 86 et j’écris toujours! Il y a chez moi un désir d’écrire qui ne s’éteindra pas, je crois!

Martine Bernier
- « L’écrivain habite au 21″, P.-A Duchâteau et Stéphane Steeman, Ed. Quorum.
- L’intégrale de Ric Hochet ressort aux Editions du Lombard

André-Paul Duchâteau: les dessous d’une interview magique

15 juin, 2011

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Je n’oublierai jamais ce moment…

Comme je n’oublie jamais les beaux événements de ma vie.
J’ai tendance à redouter les interviews téléphoniques, parce qu’il n’est pas possible de s’appuyer sur le regard, sur ces mille détails qui enrichissent le tête-à-tête direct, et que seule la voix sert de vecteur relationnel.

L’interview est donc plus délicate, risque de devenir plus froide, plus métallique, raison pour laquelle je la prépare avec plus de soin encore.
Celle d’aujourd’hui, je l’espérais depuis très longtemps.

J’avais sollicité une interview d’André-Paul Duchâteau, scénariste surdoué, notamment de la BD Ric Hochet, écrivain, journaliste, homme cultivé, d’une élégance absolue. 

Je connais Ric Hochet depuis ma plus tendre enfance, en ai lu à peu près tous les albums et voue une tendresse particulière à ses auteurs, le très regretté Tibet et, donc, son complice Duchâteau.

Ric Hochet était mon compagnon de nuit d’insomnie et de journées de solitude, lorsque j’étais enfant, puis est devenu un vieil ami que j’ai toujours retrouvé avec bonheur, contaminant mes enfants au passage et leur transmettant le virus.

Je retrouve encore, en y pensant, le goût de ces moments précieux où je filais dans ma chambre avec un album sous le bras, à découvrir dans la solitude de ma chambre, avec délices.

J’ai toujours aimé les énigmes, les intrigues policières merveilleusement bien conçues, dénouées par le héros.
 Si bien “ficelées” que, bien souvent, encore aujourd’hui, je ne trouve pas le coupable.
Alors que j’étais en contact avec la personne chargée du service de presse des éditions du Lombard, en Belgique, je lui ai fait part de mon souhait d’obtenir l’entretien en question. 

En n’y croyant pas trop, je l’avoue. 

Cet homme est un monument et doit avoir bien d’autres choses à faire que de se prêter au jeu de l’interview.
 Hier, un coup de fil m’apportait la nouvelle: “demain, mercredi, dix heures, voici son numéro…”
Après plus de 25 ans de métier, je suis toujours sujette aux enthousiasmes, aux émotions… et j’en suis ravie!
 En me glissant devant mon bloc pour préparer l’interview, je me suis dit: et pourquoi ne pas rester naturelle?
Pourquoi ne pas lui poser ces dizaines de questions que je rêve de lui poser depuis mon enfance? Pourquoi ne pas lui dire, peut-être, combien son ami dessinateur et lui ont compté dans ma vie?
Pourquoi ne pas privilégier le contact humain?
Cette rencontre, je l’attendais depuis si longtemps… pas question de passer à côté.

A 10 heures précise, je composais le numéro.
 Il a fallu deux phrases pour que la magie opère.

J’aurais pu être déçue, lui aussi.

Au lieu de cela, nous avons vécu une heure et quart de grâce. 

Une conversation à bâtons rompus au cours de laquelle il a levé le voile sur mes interrogations, m’a raconté des anecdotes, m’a permis de rentrer dans son histoire d’amitié, dans sa vie.

Il m’a parlé de lui, de Tibet, de leur travail, de son enfance, de ses livres, de ses projets…

Un homme passionnant, d’une classe, d’une courtoisie, d’une sensibilité et d’une spontanéité rendant l’instant magique.

Je n’ai pas connu très souvent cette sensation: le temps s’est arrêté. 

Nous avons parlé, parlé… nous sommes découvert un ami dessinateur commun, mille points de connivence.
Lorsque j’ai terminé, il m’a demandé mes coordonnées et a souhaité que nous continuions à nous appeler de temps en temps et, à nous voir si j’avais la bonne idée de passer par la Belgique.

J’étais ravie…

Je lui ai dit que les portes de notre nid leur étaient grandes ouvertes, pour lui et à sa compagne.
J’ai eu du mal à raccrocher.

