Archive pour la catégorie 'Vin'

L’église des Jacobins: un début de résurrection

8 décembre, 2010

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J’en avais parlé voici quelques jours: à Poligny, dans le Jura français, l’église des Jacobins a, depuis bien longtemps, une vocation particulière.
Elle ne sert plus à célébrer la messe mais à recevoir les fûts et les barriques de vins de la Coopérative viticole de Poligny.
En allant chercher leur vin, les amateurs entrent dans l’édifice désacralisé…
Le lieu est totalement inattendu, l’église a dû être belle, l’est toujours à sa manière, mais a besoin de travaux pour retrouver sa personnalité.
D’importants travaux, même, puisque la première tranche est estimée à 2,3 millions d’euros.
Bien sûr, l’Etat et les conseils régional et général soutiennent cette rénovation, ce qui n’empêche que la commune doit elle aussi prendre en charge une quote part conséquente.
L’association Les Jacobins, qui a décidé de soutenir la ville, a donc lancé une souscription soutenue par la Fondation du Patrimoine.
Il s’agissait de récolter des fonds pour participer au paiement du portail d’entrée et de la rosace de l’église.
Jeudi dernier, un chèque de 32 600 euros a pu être remis au maire.
Pourquoi Ecriplume aborde-t-il ce sujet?
Parce que cette somme recueillie dépasse les espérances de ceux qui ont lancé la souscription.
Les Polinois d’aujourd’hui sont sensibles au sort de leur église d’hier et se préoccupent de son sort.
Cet attachement à un lieu blessé par le temps a quelque chose de très émouvant…
Une question pourtant: si l’église des Jacobins connaît une résurrection, que vont faire les autorités locales de l’autre église qui, jusqu’ici, servait de cinéma?
Hé oui…

Martine Bernier

http://ecriplume.unblog.fr/2010/11/13/poligny-et-ses-mysteres/

Champagne vieux de deux siècles: ils l’ont goûté!

18 novembre, 2010

La question était sur toutes les lèvres: le champagne âgé de deux siècles environ retrouvé dans une épave au fond de la mer Baltique, était-il encore consommable?
Et bien oui, nous dit une dépêche de l’AP!
Une bouteille de ce qui est présenté comme le plus vieux champagne du monde a été débouchée mercredi en Finlande.
Et non seulement il était buvable mais, paraît-il, il était même particulièrement bon.
Richard Juhlin, l’expert qui y a goûté a estimé qu’il « exhale des notes de girolles, de tilleul, de zestes de citron vert, et de miel, avec un goût de chardonnat… »
Il a souligné l’intensité de l’arôme, totalement différent de tout ce qu’il a pu déguster jusqu’ici.

Si vous avez manqué le début de l’histoire, sachez que 168 bouteilles de champagne des marques Veuve Clicquot et Juglar avaient été remontées de cette épave découverte en juillet près des îles Aland, entre la Suède et la Finlande.
Le Ministre de la Culture des Aland avait précisé que la plupart des bouteilles étaient en bon état.
Dans un premier temps, les plongeurs avaient estimé que les flacons dataient des années 1780, ce qui a été démenti par des experts pensant qu’ils « remontaient au début du XIXe siècle, sans pouvoir déterminer leur millésime exact ».

Au cours de la conférence de presse, l’opération de plongée a été présentée, puis un archéologue a offert deux bouteilles récupérées dans l’épave à Richard Juhlin: l’une de Juglar, marque qui n’existe plus aujourd’hui, et l’autre de Veuve Clicquot.

Une vingtaine de personnes, dont un reporter de l’Associated Press, ont également pu goûter l’une des deux bouteilles.

Le reste de la dépêche nous dit que « Veuve Clicquot a indiqué que des experts ayant analysé les bouchons « ont pu identifier avec une certitude absolue » qu’au moins trois des bouteilles retrouvées étaient des Veuve Clicquot. La maison fondée en 1772 précise qu’une comète figure sur le marquage de bouchons, référence à l’astre qui avait traversé le ciel de la Champagne en 1811 et à qui la rumeur avait attribué « la qualité remarquable » d’une récolte. Lors de la dégustation du Veuve Clicquot mercredi, François Hautekeur, de l’équipe viticulture de Veuve Clicquot, a décelé dans le vénérable breuvage une pointe de café et « un goût très agréable avec des notes florales et de citronnier ». »

Si vous voulez vous offrir l’une de ces bouteilles, il va falloir puiser dans votre bas de laine.
Une partie d’entre elles seront vendues lors d’une vente aux enchères.
D’après Richard Juhlin, leur prix pourrait atteindre plus de 52.000 euros.
Ah oui, quand même…

Martine Bernier

Christophe Abbet: plus qu’un vigneron

4 juillet, 2010

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Pour les besoins de la rubrique qui m’a été confiée dans l’hebdomadaire suisse « Terre et Nature », je retourne dans le milieu du vin, heureusement accompagnée par Eric qui en a une connaissance solide et sûre.

Comme je ne bois pas, je me rends toujours sur ce genre de sujet avec une bonne dose d’humilité.
J’aborde l’homme (ou la femme!), son vécu, le rapport qu’il entretient avec son travail, son domaine.
Je l’écoute sur la partie technique, sur son art, sur ses vins.

J’ai inauguré la rubrique avec un vigneron encaveur Valaisan, Christophe Abbet, réputé pour avoir atteint l’excellence dans son domaine.
Et ce fut une rencontre que je n’oublierai pas.
Il est des hommes qui n’utilisent que des mots choisis, qui ne les gaspillent pas en phrases vaines.
Il en fait partie.
L’homme que j’avais devant moi, et qui souffrait à ce moment-là d’un sérieux problème de dos, est passé par-dessus la douleur et l’inconfort de son état pour m’offrir un entretien magnifique.
Il m’a fait le cadeau de sa confiance.
Le courant est passé comme dans les plus belles interviews.
Il a répondu à mes questions en réfléchissant avec soin à ses réponses, s’est livré, m’a parlé de sa philosophie de vie, de ses bonheurs, de ses tristesses.
Le tout avec ce regard riche et profond dans lequel passe chacune de ses émotions.
J’ai découvert un personnage attachant et généreux, heureux de s’être relancé dans l’aventure de la vie avec sa nouvelle compagne, Carine.
Les voir aussi heureux, tendus vers les mêmes aspirations, m’a touchée.
Et écouter parler le « Magicien de Martigny » a été un moment précieux.

Martine Bernier

L’article intégral consacré à Christophe Abbet et diffusé dans le numéro du 24 juin 2010 de « Terre et Nature » se retrouve sur Paroles de Soie, tandis qu’une présentation courte de ses vins se trouve déjà sur Toutitest.

Champagne Lanson… incursion dans un monde de bulles

23 octobre, 2009

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Or donc, comme dirait je ne sais plus qui, Thierry, qui se révèle être un ami aux multiples facettes, adore me taquiner.
L’un de ses chevaux de bataille favoris est le vin. Connaisseur, il sait les choisir, sait aussi les apprécier.
Et trouve parfaitement incohérente l’idée que l’on puisse écrire sur un sujet aussi respectable sans jamais en avoir bu.
Comme il me chatouillait sur le champagne, nectar parmi les nectars, j’ai décidé de lui dédier le dossier ci-dessous.
Deux mois avant Noël, il peut être d’actualité, et était paru dans un numéro spécial de l’hebdomadaire suisse Terre et Nature.
Pour le réaliser, Eric, à la photo, et moi à la plume nous étions déplacés à Reims où nous avions passé deux jours dans la maison Lanson il y a trois ou quatre ans, chaleureusement reçus par le représentant de la société.
J’avais eu la chance de me voir décerner un prix journalistique qui nous avait valu cette visite.
Difficile de la faire dans de meilleures conditions…

Pour Thierry, donc, incursion au coeur d’un breuvage que l’on peut apprendre à connaître sans forcément en boire…

CHAMPAGNE, « FETES » VOUS PLAISIR !

