Eux et moi…
5 juillet, 2009Depuis toujours, j’ai avec les autres une relation très particulière. Je ne vais pas la détailler ici, mais j’ai, sur ce plan, beaucoup de chance. Mes relations sont toujours intenses, jamais banales.
Mais ce que je vis depuis que je suis ici est unique.
Il y a, d’un côté, la défaillance de celui que j’aime. Et les événements graves qui gravitent autour du fait qu’il avoue aujourd’hui ne plus savoir s’il a raison ou pas de faire ce qu’il fait. Tout en sachant que notre histoire est loin d’être finie, n’en déplaise à ceux, ou plus justement à celle qui voudrait la voir s’éteindre.
Et puis, il y a ce sentiment profond qui s’est développé entre mes voisins et moi. Il ne s’agit pas, vous l’aurez compris, d’une simple relation de bon voisinage, mais de quelque chose de bien plus fort, d’unique.
Avec chacun d’eux, du plus petit au plus grand, je partage un lien distinct, particulier, riche, puissant. C’est ainsi. Dès qu’ils franchissent le seuil de la maison, ils savent que la conversation que nous aurons ne sera jamais banale.
Ce soir, c’est avec Aurore que j’ai longuement parlé, pendant plusieurs heures. Sa maturité, du haut de ses 13 ans lumineux, me séduit. Dans l’après-midi, avec son papa, Fred, elle a tout fait pour me convaincre de les accompagner à un vide-grenier. Je n’étais pas spécialement enthousiaste. Mais je sais que le temps que je passe avec eux nous est compté. Donc, j’évite les caprices. Nous sommes partis avec les garçons. Et j’ai eu un moment de ravissement en tombant sur un petit bouquin de 1927 consacré aux oeuvres de Rodin. Cinq livres pour un euro symbolique. Et me voici avec des biographies, un petit exemplaire de Proust et ce mini trésor. Le tout assorti d’une édition d’un journal du 21 juin 1900, paru à Paris. Fred jubilait: il valait la peine, le vide-grenier!
Après avoir passé la soirée chez Fred et Bea, je retrouve Vero sur le petit muret, dans la nuit tombante. Elle me dit combien leur entourage, à Stéphane et à elle, est surpris de voir la force du sentiment qui nous unit. Je l’écoute avec émotion. Parce que moi même, en ce moment, je suis perdue. Complètement perdue…
Je ne sais plus où est « chez moi ». Mes racines sont en Alain. Je n’en ai jamais vraiment eu d’autres, constamment en recherche, avec ce sentiment si fort d’être simple passagère sur le bateau Terre. Celui que j’aime est perdu lui aussi. Il me le dit, se sent mal, sent bien qu’il se trompe mais est pris dans un conflit de loyauté insensé, ne sait plus quoi faire. Et moi, j »ai programmé mon retour en Suisse, sans conviction, le coeur brisé, déchiré, massacré.
L’idée de m’éloigner de lui par sa faute, alors qu’il n’a pas l’air plus convaincu que moi, me rend folle de douleur. Et l’idée de me séparer de mon Triangle d’Or m’achève. Jamais je n’avais développé une relation aussi forte et étroite avec des voisins, et jamais je ne m’étais autant attachée en aussi peu de temps. Tous, nous sommes conscients que chaque instant passé ensemble est d’autant plus précieux qu’ils nous sont comptés. Je vis toujours chaque jour comme si c’était le dernier. Là, c’est plus intense encore. L’impression de quitter un bout de ma famille.
Tous ont un rôle particulier dans ma vie. Y compris les enfants. Y compris même Thierry, leur ami avec lequel les conversations sont elles aussi d’une profondeur surprenante. Chacun m’apporte un bout de lui. Personne n’arrive à me consoler de l’absence d’Alain, tous savent que dès qu’il m’annonce sa venue, plus rien d’autre ne compte. Mais ils savent aussi que si je suis encore là aujourd’hui, c’est parce que, une certaine nuit, ils ne m’ont pas lâchée, me tenant à bout de bras, à bout de coeur.
Comment dire… Je les aime, tout bêtement.
Martine Bernier