Je n’avais pas envie de le quitter.
Le texte de l’interview trouvera sa place sur trois de mes blogs, dont Ecriplume, dans les jours à venir.

Puis un autre paraîtra dans le Journal de l’Entraide Familiale Vaudoise.
J’ai rencontré un gentleman, passionnant et passionné. 

Comme je le disais, dans la journée: Merci, Métier!!

Martine Bernier

Jean-Marc Lattion: Le Maître de l’acier

31 mai, 2011

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Jean-Marc Lattion a créé un monde fantastique, peuplé d’œuvres en métal façonnées au feu de sa forge ou de son chalumeau. Et a transformé en art un métier délaissé.

Lorsque vous demandez à Jean-Marc Lattion s’il est ferronnier ou artiste, il répond qu’il est sculpteur. À première vue, son atelier de Colombey (VS) ressemble à un lieu de travail classique, parsemé de machines et d’outils. Mais à y regarder mieux, le local est rempli de merveilles. Des chats élégants, des statuettes, du mobilier tout droit sorti d’un film fantastique: le tout, inclassable, ressemble à celui qui les a créés.
Jean-Marc Lattion est un personnage. Jeune homme, il entame des études d’ingénierie en mécanique qu’il délaisse au bout de quelques trimestres, déçu par l’atmosphère estudiantine. Il devient programmeur informaticien, mais étouffe dans son métier. « Je voulais une liberté totale, explique-t-il. Mai 68 était passé par là, et je ne voulais plus recevoir d’ordre de qui que ce soit. En regardant mon oncle, ferronnier, forgeron et maréchal-ferrant, j’avais appris les bases de son métier dès l’enfance. J’ai décidé peu à peu de me mettre à mon compte comme ferronnier d’art. »
Il fallait oser… L’homme est marié, père de trois enfants, et le métier est en voie de disparition. Rares sont les personnes qui apportent encore des outils à réparer. En 1976, il débute en réalisant quelques décorations pour les maisons et… une sculpture de chauve-souris commandée par un particulier. Le défi lui plaît. Il réalise un croquis et signe sa première œuvre.

Un monde imaginaire

Le travail du métal, pourtant pénible et long, le passionne. Il met au point une méthode novatrice qui lui permet de chauffer et de travailler le métal au chalumeau et non plus à la forge qu’il utilise de moins en moins.
Réalisées avec du matériel de récupération, ses œuvres sont impressionnantes, sorties en droite ligne de son imagination débordante. Sa dextérité à travailler le fer, l’acier ou l’aluminium est telle qu’il arrive à donner l’illusion qu’il recouvre ses tables d’un tissu noir, alors qu’il s’agit d’un effet de drapés en métal aux plis étrangement fluide. Ses chaises sont conçues autour de sièges de vieux tracteurs, qu’il recherche toujours dans le but de leur offrir une nouvelle vie. Un objet qui passe dans ses mains est doté d’une deuxième vie, marqué de sa griffe. Cet homme calme, indépendant et cultivé transcende le métal qu’il façonne pendant des jours entiers avec une patience infinie. Pour le clocher de l’église de Trois Torrents, il vient d’achever une croix surmontée d’un coq en trois dimensions, qu’il dévoilera dans le courant du printemps lors d’une exposition qui sera organisée sur son lieu de travail.

Inspiration d’Art brut

À l’extérieur de son atelier, le Jardin des Sculptures qu’il a commencé à installer est un enchantement. Des chats monumentaux de plus de trois mètres, racés et stylisés, voisinent avec une « Grande Femme » qui rappelle l’œuvre du même nom signée Giacometti. Qui la rappelle seulement: il ne s’agit pas de copies. Se contenter de comparer les sculptures de Jean-Marc Lattion avec celles des artistes qu’il admire serait réducteur. Très proches de l’art brut, toutes sont dotées d’une personnalité propre, aussi forte que celle de leur créateur. Belles, malicieuses, émouvantes, fantaisistes ou sobres, elles arborent fièrement leurs formes et cette patine de rouille qui, de loin, leur donne l’apparence du bois.
Ferronnier d’art… Sous le couvert de ce métier perdu, Jean-Marc Lattion transforme la matière, crée des bougeoirs, des luminaires, des décorations, du mobilier. Même s’il ne roule pas sur l’or, le sculpteur est heureux et déclare que si c’était à refaire, il exercerait le même métier, mais sans doute plus tôt. En n’oubliant jamais la définition qu’un prêtre lui a un jour donnée de sa profession: « ferronnier, c’est celui qui travaille le fer avec amour. » Amour et talent.