Hôte incontournable des tables de fêtes, le champagne possède une histoire, un mode de vinification et des rituels qui lui sont propres. Immersion dans un monde de bulles, et visite à l’une des plus anciennes maisons de champagne: la maison Lanson, à Reims.

À Reims, l’accès à la maison Lanson est barré par une grille, élégante mais solide. Rien de plus normal. Le bâtiment se doit d’être bien protégé, lui qui abrite un trésor. Dans ses caves creusées à l’horizontal dans la colline devant laquelle il a été construit, reposent des millions de flacons de champagne.
Dans cette atmosphère naturelle et constante de 11 degrés et d’un taux de 90 % d’hygrométrie, se prépare l’un des vins les plus porteurs de fantasmes. Un nectar dont, ici, tout le monde parle avec un enthousiasme compréhensible puisqu’il fait vivre les quelque 90 employés de la maison.
« Je pensais que, habitant la Champagne, et travaillant dans le champagne, on risquait de s’en lasser, confie Evelyne Goulet, responsable des relations publiques. Mais pas du tout! Chez Lanson, nous dégustons quotidiennement avec les visiteurs, et, le week-end, nous ouvrons du champagne pour recevoir la famille et les amis. Mais cela reste toujours un moment magique. Il est vraiment là pour fêter l’amitié, les bons moments, un voyage… Quand vous êtes dans un bel endroit, une flûte de champagne ajoute encore à la magie. C’est un produit merveilleux. On sait que le champagne est lié au succès, à un examen, à la fête, à une naissance, à la joie, aux fiançailles… Un jeune homme qui veut demander sa fiancée en mariage et qui va la chercher à la gare peut être certain que le moment sera encore plus extraordinaire avec une demi-bouteille de champagne et deux flûtes. Elle en parlera autant que de la bague qu’elle recevra! Le champagne permet de recréer des moments magiques dans le quotidien. C’est un luxe abordable. »

L’âme de la maison

La fidélité des employés de la maison Lanson est étonnante. Beaucoup d’entre eux avouent y travailler depuis vingt-cinq, voire trente ans et plus. « Nous sommes très flattés de travailler pour une maison et un produit aussi prestigieux, reconnaît Mme Goulet. Il y a un attachement de la part du personnel. La maison a une âme. Elle a changé de mains, mais les mêmes personnes sont restées. L’esprit Lanson a été maintenu. »

La route est longue, pour réaliser le précieux produit. Chaque étape de la préparation du champagne est sur exécutée avec minutie. Chez Lanson, lors des vendanges, effectuées à la main, le pressurage ne se fait pas dans la maison-mère, mais à proximité des lieux de récoltes dans des bâtiments appartenant à l’entreprise. Il repose là durant seize heures. Trois cépages sont utilisés pour la conception du champagne: le Chardonnay, le Pinot Noir, et le Pinot Meunier. Le champagne Lanson est fortement marqué par les Pinots noirs et pinot meunier. Les jus sont ensuite répartis dans des cuves de fermentation en inox, représentant un total de treize millions de bouteilles.
Quelques grandes maisons et vignerons indépendants élèvent leurs vins en barriques, conférant à leurs vins une touche boisée plus ou moins discrète. Ce type d’élevage sous bois tend à progresser.

D’une fermentation à l’autre

Chaque village, chaque lieu-dit, chaque cépage est bien séparé afin de préserver les goûts et les arômes propres à chacun. Sous l’action des levures, la fermentation dite alcoolique démarre et le sucre se transforme en alcool et en gaz carbonique. Lorsque les levures désactivées sont tombées dans le fond des cuves, les ouvriers procèdent au soutirage afin de séparer le vin de la lie. Dès décembre, les dégustations commencent en vue des assemblages destinés à l’élaboration des différentes cuvées. À ce stade, le chef de cave choisit de provoquer ou pas une fermentation dite malolactique. Chez Lanson, cette méthode n’est pas pratiquée. Commence ensuite la phase délicate des assemblages au cours de laquelle les cuvées sont conçues, composées de vins issus de différents crus, de différents villages, de différentes années.

Le principe majeur de l’élaboration du champagne peut enfin débuter. Le vin est mis en bouteilles, et une première liqueur, la liqueur de tirage, mélange de sucre et de levures, est ajoutée. Chaque bouteille est fermée par un bouchon creux en plastique et une capsule métallique puis stockée en cave de vieillissement. La seconde fermentation alcoolique peut débuter, l’opération est plus communément appelée « prise de mousse ».

Le délicat remuage

Sept kilomètres de galeries et trois étages de caves modernes accueillent le vin pour une longue période de vieillissement. Dans la nuit de ces souterrains, le vin évolue.
« Au 18e siècle, on vendait le champagne avec son dépôt, car on ne savait pas le retirer, explique Evelyne Goulet. Le fond des verres était alors creux et descendait jusqu’au pied où se déposait ce dépôt. Aujourd’hui, ce dépôt, composé des levures désactivées, se retire juste avant que le vin ne soit vendu. On ne peut pas les entraîner directement dans le bouchon, parce qu’elles adhèrent sur le verre et parce que, si on agite la bouteille, ces particules très légères se mélangent au vin et restent en suspension. On les appelle des voltigeurs. Elles se collent entre elles lorsqu’elles se retrouvent. Donc, plus il y aura de mouvements réguliers et précis, plus les voltigeurs s’agglutinent et se colmatent, et plus il sera facile de les entraîner dans le bouchon. C’est le but de l’opération dite du remuage. Pour le remuage manuel, des supports ont été conçus de façon astucieuse: chaque orifice accueillant une bouteille permet de la tourner de 19 façons différentes. Les remueurs remuent environ 50’000 bouteilles par jour, soit 3 bouteilles à la seconde, dans des conditions difficiles de froid, d’humidité. Depuis 25 ans, il existe des machines, les giropalettes qui tournent les bouteilles en caisse. Manuellement, nous étions limités dans le positionnement des bouteilles. Avec les giropalettes, nous avons 99 positions par programme. La bouteille termine tête en bas. Lanson s’est équipé en 1988 seulement de ce système de remuage automatique. Nos magnums de Noble Cuvée sont encore remués à la main car les bouteilles ont une forme particulière. »

Les dangers des caves

Le travail des ouvriers cavistes présentait des risques, comme en témoigne la présence d’une statue de la Vierge Marie, posée dans une niche, au-dessus d’une galerie. Les ouvriers travaillaient sous sa protection. À l’époque, les bouteilles explosaient facilement, provoquant beaucoup de blessures dans les caves tels que des tendons coupés, ou des yeux touchés. Le vin repose tout d’abord sur son dépôt. En Champagne, si le vin a vécu quinze mois dans les caves, il est permis de le vendre un mois après le remuage. Lanson préfère, de son côté, le conserver plus longtemps, pour lui permettre de vieillir et de se bonifier paisiblement.
Lorsque le dépôt est concentré au niveau du goulot de la bouteille, à l’intérieur du bouchon en plastique, le col de chaque bouteille est plongé dans un bain à -28 °c. Le glaçon ainsi formé est alors expulsé. Une seconde liqueur, la liqueur d’expédition composée de sucre et de vins, est injectée dans la bouteille. Enfin, un bouchon définitif en liège est placé, maintenu par un muselet en acier, cerclage de métal consolidant l’arrimage du bouchon.