Pourquoi ai-je à ce point été touchée par le travail de cet homme?
Parce qu’il fait partie de ces milliers d’artistes méconnus ou inconnus, qui créent des merveilles un peu partout dans le monde, discrètement, sans que les médias ne leur accordent la place qu’ils mériteraient.

Martine Bernier

Du 6 au 11 juin 2011; de 14 à 21 heures, vous pouvez rendre visite à Jean-Marc Lattion route de Collombey-le-Grand- 5, 1868 Collombey (Suisse)
Il vient de terminer la croix et le coq-girouette qui orneront le clocher de l’Eglise de Troistorrents, en Valais.
Il présentera le fruit de ce travail délicat qui a demandé des mois de travail au cours d’une exposition à découvrir chez lui!

Léonard Gianadda: « Venez, je vous invite! »

7 avril, 2011

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J’ai largement passé l’âge d’être une midinette.
J’ai rencontré beaucoup de personnalités célèbres ou non, et j’ai eu la chance de m’enrichir à leur contact.
Beaucoup m’ont marquée, voire bouleversée.
Mais celui pour lequel j’ai une admiration absolue reste, sans discussion possible, Léonard Gianadda, dont j’ai déjà souvent parlé sur Ecriplume.
Je lui ai consacré plusieurs articles et, récemment, lui ai adressé un petit message pour lui redemander une courte interview téléphonique pour les besoins d’un encadré.
Le sachant très occupé, je doutais un peu d’avoir une réponse.

Pour ceux qui auraient vécu sur Mars au cours de ces 40 dernières années, Léonard Gianadda est le créateur de la Fondation Pierre Gianadda, érigée à Martigny (Suisse) pour perpétuer le souvenir de son frère cadet, décédé tragiquement en 1976.
De cet endroit magique bâtit autour des vestiges préservés d’un temple antique romain, il a fait un haut lieu de culture où se succèdent des expositions extraordinaires et des concerts classiques de grande classe.
Connue internationalement, la Fondation est l’un de ces rares endroits, en Suisse romande, où les oeuvres des plus grands peintres sont présentées au public.
Pour son courage, sa générosité et sa ténacité, pour sa personnalité rayonnante et volcanique, pour sa culture, j’aime cet épicurien chaleureux et enthousiaste, que je pourrais écouter pendant des heures sans me lasser.

Jeudi après-midi, le téléphone sonne: « Bonjour, bureau de la Fondation Gianadda. Je vous passe Monsieur Gianadda. »
Je me précipite sur mon bloc et mon stylo, ravie.
L’homme à qui je dois des heures de bonheur artistique est au bout du fil.
Comme à chaque fois, l’interview est un délice.
Arrivée au bout de mes questions, la conversation prend un tour plus personnel et nous parlons peinture.
Je lui redis le bonheur absolu que je ressens à chacune de ses expos.

- Avez-vous vu la dernière?
- Oui, je l’ai adorée! J’espère la revoir avant le décrochage…
- Et savez-vous quelle sera la suivante?
- Bien sûr: Monet! Mon peintre préféré. J’ai vu la rétrospective qui lui a été consacrée à Paris. Comme vous, j’imagine. J’attends le mois de juin avec impatience pour le voir à Martigny.
- A Paris, ils avaient peu de tableaux de Giverny. Nous en aurons beaucoup, vous verrez. Passez me voir à la Fondation, je vous montrerai la maquette de l’exposition.

Je suis aux anges… la maquette de l’exposition Monet!!!
Je donnerais beaucoup pour trouver un moment pour y aller!
Et je ferai tout pour cela!

- Que faites-vous, le 14?
- Le 14 avril?
- Oui. Je vous invite à venir écouter le concert violon piano de Joshua Bell et Sam Haywood à la Fondation. Deux invitations à votre nom vous attendront dans l’entrée. Et venez me voir: j’ai tendance à oublier les visages.

Lorsque je raccroche, je suis en lévitation.

J’imagine que la population de Martigny, qui a l’habitude de travailler avec lui et de croiser Léonard Gianadda, a l’habitude de sa présence.
Mais je sais aussi que la rayonnance culturelle qu’il apporte à la ville, au canton du Valais et à la Romandie en général depuis des années, marquera à jamais l’histoire de la région.
Dans le monde de l’art, que ce soit en France, en Suisse, en Allemagne, en Espagne ou ailleurs, j’ai pu m’en rendre compte: tout le monde sait qui est Léonard Gianadda.

Je ne suis pas une midinette.
Mais j’ai une chance infinie…

Martine Bernier

Jean-Claude Dreyfus: « Le mardi à Monoprix », une merveille

6 octobre, 2010

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(Photo: Thierry Leroy)

Mon passage à Paris m’a permis de retrouver un acteur que j’adore, Jean-Claude Dreyfus, véritable OVNI dans le monde théâtral.
Il sait tout faire: chanter, danser, jouer, faire de la magie…
Lorsque j’avais vu, en suivant la cérémonie des Molière, qu’il avait été nominé pour le Molière du meilleur acteur pour son rôle dans « Le mardi à Monoprix », j’ai eu très envie de voir la pièce.
Je l’ai donc appelé, lui ai annoncé mon arrivée à Paris et nous avons convenu que je passerais le voir avant d’aller l’applaudir.

Le thème de la pièce est particulier.
Marie-Pierre est… le fils de deux personnes vivant en province.
Au cours de son enfance, il a réalisé qu’il n’était pas fait pour être un garçon.
Il lui faudra du temps pour assumer sa transformation.
Mais son déménagement à 80 km de chez ses parents et son intégration dans une ville qui ne l’a jamais connue autrement qu’en femme lui permettent de vivre au mieux sa transformation.
Alors qu’elle vient de perdre sa mère, Marie-Pierre revient chaque mardi pour s’occuper de son père, de son ménage, de ses courses.
Celui-ci a mal compris le changement intervenu chez son fils qu’il s’obstine à appeler Jean-Pierre, malgré ses robes à fleurs et ses talons hauts.
La pièce est un long monologue, un texte magnifique écrit par Emmanuel Darley.
Jean-Claude Dreyfus est seul en scène avec le talentueux contrebassiste Philippe Thibault, qui induit un véritable dialogue musical.

Pour jouer le rôle de Marie-Pierre, sensible et délicate, il fallait un comédien capable d’investir un personnage aussi difficile sans tomber dans la caricature.
Dreyfus n’a pas un physique de minet, c’est le moins que l’on puisse dire.
Je ne l’imaginais pas en robe et perruque, perché sur des talons, les yeux et les lèvres maquillés, les ongles vernis de rouge vif.
Il réussit l’exploit de ne jamais être ridicule, de provoquer la sympathie du public qui s’attache rapidement à ce personnage fragile et tendre.
A aucun moment le temps ne semble long.
Le comédien enveloppe les spectateurs, les entraîne dans ses voiles, dans ses méandres, dans ce quotidien, ces sentiments mal reçus, mal compris.
Il joue… à la fois Marie-Pierre à la voix douce, et son père pour qui elle restera toujours Jean-Pierre, son fils.

La salle était comble, plus une place n’était libre, des chaises ont dû être rajoutées.
Et pourtant, le silence qui régnait était à la hauteur de la prestation de l’acteur.
En le retrouvant après la pièce, nous étions encore sous le charme de Marie-Pierre.
Pour un peu, nous aurions aimé la réconforter, la consoler…
Ce Molière qui a été décerné au regretté Laurent Terzieff, il l’aurait lui aussi largement mérité.