L’Alchimiste de Lanson

Les vendanges 2005 sont à peine terminées que, déjà, le breuvage en formation subit ses premières analyses. Des échantillons de Chardonnay et de cépages rouges (Pinot Noir, Pinot Meunier) ainsi que l’assemblage des deux pinots ont déjà été dégustés. Parfums d’agrumes, de banane, de fruits rouges… Jean-Paul Gandon, chef de cave chez Lanson depuis 32 ans, est satisfait de cette prise de contact. Épicurien jusqu’au bout des ongles, cet amoureux des roses, du vin et des repas raffinés est investi d’une mission primordiale. C’est à lui que le champagne Lanson doit sa personnalité. Entouré d’un panel de dégustateurs compétents, il a notamment la responsabilité de la cave, de l’assemblage qui permettra, chaque année, de reproduire le brut dit « sans année ». Ce vin, qui est le plus représentatif de la maison, représente 80 % de la production. Il est élaboré à l’aide des vendanges de réserves stockées chaque année, dont les assemblages permettent de reproduire le goût et le style Lanson prisés par la clientèle.
« La dégustation reste très physique, explique M. Gardon. Comme tout exercice physique, il faut s’entraîner en dégustant souvent. En ce qui concerne les assemblages, il faut les faire dès la fin de la fermentation alcoolique. Je dirais que le plus intéressant au début, est de goûter le raisin. Cette année, je l’ai trouvé très goûteux, savoureux. La chair n’avait pas seulement le goût sucré, mais autre chose, de plus intéressant. Avec ces échantillons de premiers vins, nous sommes dans la continuité. »

Dernières parures

Comme toutes les maisons de Champagne dignes de ce nom, Lanson soigne le moindre détail. L’élégance du produit doit se retrouver jusque dans la forme des flacons, le choix des capsules et la teinte des étiquettes. Si la majeure partie de l’habillage est réalisée mécaniquement, pour certains flacons de prestige, les étiquettes sont posées à la main, uniquement par des femmes. Lorsque les bouteilles, enfin terminées, quittent les bâtiments dans leurs palettes, elles reviennent à leur point de départ, pour être expédiées vers leurs différentes destination. Elles partent de l’endroit exact où, plusieurs années auparavant, le précieux nectar qu’elles contiennent arrivait pour la première fois, sous forme de jus de raisin.

LA PARTICULARITE DE LANSON

La maison Lanson a la particularité d’être une des rares maisons de champagne à ne pas provoquer la fermentation malo-lactique. Ce phénomène se déclenchait autrefois spontanément. Après la fermentation alcoolique, le vin pouvait à nouveau dégager du gaz carbonique sans produire d’alcool. Dans un cellier, ce phénomène était redouté par les vignerons. Ils l’appelaient « la maladie du vin » car il en détériorait le goût.
Tandis que, dans les années 1970, les maisons de Champagne, jusqu’alors familiales, commencent à changer de mains, l’arrivée des scientifiques permet de voir apparaître de nouvelles connaissances.
Les spécialistes découvrent que cette maladie est en fait une dégradation de l’acidité. À une température dépassant 20 degrés, des bactéries contenues dans la lie modifient l’acidité du vin. L’acide malique (malus signifiant « pomme » en latin), apporte des qualités aromatiques et gustatives au vin. Dégradé par les bactéries, cet acide se détériore et devient lactique. Toutes les qualités de fruit s’échappent alors dans les bulles du gaz carbonique. Afin de lutter contre la maladie du vin, ils pratiquent la fermentation malolactique, qui se généralise en champagne. Lanson préfère ne pas l’utiliser, estimant qu’elle modifie le goût du vin.
Toutes les cuveries de l’entreprise sont climatisées pour éliminer les risques d’apparition de la bactérie. Parallèlement, les vins sont gardés plus longtemps en cave, soit deux ans de plus que la durée imposée par les prescriptions légales. L’acidité diminue ainsi avec le temps, mais les qualités essentielles du nectar sont préservées, permettant de proposer des vins de caractère, plus vifs, riches de toute la typicité du fruit.

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UN PASSE MOUVEMENTE

Maîtriser l’effervescence du champagne a été une tâche ardue dans laquelle les moines ont joué un rôle primordial.

La vigne existe en Champagne depuis des siècles. « On a retrouvé de la vigne fossilisée, relève Jacques Dabère, direction d’exportation Lanson Europe. Pendant l’occupation romaine, les Romains en ont arraché. Ainsi, non seulement les soldats buvaient moins et étaient plus performants, mais la population était également obligée de commander son vin à Rome! Par la suite, dans la région, les paysans ont continué à faire du vin. Mais l’activité principale a longtemps été la laine et les légumes. Le vin, lui, était destiné à la consommation locale. »
Pourquoi aussi peu d’engouement pour le vin de Champagne? Parce que celui-ci possédait un défaut redoutable. La première fermentation avait lieu en plein air, permettant au gaz carbonique de s’échapper. Mais, en travaillant, le vin produisait une seconde fermentation au printemps, cette fois en bouteille. Cette effervescence était considérée comme un défaut technique de taille puisque ni les flacons, ni les tonneaux de l’époque ne résistaient à ce phénomène. « Ce sont les moines qui ont trouvé la solution, explique Jacques Dabère. Ces gros propriétaires terriens, dont les monastères représentaient des centres de savoir, ont travaillé sur la maîtrise de cette seconde fermentation sauvage. Ils ont découvert que l’astuce, pour la contrôler, résidait dans l’assemblage. Assembler des raisins venus de différents points de la région a permis d’obtenir une fermentation moins violente. Ils l’ont apaisée. »

Champagne sanglant

Considéré comme une curiosité, ce vin effervescent voit son image se construire au fil des siècles. Sa rareté en fait le préféré des rois de France dont la plupart sont sacrés à Reims. Au début du 18e siècle, la maîtrise de la deuxième fermentation permet au breuvage d’amorcer un virage important. Mais ce n’est qu’au 20ème siècle que le Champagne tel qu’il est connu aujourd’hui gagne ses lettres de noblesse. Les vignerons fournissent alors leur vin à des négociants. Et la toute-puissance du négoce provoque une situation tendue.
« Au début des années 1920 ont eu lieu des émeutes graves à cause de cette situation, déplore Jacques Dabère. L’armée est intervenue, et il y a eu des morts. Finalement, en 1923, un accord a été signé définissant l’aire d’appellation Champagne. Il a marqué le début d’une véritable reconnaissance. À partir de là, le champagne a permis aux gens de gagner leur vie. »
Depuis, le produit n’a plus arrêté de prospérer. De 15 millions de bouteilles vendues en 1900, le champagne est passé à 40 millions peu avant la Deuxième Guerre Mondiale, à 50 millions entre 1960 et 1970, et à 300 millions de nos jours, toutes maisons confondues. Dans ce marché juteux, la maison Lanson vend aujourd’hui 7 millions de bouteilles par an.
« L’image du champagne n’est pas celle d’un vin ou d’un alcool, termine Jacques Dabère. C’est un produit à part entière, qui symbolise un moment d’exception, la volonté de se faire plaisir, et une certaine culture. « 

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DEBOUCHER ET SERVIR

Une bouteille de champagne ne s’ouvre pas comme une bouteille de vin traditionnelle. L’effervescence du vin peut réserver de mauvaises surprises si certaines précautions ne sont pas prises. La première étant, bien sûr, de ne pas secouer la bouteille. Une fois que vous avez ôté le muselet, gardez la main sur le bouchon et évitez de le diriger vers une personne ou des objets précieux. La bouteille contient une pression de 4 à 6 bars, comparable au double de celle qui se trouve dans un robinet. La meilleure façon d’éviter un accident est de pencher votre bouteille à 45 degrés afin d’augmenter la zone de dégazage. Maintenez fermement le bouchon, et tournez la bouteille afin que le bouchon se décolle sans se fendiller. Une fois décollé, il sortira de lui-même du goulot.

Le champagne doit être respecté jusqu’à la dernière seconde. Si vous souhaitez proposer un brut sans année, servez-le à une température de neuf degrés afin qu’il soit consommé à 10 degrés. Si vous lui préférez un vin plus mature, celui-ci doit être servi à la température de la cave dans laquelle il était entreposé. Maintenez-le dans une ambiance comprise entre 11 et 13 degrés.
Pour rafraîchir votre champagne, vous pouvez poser votre bouteille dans un seau rempli d’eau et de glaçons. Il lui faudra une quinzaine de minutes pour se trouver à bonne température. Vous pouvez également coucher la bouteille dans la partie inférieure de votre réfrigérateur où elle atteindra sa température optimale en trois quarts d’heure, à condition bien sur qu’elle soit issue d’une cave fraîche. Attention: ne buvez jamais un champagne glacé, cela perturberait la perception de ses arômes.

Enfin, ne servez pas votre champagne dans une coupe, mais dans une flûte galbée. Pour que celle-ci permette au vin de s’exprimer pleinement, elle doit idéalement avoir la forme d’une tulipe allongée. Et oubliez définitivement la légende expliquant qu’il suffit de d’introduire une petite cuillère à l’envers dans le goulot d’un flacon ouvert pour qu’il se conserve au réfrigérateur…

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LES DIFFERENTS CHAMPAGNES

Pour être satisfait de votre champagne, il faut apprendre à le choisir. Jeune ou vieux, brut ou millésimé: comment s’y retrouver?

Tous les vins de Champagne s’épanouissent dans les caves de leurs élaborateurs, entre 15 mois et 3 ans minimums pour les millésimés, et beaucoup plus longtemps pour les cuvées spéciales. Le temps enrichit les arômes du vin.


- Entre 15 mois et 3 ans, ils sont considérés comme jeunes, et expriment des notes de fleurs blanches, d’agrumes, de fruits frais.


- De 3 à 5 ans, les champagnes sont matures. Les arômes dominants sont alors ceux de fleurs capiteuses, et de fruits mûrs et confits.


- Dès 5 ans, les vins sont dits « de plénitude » et expriment les fleurs séchées et les arômes grillés.

Chaque dénomination (champagne brut, millésimé, rosé, blanc de blancs, cuvée spéciale) propose un vin très différent correspondant à des choix de vinification précis lors des trois étapes clés de sa fabrication :

- L’assemblage va largement déterminer la typicité du vin et sa palette de saveurs. L’assemblage, en Champagne, se pratique à trois niveaux: l’assemblage de crus, l’assemblage de cépages, l’assemblage d’années.
- Le dosage permettra au vinificateur, 
à la fin du vieillissement, d’éliminer le dépôt et d’ajouter un mélange de sucre et de vin. Cette touche, différente selon les vins, va établir une échelle du moins au plus sucré, ultra brut, extra brut, extra dry, sec, demi-sec et doux.
- La maturation,

pour un champagne, peut aller de 15 mois à 5 ans et plus. Avec l’âge, les arômes évoluent, de notes simples à complexes, de notes superficielles à profondes, de notes nettes à fondues.

MILLESIME, CUVEE DE PRESTIGE… QU’EST-CE QUE C’EST?

- Millésimé: lorsque une vendange est remarquable, la décision peut être prise de réaliser un vin millésimé. Un Champagne millésimé sera donc toujours marqué par le caractère de son année.
- Non-millésimé: la tradition champenoise veut que l’on assemble des vins de plusieurs années. Chaque année, une partie de la vendange est mise en réserve, destinée à être utilisée dans les futurs assemblages. Avec ces vins de réserve, l’élaborateur parvient à perpétuer le goût et le style de son Champagne. L’assemblage dit « non-millésimé » est celui où s’exprime le style de chaque maison et de chaque producteur.
- Blancs de blancs : ces vins de Champagne issus uniquement de Chardonnay se caractérisent par leur finesse.
- Blancs de noirs : élaborés uniquement à base de Pinot noir et/ou de Pinot Meunier, ils donnent des vins plus charpentés.
- Les champagnes rosés sont le plus souvent obtenus en assemblant des vins blancs et rouges. Ils peuvent varier du rose tendre au rose profond et leurs goûts, du plus léger au plus charpenté.
- Les cuvées spéciales ou de prestige représentent les perles des maisons de Champagne. L’assemblage est alors un parti pris encore plus affirmé. Pour les réaliser sont utilisés des grands crus, des millésimés, des mono-cépages, des vins à longue maturation, etc.
- Le champagne se décline dans toute une palette de couleurs

allant de l’or pâle à l’or vert, du jaune or à l’ambré, du vieil or à l’or gris. Ces nuances correspondent aux choix d’assemblages et de maturation. Un vin léger est clair, un vin puissant plus foncé. Il prend de la couleur au fur et à mesure de sa maturation.

Quant au prix, un bon champagne peut se trouver dès 30 à 40 francs la bouteille, si vous prenez le temps de chercher, et de suivre les conseils de bons cavistes. Pour les épicuriens fortunés certaines grandes cuvées de prestige, issues de Maisons renommées, se vendent plus de 600 francs…

TROIS CEPAGES, TROIS CARACTERES
Trois cépages sont utilisés sur l’appellation : le Chardonnay, cépage blanc, apporte de la finesse, de l’élégance et de la fraîcheur au vin. Le Pinot noir, cépage noir aux arômes de fruits rouges, amène de la richesse et de la puissance. Le pinot Meunier, autre cépage noir, se caractérise par sa souplesse dans les assemblages, il apporte une touche fruitée et permet de lier les qualités dissemblables du Chardonnay et du Pinot noir.

VINS TRANQUILLES DE CHAMPAGNE
La Champagne viticole se divise en cinq régions ayant chacune un encépagement et des conditions naturelles propres : la Montagne de Reims, la Vallée de la Marne, la Côte des Blancs, la Côte de Sézanne et la vallée de l’Aube. Il existe trois appellations en Champagne: le Champagne, les Coteaux champenois, et le Rosé-des-riceys.
Tous les vins de Champagne ne sont pas pétillants. Il existe un petit volume de vins blancs et rouges dits « tranquilles », vinifiés sous l’appellation Coteaux Champenois. La qualité de ces vins est extrêmement variable, mais quelques producteurs de renom, sur les meilleurs terroirs, produisent des vins rouges d’excellente facture. Par ailleurs, au sud de l’appellation, un vin rosé issu de pinot noir, capable de vieillir 5 à 10 ans, est élaboré. Ce vin rare appelé Rosé-des-Riceys, est considéré comme étant l’un des meilleurs rosés de France. Doté d’un cahier des charges sévères, il n’est pas produit systématiquement chaque année. La vigne ne se conduit pas n’importe comment, en Champagne. Les règles de cultures et d’élaboration y sont strictes, depuis la conduite de la vigne jusqu’à la vendange, le pressurage, etc.