Vous avez encore jusqu’au 30 octobre 2010 pour voir la pièce à Paris où elle joue les prolongations.
Précipitez-vous…

Martine Bernier

Théâtre Ouvert
Le Jardin d’hiver
4 bis, cité Véron, 75018 PARIS
Administration 01 42 55 74 40
Réservation 01 42 55 55 50
accueil@theatreouvert.com
représentations du mercredi au samedi à 20h
le mardi à 19h
matinée le samedi à 16h

http://www.theatre-ouvert.net

« La manipulation affective dans le couple. Faire face à un pervers narcissique. » Interview

24 juillet, 2010

Toute femme ayant vu sa vie brisée par un homme pervers narcissique sait qu’il lui faudra des années pour se reconstruire…. si elle arrive à se relever un jour.
L’infinie détresse engendrée par le comportement de ces personnages est aujourd’hui l’objet de toutes les attentions, à travers des décisions politiques essentielles et une loi novatrice adoptée en France en ce mois de juillet.
Un excellent livre ajoute une pierre majeure à cet édifice.
« La manipulation affective dans le couple. Faire face à un pervers narcissique » est sorti en février 2010 et a déjà été réimprimé quatre fois.
C’est dire l’importance de cet ouvrage dont les auteurs, Pascale Chapaux-Morelli et Pascal Couderc, font salle comble dès qu’ils donnent des conférences à travers l’Europe.
Tous deux ont accepté une interview dont voici la teneur.

- Pourriez-vous vous situer afin de préciser à quels titres vous vous êtes lancés dans l’écriture de ce livre?
Pascale Chapaux-Morelli: je suis présidente de l’Association d’aide aux victimes de violences psychologiques, et Pascal est psychanalyste, psychologue-clinicien et spécialiste des addictions.

- Vous expliquez que les victimes de pervers narcissiques sont des femmes, pour la quasi totalité. Comment expliquez-vous ce phénomène?
Pascal Couderc: Quelques rares hommes, dans les conférences que nous avons données ont pris la parole pour présenter leur situation qui ressemblait beaucoup à celles que peuvent subir les femmes, mais ils sont rares. Comment expliquer que ces pathologies soient masculines? Historiquement, les hommes ont toujours possédé le pouvoir. Mais cette situation évolue au niveau institutionnel. L’homme doit donc avoir recours à d’autres stratégies pour reprendre ce pouvoir qui lui échappe. Je reçois presque uniquement des femmes dans le cadre de mon travail. La souffrance féminine est énorme. Cela ne veut pas dire qu’aucun homme ne souffre dans son couple. Mais en général, les hommes conservent un petit terrain secret où ils se réfugient pour éviter la souffrance extrême. Ceci dit, leur malaise ne doit être ni nié ni méconnu.

- Y a-t-il des signes permettant de reconnaître un pervers narcissique avant qu’il ait eu le temps de ruiner votre vie?
P.C.: Oui. Au départ tout est idyllique. Systématiquement, les femmes disent « c’était parfait, sauf… » Car il y a toujours un petit quelque chose de dissonant. Il existe une connaissance inconsciente que quelque chose ne va pas. Au début de l’histoire, on l’occulte. Puis, malgré l’état amoureux, certains détails interpellent.
Lorsque l’un des partenaires change subtilement la vie de l’autre, impose à l’autre sa façon de vivre, ses décisions, ses choix, finit par faire douter sa partenaire, lui fait perdre son estime d’elle-même, nous sommes en présence d’un pervers narcissique. Au final, votre vie a totalement changée. Si vous êtes devenue dépendante de l’autre à tout point de vue, qu’il en est arrivé à vous faire douter totalement de vous, il faut consulter.

- Vous soulignez, dans votre livre, que le pervers narcissique a un talent particulier: celui de renverser les rôles et de faire passer la femme pour responsable tout en se faisant passer, lui, pour une victime. Vous écrivez notamment: « Il lui est nécessaire de maîtriser son environnement pour le rendre conforme à sa pensée ».
P. C-M.: On se retrouve ici dans le même schéma que pour celui des femmes battues. La violence psychologique est beaucoup plus subtile, plus perfide. La première fois que je reçois une femme qui en est victime, elle me dit toujours la même chose: « Je voudrais comprendre ce que j’ai pu faire pour déclencher cela…. » Elle se croit responsable alors que c’est le partenaire qui l’est.

- Un pervers narcissique ressent-il de la culpabilité lorsqu’il a détruit une vie?
P.C.: Non, jamais. Ni culpabilité, ni souffrance, ni remords. Il niera la souffrance de sa partenaire, lui dira qu’elle se fait passer pour une victime. En revanche, il mettra en scène sa propre pseudo douleur, mais de manière froide. De plus, ce genre d’hommes sont de très mauvais perdants, très procéduriers. C’est un type d’hommes en général très intelligents. Ils ont le plus souvent une bonne situation, des capacités intellectuelles importantes, sont brillants. Plus ils sont intelligents plus ils sont redoutables. Ces hommes ne consultent pas. Ils manipulent tout le monde, y compris les thérapeutes. Face à eux, il faut des professionnels chevronnés.