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BIEN LIRE UNE ETIQUETTE

L’étiquette apporte les indications suivantes:

- L’appellation Champagne.
- La marque ou le nom de l’élaborateur
- Le dosage : brut, sec, demi-sec…
- Les particularités : Blanc de Blancs, Blanc de Noirs, rosés, millésimé, cuvée spéciale.

La contre-étiquette, elle, donnera d’autres informations telles que les cépages entrant dans l’assemblage, la maturation, la description des arômes et des suggestions d’accords avec les mets.
Trois types de maisons se partagent le marché: les maisons de négoce, les Caves Coopératives et les récoltants indépendants. L’étiquette de champagne porte souvent, en petits caractères, un code généralement composé de deux lettres. Il indique qui a mis le vin en bouteille.
Ainsi :
- N-M veut dire Négociant Manipulateur (qui achète le raisin et le vinifie dans ses caves)
- R-M: Récoltant-Manipulant (vigneron vinifiant sa propre récolte dans ses caves)
- RC: Récoltant-Coopérateur (vigneron membre d’une coopérative dont il vend le vin sous son nom)
- CM: Coopérative de Manipulation (coopérative qui produit et élève son vin dans ses caves à partir du raisin de ses membres)
- SR: Société de Récoltants (association de vignerons indépendants qui produit le champagne à partir de la récolte de ses membres)
- ND: Négociant Distributeur (négociant qui achète du champagne en bouteille et y appose ses propres étiquettes)
- R: Récoltant (vigneron qui fait vinifier ses raisins par un négociant manipulant et récupère son champagne en bouteille)
- MA: Marque d’Acheteur (désigne une marque produite sur commande pour un acheteur, sous sa propre étiquette).

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LES FLACONS

Des repas en tête-à-tête aux grandes fêtes entre amis, le champagne peut être proposé dans des flacons de différentes contenances:

Quart: 18,75 cl
Demie: 37,5 cl
Bouteille: 75 cl
Magnum: 1,5 litre (2 bouteilles)
Jeroboam: 3 litres (4 bouteilles)
Réhoboam 4,5 litres (6 bouteilles)
Mathusalem: 6 litres (8 bouteilles)
Salmanazar 9 litres (12 bouteilles)
Balthazar: 12 litres (16 bouteilles)
Nabuchodonosor 15 litres (20 bouteilles)
Et plus rarement, on rencontre encore:
Salomon 18 litres (24 bouteilles)
Primat 27 litres (36 bouteilles) mais non homologué officiellement

Martine Bernier

PS: Alors, Thierry? Ton verdict?

Du courage dans le vin du domaine Didier Dagueneau

13 février, 2009

Rentrant de quelques jours d’absence, j’ai trouvé une enveloppe venue du Domaine Didier Dagueneau.
J’ai déjà dit combien son départ prématuré avait choqué et profondément attristé tous ceux qui l’ont aimé, en septembre dernier.
Rien n’a changé depuis, la tristesse est toujours là.
En ouvrant l’enveloppe, j’ai découvert une carte de voeux 2009, adressée par toute l’équipe du domaine.
J’ai été touchée par deux choses.
D’abord le fils de Didier, Louis-Benjamin Dagueneau, vigneron lui aussi, qui, avec un courage qu’il faut saluer, a repris le flambeau laissé par son père.
Difficile lorsque l’on sait la personnalité charismatique et le talent qui étaient les siens…

Et puis, les photos qui illustrent la carte.
Il y en a deux, couleur délicatement sépia.
Ils sont tous là, de Susi, l’épouse de Didier, à la fidèle Nathalie, en passant par tous ceux, essentiels, qui aident à faire vivre le domaine.
Il y a les enfants, aussi, beaux à en rendre les anges jaloux.
De ces photos ressort une gravité profonde, un chagrin, très digne, mais que l’on sent bien présent, une volonté tenace de tenir bon.
Chacun connaît l’enjeu, l’importance de sa présence là, au coeur du domaine.
Et tout le monde est là, fidèle au maître du Pully Fumé, au tendre et malicieux rebelle de ce qu’il avait baptisé comme étant « La rue Ernesto Che Guevara »

Je crois que jamais carte de voeux ne m’a autant remuée.

M.B.

Didier Dagueneau, le Maître du Sauvignon

28 janvier, 2009

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La première rencontre avec Didier Dagueneau a eu lieu pour moi en 2004. Un article, une rencontre et un début d’amitié. Le personnage était si riche, si beau, si émouvant. Avec son épouse Suzy et leurs enfants, ils nous ont ouvert les portes de leur maison, nous offrant des moments intenses et doux. Et puis, en septembre 2008, la nouvelle est tombée. Didier s’était tué dans un accident d’ULM. Des mois après, aucun de ses proches ou de ses amis plus lointains n’a encore réussi à digérer la nouvelle. Il nous manque…
Cet article est celui que je lui ai consacré lors de notre première entrevue.

Réputé pour ne pas souvent recevoir dans ses chais de Pouilly-sur-Loire, le vigneron français Didier Dagueneau, référence mondiale en matière de Sauvignon, a fait une exception. Récit d’une visite à un personnage hors du commun.

À Pouilly-sur-Loire (Nièvre) où il habite, aucun panneau n’indique le domaine de Didier Dagueneau, contrairement à ceux de ses collègues viticulteurs. Considéré comme l’un des meilleurs producteurs de Sauvignon de la planète par les spécialistes, l’homme a horreur du tape-à-l’œil. « Ceux qui me cherchent se renseignent auprès de la mairie, lance-t-il, goguenard. Et ils arrivent toujours à me trouver! »
Cheveux longs et barbe fournie, le talentueux vigneron de l’appellation Pouilly-Fumé a la réputation d’avoir du caractère. Il en faut pour avoir créé des vins de réputation internationale, alors qu’il est parti de rien. Malicieux, le maître des lieux a fait poser, bien en vue sur la porte de sa cave, des armoiries un peu particulières. Pas de lettres joliment entrelacées, non. Juste un bras replié, poing en l’air, dont le biceps musclé est tâté par la main droite. Les uns estiment que la sculpture symbolise la force. D’autres y voient un bras d’honneur aux conventions. Le viticulteur, lui, sourit dans sa barbe et ne se prononce pas…

PRECIEUSE ASTEROIDE
À force de persévérance, Didier Dagueneau a acquis, à Pouilly, un peu plus de 12 hectares de parcelles viticoles, toutes cultivées en Sauvignon. Sur la butte de St Andelain, il soigne les ceps fournissant la prestigieuse cuvée Silex, du nom des pierres qui y enrichissent le sol composé d’argile et de calcaire. La parcelle cadastrée »Buisson Renard », très riche en manganèse, donne, elle, une cuvée particulière.
Quelques kilomètres plus loin, sur la parcelle dite « De la Folie », les premiers rangs sont plantés en vigne franche de pied. Une vigne pure, non greffée. Il en élabore une cuvée d’une finesse étonnante, « Astéroïde », produite à quelques centaines d’exemplaires seulement. Commercialisés à 450 euros la bouteille, seuls 150 flacons sont distribués à travers le monde. Le reste de la parcelle donne une cuvée dénommée « Pur-Sang », d’une grande pureté.

EXCELLENCE RECOMPENSEE
Le vigneron de Pouilly vise l’excellence depuis toujours. Il récolte d’ailleurs les lauriers du travail titanesque qu’il fournit sur son domaine: les guides les plus prestigieux multiplient les qualificatifs élogieux pour parler de ses vins. Le « Bettane et Desseauve 2005″ n’hésite pas à écrire, en parlant de lui: « Nous tutoyons ici le sommet absolu de la production mondiale de blanc sec ».
Tout son raisin est éraflé et égrappé avant que les vins ne soient élevés en fûts dans une cave étonnamment parfumée. Toutes les installations sont modernes, performantes, impeccablement entretenues. Sous ses airs nonchalants, Didier Dagueneau est un perfectionniste. La rumeur veut qu’il reçoit rarement, préférant déléguer l’accueil des visiteurs. En fait, l’homme est un travailleur acharné. Aux petits soins pour sa vigne, il lui consacre ses journées, passionné par son travail. Mais lorsqu’il trouve le temps de recevoir les passants, il révèle de lui une facette particulièrement attachante de sa personnalité. Bon vivant, cet hôte généreux a le cœur sur la main, le verbe haut et le rire au bord des lèvres. Père tendre avec ses enfants, il est attentionné avec sa femme, Suzy, et ses amis. Et n’hésite pas à ouvrir une bouteille de la rarissime Astéroïde pour accompagner le repas auquel il convie les nouveaux venus avec lesquels il sympathise.

MULTIPLE CHAMPION
Outre la vigne, Didier Dagueneau cultive une autre passion, qu’il partage avec sa femme: les courses de chiens de traîneaux. Captivé par les récits de Bernard Clavel, de Jack London et de bien d’autres, il s’est lancé dans l’aventure en 1993. Le Québec et le Vercors ont été le berceau de ses premiers pas en compagnie de ses chiens. De fil en aiguille, comme il ne fait jamais les choses à moitié, il a commencé la compétition, raflant au passage les titres de champion de France, d’Europe et du Monde. Il a ensuite créé et organisé une course, « l’Alpirusch », qui se déroule chaque année sur une semaine dans le Vercors.
Aujourd’hui, une trentaine de chiens Alaskans gravitent autour de la maison, choyés par leurs maîtres. Suzy et Didier, après une longue parenthèse due à la naissance de leurs deux fils, vont reprendre la compétition. Pour cela, ils montent actuellement un nouvel attelage qu’ils vont entraîner dans le but d’être compétitif dès l’hiver prochain.

« LE SECRET? LE SAVOIR-FAIRE! »
En attendant de reprendre les chemins de glace, Didier Dagueneau soigne la prochaine récolte dans le même esprit qu’il prépare ses courses: « J’ai longtemps fait du motocross, ce qui a développé mon esprit de compétition. J’aime faire tout le mieux possible. Le vin est pour moi un produit culturel. Il faut qu’il représente un lieu, une culture, un terroir, qu’il ne soit pas aseptisé. Pour cela, il faut la transmission d’un savoir-faire, d’une identité, et ne jamais faire un vin en fonction du goût des gens. Pour moi, c’est le secret. J’essaye bien sûr de produire un vin que les gens vont goûter et aimer. Je ne copie pas ce qui se fait ailleurs, mais je prends le bon partout. Comme j’ai beaucoup voyagé, cela m’a permis de m’ouvrir l’esprit. Et d’en faire profiter mon vin! »

Martine Bernier

Biodynamie: L’avis du scientifique Jean-Philippe Mayor

28 janvier, 2009

Cet article et les deux suivants font partie de la trilogie qui m’a valu de recevoir le Prix Suisse du Champagne Lançon 2005. Honneur dont je ne suis pas encore revenue, sachant que je n’ai jamais bu une goutte de vin de ma vie. Ce prix récompense le meilleur article consacré au vin. Je le partage avec Eric Bernier, qui a été pour beaucoup dans la réalisation du sujet. Hum. Je dirais même que, sans lui, je ne m’y serais pas lancée.

Elle séduit ses adeptes, interpelle le grand public. Mais que pense la communauté scientifique de la biodynamie? Visite au directeur de l’Ecole d’Ingénieurs de Changins, Jean-Philippe Mayor.

D’entrée, Jean-Philippe Mayor, Docteur ès sciences et directeur de l’Ecole d’Ingénieurs de Changins, annonce: « A Changins, nous sommes deux instituts: l’école et la station fédérale, dédiée à la recherche. Notre vision est assez commune. Nous regardons d’un œil intéressé la biodynamie. Notamment parce que notre devoir de scientifiques est d’être curieux! »

Cette précision apportée, le discours s’affine et se précise, très nuancé. Car le sujet de la biodynamie fait partie d’un ensemble complexe de données.
A Changins, depuis 25 – 30 ans, la station a développé le concept de la production intégrée. Celle-ci a pour but d’associer toutes les techniques de production et d’appliquer la plus pertinente au point de vue du respect de l’environnement et de la production, en favorisant les méthodes biologiques. Selon Jean-Philippe Mayor, grâce au développement de la production intégrée, la Suisse figure parmi les pays les plus pointus en matière de respect du sol et de la nature. Plus de 80 % des producteurs suisses appliquent la production intégrée. Afin de mieux comprendre les différences existant entre les différents procédés de production, il est d’ailleurs utile de récapituler les modes utilisés.

La production traditionnelle ou conventionnelle, aujourd’hui peu employée, lutte directement contre les problèmes. L’industrie agrochimique a ainsi développé dès la seconde Guerre Mondiale des molécules synthétiques qui, durant des années, n’ont pas forcément été utilisées à bon escient. « La Suisse a heureusement toujours été très sévère dans le domaine des assortiments chimiques, précise Jean-Philippe Mayor. Il est plus faible qu’ailleurs, et plus restrictif. » Depuis une trentaine d’années, les chercheurs se préoccupent de l’apparition de résistance aux molécules chimiques, et des effets indésirables qu’elles provoquent. Ces recherches permettent aujourd’hui de savoir comment utiliser les produits chimiques en respectant un slogan clair: la bonne molécule, au bon moment, sur la bonne cible. Il en va de même quant à la gestion des sols et de la fumure.

Suite aux recherches effectuées, l’industrie a développé des produits qui s’utilisent en quantité très faibles et de manière ciblée, permettant un temps de rémanence restreint. « C’est ce que nous appelons production intégrée, indique le directeur de l’Ecole d’ingénieurs de Changins. De même, là où l’on peut éviter d’utiliser une molécule, on le fait. Et l’on intègre l’ensemble des outils chimiques et méthodologiques à la production. On notera qu’en Suisse la lutte contre les insectes et les acariens en viticulture se pratique essentiellement par des méthodes biologiques. »

Production biologique: même combat

« La production biologique vise à peu près le même objectif, poursuit-il, à ceci près qu’elle n’utilise pas les produits de synthèse. Mais il ne faut pas perdre de vue que les diverses façons de produire suivent un but identique. Fournir un produit de qualité, en essayant d’avoir l’impact le plus faible sur l’environnement , et ceci dans un cadre économiquement viable pour le producteur, tout en assurant la sécurité du consommateur. Le vin se fait à la vigne. Avec une bonne vendange, nous ferons un bon vin. Au niveau de la production biologique, il y a encore beaucoup de travail pour assurer une constance dans la qualité du produit. A Changins, nous sommes très intéressés à l’approche biologique. Nous avons un vignoble expérimental conduit en culture biologique sur environ un hectare. Nous analysons chaque opération du point de vue de la dépense d’énergie, afin de constater son impact sur l’environnement. Notre question est de savoir comment « manager » un vignoble en production biologique, et qu’est-ce qu’il en coûte économiquement. Tout en sachant également que ce n’est pas parce que l’on fait du bio que l’on respecte forcément plus l’environnement. »

Selon la démarche scientifique traditionnelle, Jean-Philippe Mayor s’interroge sur un point crucial. Est-il préférable d’utiliser une molécule au bon moment, sur la bonne cible, en petite quantité, ou d’effectuer trois ou quatre passages avec brûleurs ou outils aratoires, dépensant davantage d’énergie? Les progrès scientifiques sont tels que, connaissant les cycles des champignons et autres parasites, il suffit de traiter au bon moment pour obtenir un résultat efficace, évitant deux à trois traitements annuels inutiles. N’utilisant pas ces molécules, le bio revient souvent à d’anciennes préparations à base de soufre et de cuivre, dont les effets sur le sol ne sont pas forcément plus inoffensifs qu’une molécule chimique, estime les spécialistes.