- Un tel homme peut-il changer?
P.C.: Non. Il changera de partenaire, mais pas de pathologie. Ce n’est pas quelqu’un qui se remet en question.
Nous faisons face ici à deux pathologies associées: une structure perverse et une pathologie narcissique. La femme souffre d’un manque d’amour d’elle-même. Lui aussi est en manque, mais, contrairement à elle, il ne souffre pas. Il prend chez l’autre ce dont il a besoin, se nourrit de l’autre avant de passer à autre chose. Ces hommes s’aiment avec vanité, ils s’expriment à travers la vanité.

- Vous notez d’ailleurs dans le livre « Il n’a rien. Ni la souffrance, ni le souvenir de la souffrance, ni la substance. » Que peut faire une femme face à un tel partenaire?
P.C.: Etre vigilante, et, si elle le peut, partir dès qu’elle sent que quelque chose n’est pas normal. Lorsque le mal est fait, ce sont des femmes brisées que nous recevons en thérapie, souvent au bord du suicide. Il faut très longtemps pour qu’elles se reconstruisent.
P.C.-M.: Ce problème est pris de plus en plus au sérieux. Davantage d’informations circulent sur le sujet. Et désormais, en France, on peut s’appuyer sur une grande avancée politique. La loi du 10 juillet 2010 a été votée et le décret d’application interviendra d’ici l’automne. Cette loi concerne la violence psychologique. Elle a créé le délit de violence psychologique qui a servi de base aux femmes pour qualifier et reconnaître ce qu’elles vivent. Les hommes reconnus coupables encourront les mêmes peines que ceux responsables de violences physiques. Elles pourront aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 75’000 euros d’amende. La France fait ainsi partie des pays européens pionniers en la matière.

Martine Bernier

Site: www.violencespsychologiques.com »
« La manipulation affective dans le couple. Faire face à un pervers narcissique », Pascale Chapaux-Moreli et Pascal Couderc, Editions Albin Michel.

Christophe Abbet: plus qu’un vigneron

4 juillet, 2010

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Pour les besoins de la rubrique qui m’a été confiée dans l’hebdomadaire suisse « Terre et Nature », je retourne dans le milieu du vin, heureusement accompagnée par Eric qui en a une connaissance solide et sûre.

Comme je ne bois pas, je me rends toujours sur ce genre de sujet avec une bonne dose d’humilité.
J’aborde l’homme (ou la femme!), son vécu, le rapport qu’il entretient avec son travail, son domaine.
Je l’écoute sur la partie technique, sur son art, sur ses vins.

J’ai inauguré la rubrique avec un vigneron encaveur Valaisan, Christophe Abbet, réputé pour avoir atteint l’excellence dans son domaine.
Et ce fut une rencontre que je n’oublierai pas.
Il est des hommes qui n’utilisent que des mots choisis, qui ne les gaspillent pas en phrases vaines.
Il en fait partie.
L’homme que j’avais devant moi, et qui souffrait à ce moment-là d’un sérieux problème de dos, est passé par-dessus la douleur et l’inconfort de son état pour m’offrir un entretien magnifique.
Il m’a fait le cadeau de sa confiance.
Le courant est passé comme dans les plus belles interviews.
Il a répondu à mes questions en réfléchissant avec soin à ses réponses, s’est livré, m’a parlé de sa philosophie de vie, de ses bonheurs, de ses tristesses.
Le tout avec ce regard riche et profond dans lequel passe chacune de ses émotions.
J’ai découvert un personnage attachant et généreux, heureux de s’être relancé dans l’aventure de la vie avec sa nouvelle compagne, Carine.
Les voir aussi heureux, tendus vers les mêmes aspirations, m’a touchée.
Et écouter parler le « Magicien de Martigny » a été un moment précieux.

Martine Bernier

L’article intégral consacré à Christophe Abbet et diffusé dans le numéro du 24 juin 2010 de « Terre et Nature » se retrouve sur Paroles de Soie, tandis qu’une présentation courte de ses vins se trouve déjà sur Toutitest.

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