Biodynamie en question

Pour ce qui est de la biodynamie, Jean-Philippe Mayor n’est pas négatif. « Je trouve le principe séduisant, car il oblige le producteur à suivre sa vigne de plus près, et à vivre en symbiose avec elle, analyse-t-il. Plus encore que pour les agriculteurs ou viticulteurs bios, car la fenêtre d’intervention est plus courte. De plus, il faut vivre spirituellement la démarche. Et là, il s’agit d’un domaine que je ne connais pas. Nous savons que les facteurs comme les cycles de la lune ou du soleil ont une influence. Les viticulteurs biodynamiques vont respecter toutes ces données. Je ne sais pas si c’est bien ou pas. Mais je me questionne au niveau de la notion philosophique. Des personnes qui n’ont pas été élevées dans cette philosophie précise peuvent-elles faire de la biodynamie cohérente? A cet égard, je suis sceptique quant aux spécialistes de la biodynamie qui viennent sur place dispenser leurs connaissances et philosophie. »

Pour l’instant, Changins maîtrise bien la production intégrée, et apprend à faire de même avec la production biologique. De là à imaginer une recherche sur la biodynamie, il y a un pas que Jean-Philippe Mayor n’est pas prêt à franchir avant quelque temps. Il faut, pour qu’une méthode de culture soit étudiée, qu’elle soit économiquement viable. Changins ne peut pas tout faire, sachant que, pour la biodynamie, les bases scientifiques d’observation font encore défaut. Actuellement, les scientifiques regardent d’un œil intéressé le principe de la biodynamie, et suivent les progrès des producteurs impliqués. N’excluant pas que, dans un avenir plus ou moins lointain, des recherches pourront être consacrées au sujet. En attendant, le phénomène du balancier les préoccupe davantage. « En matière de production, conclut Jean- Philippe Mayor, il fut une époque pendant laquelle on a été trop loin dans l’utilisation chimique. Et on risque aujourd’hui aller trop loin dans l’autre sens. Les coûts de production de la biodynamie sont élevés. A mon avis, il s’agit pour l’instant d’une niche, qui donne des vins différents. Les conditions économiques diront, à long terme, si c’est une mode ou pas. »

Martine Bernier

Biodynamie dans les vignes de Romandie (Raymond Paccot – Philippe Gex – Jaquy et Marion Granges)

28 janvier, 2009


Visite chez trois vignerons romands, disciples débutants ou fervents de la culture biodynamique.

« Dans le canton de Vaud, la production intégrée est pratiquée sur la quasi entièreté du territoire. Il s’agit de la première étape en direction du respect de l’environnement. Il faut reconnaître que les agriculteurs et les vignerons sont les premiers défenseurs de cet environnement puisqu’ils vivent de la terre. »
Philippe Gex, l’homme qui fait cette déclaration n’est pas n’importe qui, dans le monde viticole vaudois. Vigneron réputé, il est, entre autres titres, gouverneur de la Confrérie du Guillon. La production intégrée, il la pratique sur ses terres. Mais qu’en est-il de la biodynamie?
« En Suisse, très peu de personnes font de la culture bio dans les vignes, explique-t-il. Mais, dans le cadre d’Arte Vitis, nous sommes quelques-uns à avoir demandé des renseignements sur la biodynamie. » Arte Vitis regroupe quelques amis vignerons que lie la même passion de la vigne et du vin. Unis par une éthique professionnelle rigoureuse, ils partagent leurs expériences dans le but de révéler les terroirs dans le respect de la tradition viticole vaudoise, et de créer des vins originaux. « Il est clair que l’on ne s’improvise pas vigneron en biodynamie, insiste Philippe Gex. Ceux qui ont débuté ont été coachés. Dans notre pays, il n’est pas recommandé de pratiquer la biodynamie sur des parcelles trop morcelées. Cela limite les possibilités. » Ce qui n’empêche pas Philippe Gex de se lancer, dès cet automne, dans l’aventure en compagnie de son ami et collègue Bernard Cavé. Le Clos du Crosex Grillé (qui se situe sur l’aire d’appellation Aigle Grand Cru), qu’ils ont acquis en commun sera dorénavant cultivé en biodynamie.

A Féchy, le vigneron – œnologue Raymond Paccot a opté depuis 3 ans pour la biodynamie. Il la pratique sur 50% de son domaine, La Colombe, d’une superficie de 10 hectares. Précisant que tout le domaine n’est pas entièrement mécanisable. Il transforme donc ses installations pour permettre de cultiver sa vigne selon les préceptes de la biodynamie, mais avec les moyens modernes actuels. D’entrée, le vaudois l’annonce clairement: il n’est pas anthroposophe, et a choisi ce mode de culture non par philosophie, mais par esprit d’observation. Sa priorité est et reste le vin. Avec plusieurs de ses amis vignerons, il a voyagé en France pour y découvrir les bienfaits de ce mode de culture naturel. Voyant que les vignes se portaient mieux ainsi soignées, il s’est initié à la biodynamie avec le français François Bouchet, l’un des grands connaisseurs en la matière.
Raymond Paccot n’a pas pris l’option Demeter. Une fois encore, il ne vise pas ce label, garant du respect d’un cahier des charges strict édité par l’Association pour la biodynamie, mais la qualité, reconnue officiellement ou non, de son produit. Sa réputation n’est d’ailleurs plus à faire. Ses vins ont séduit les plus fins palais, comme celui de Frédy Girardet, le prestigieux cuisinier.
Pas non plus la moindre trace d’ésotérisme dans sa démarche. Il souhaite plus rationnellement renouer avec le savoir de nos ancêtres, en appliquant à ses cultures les règles de sagesse qui leur permettaient de vivre en osmose avec la nature. Mais il fuit les extrêmes, et ne souhaite pas s’impliquer philosophiquement.
C’est dans cette optique que le vigneron de Féchy ne se sépare jamais de son calendrier des semis, rédigé par Maria Thun. A la manière d’un Messager Boiteux plus fouillé, ce petit ouvrage explique quand et comment intervenir, notamment sur la vigne, en fonction de la position de la lune et des astres. Depuis trois ans qu’il travaille sa vigne en biodynamie, le maître des lieux a déjà pu constater certains changements sur son vin. « Il exprime plus de minéralité, remarque-t-il, ce qui se traduit par davantage de fraîcheur, des arômes plus complexes, tout en nuances. Le travail est donc satisfaisant sur le plan œnologique. De plus, les problèmes rencontrés en cave se raréfient. »
Raymond Paccot le reconnaît: pratiquer la biodynamie demande davantage de temps, même si le fait de ne plus utiliser de produits chimiques représente une économie. Selon les saisons, une série de travaux sont à respecter. Des composts sont préparés, et la vigne est soumise à un nombre important de traitements naturels.

Ces procédés, Jacquy et Marion Granges, de Fully (VS), les connaissent sur le bout des doigts. Dans leur domaine de Beudon, perché entre 740 et 890 mètres auquel le visiteur accède par téléphérique privé ou en suivant un chemin escarpé, ils pratiquent la biodynamie depuis 1993. Sensibles à la philosophie anthroposophique, ils ont tout d’abord travaillé leurs six hectares de vignes en bio, avant de bifurquer. Le savoir de Jacky, ingénieur agronome, allié au savoir-faire de son épouse, qui a suivi un apprentissage d’horticultrice en biodynamie, font merveille. Depuis 1991, ils n’utilisent plus aucun produit de synthèse. Non seulement la vigne et les plantes s’en ressentent, mais, de plus, la faune et la flore témoignent de leur bien-être en présentant une très grande diversification. Beudon ainsi est l’endroit de Suisse le plus riche en papillons. Des oiseaux rares dans nos contrées, comme la pie grièche écorcheur, ont également installé leurs quartiers près de la maison. Tout n’a pourtant pas parfaitement fonctionné dès le départ. Il a fallu l’intervention d’Alex Podolinsky, spécialiste australien de la biodynamie, pour comprendre que les préparations utilisées et leur utilisation n’étaient pas parfaites. Ce qui empêchait les progrès tant désirés. Deux ans plus tard, lorsqu’il est revenu, la vigne était idéale. Depuis, leurs « Vignes dans le Ciel » produit un vin reconnu par le label Demeter. Garant d’une culture respectueuse du sol et de l’environnement.

Martine Bernier

Les traitements

Les soins apportés à la vigne ou aux cultures par le biais de la biodynamie sont presque des mixtures alchimistes, aux yeux des néophytes. A y regarder de plus près, les produits et les quantités utilisés sont proches du principe de l’homéopathie. Parmi les recettes les plus connues du public, la corne de vache creuse accueillant du compost de bouse de vache (et non de cheval!) est la plus marquante. Enterrée à l’équinoxe d’automne, elle est sortie de terre après l’équinoxe de printemps. A raison d’une corne par hectare, elle est utilisée comme fertilisant. Plusieurs sortes de décoctions et de tisanes interviennent également dans les traitements. La décoction de prêle, la tisane d’ortie, la tisane d’osier (aux mêmes propriétés que l’aspirine) en sont quelques exemples.
Le travail purement manuel est lui aussi primordial. En hiver, contrairement à ce que faisaient les vignerons rencontrés avant de devenir adeptes de la biodynamie, la taille commence dès début janvier, et non plus en décembre.

Nicolas Joly: Visite au pape de la biodynamie (La Coulée de Serrant)

28 janvier, 2009

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Vigneron militant et engagé, le français Nicolas Joly parcourt le monde pour défendre les bienfaits de la biodynamie. Considérée par la presse spécialisée comme étant un producteur exceptionnel, son grand cru « La Coulée de Serrant » figure au firmament des grands vins blancs de France. Visite dans son domaine de la Roche aux Moines.

La route est longue, pour arriver jusqu’au réputé Vignoble du Clos de la Coulée de Serrant, propriété de Nicolas Joly surnommé, à travers le monde, « le pape de la biodynamie ». Neuf bonnes heures de route séparent la Suisse romande de son domaine, à Savennières, près d’Angers. Mais le déplacement en vaut la peine. Malgré les sollicitations dont il fait l’objet pour donner des conférences à travers le monde, le maître des lieux accueille ses hôtes avec une chaleureuse disponibilité. D’emblée, ce passionné aborde le sujet de la biodynamie sans détours.
Il se définit lui-même comme anthroposophe, tout en précisant « Je suis lié à ce savoir qui est une formidable connaissance pour l’homme, mais je conserve un certain recul. » Cette philosophie issue de Rudolf Steiner aborde toutes les facettes de la Vie. Bien qu’il s’intéresse à chacune d’entre elles, celle qui occupe essentiellement Nicolas Joly est la biodynamie. Cette méthode de culture exclut toute utilisation d’engrais chimique, acaricide, pesticide, désherbant ou produit chimique de synthèse d’aucune sorte.
 » Lorsque les gens retournent à la biodynamie, explique-t-il, c’est parce qu’ils ont compris que la nature est quelque chose d’organisé, de compliqué. Ils excluent alors les produits chimiques que cette nature est incapable de gérer. La biodynamie nous explique qu’il existe une matrice énergétique autour de la terre. Il s’agit de reconnecter la terre à ce monde énergétique. »
Nicolas Joly est clair: il ne faut pas confondre la biologie – déjà considérée comme un progrès important à ses yeux – et la biodynamie. La seconde utilise des préparations agissant comme catalyseurs d’énergies précises. C’est de ces processus particuliers, de calcaire, de potasse ou d’autres ingrédients, que se nourrit la terre.
Son discours est fouillé, limpide, mais parfois sévère avec l’homme: « L’homme se considère comme un être important, mais ne semble pas comprendre qu’il fait partie d’un tout, assène-t-il. L’UNESCO a affirmé que la biodynamie est l’enseignement le plus adapté pour résoudre les maux de notre époque. L’explication est simple. Une personne qui a la main verte est reliée par le cœur et par la tête à ses plantes. De la même façon, il faut expliquer à l’individu qu’il fait partie de ce monde. L’intellectuel sait, mais ne comprend rien. La biodynamie demande de comprendre le monde. »
Cultiver une vigne en biodynamie ne veut pas dire forcément qu’elle donnera un vin de qualité. En revanche, il sera imprégné des arômes et des goûts typiques à son terroir. Nicolas Joly estime qu’avant d’être bon, un vin doit être vrai, authentique. Il se réfère souvent à Goethe pour expliquer « que chaque acte agricole a un impact sur les maladies de la vigne, sa santé et le goût du raisin. Raison pour laquelle il faut redécouvrir l’immense diversité des plantes qui nous entourent, leurs particularités, leurs gestes. » Le but étant de ne jamais contrarier le travail de la vigne, mais de le soutenir.
Pour le propriétaire du Clos de la Coulée du Serrant, la lutte intégrée n’est pas vraiment un progrès. « Celui qui l’a mise en place a manifesté le désir de faire mieux, analyse-t-il. Mais cela ne marque pas d’amélioration réelle puisque, au lieu d’utiliser 100% de poison, on en utilise 80%. Ce qui est déjà beaucoup trop. Je ne suis pas non plus d’accord avec certaines exigences de Déméter qui n’encouragent pas la pratique de la biodynamie sur des parcelles trop morcelées. Le danger est de pousser trop loin une idée. La biodynamie est une force pour la terre. Il faut la pratiquer le plus possible. »

En France, selon Nicolas Joly, les écoles d’agriculture sont partagées quant au regard qu’elles portent sur la biodynamie. Mais, à l’image de nombreux grands viticulteurs, beaucoup s’ouvrent de plus en plus à cette pratique, comme à la biologie. Pour donner de bonnes bases à ses préceptes, le vigneron spécialiste et quelques-uns de ses collègues ont fondé une association pour une renaissance des Appellations Contrôlées. Ses membres garantissent que leurs produits ne sont pas traités génétiquement. Une charte de qualité permet de passer, en fonction des actes accomplis, figurant dans le document, de une à trois étoiles « vertes », auxquelles vient s’adjoindre la notation habituelle que font les guides des vins. Tous les vignerons ayant adopté cette charte promettent ainsi des vins authentiques et inimitables, le rapport sol / climat ayant partout un aspect différent.

Martine Bernier

La Coulée de Serrant d’hier et d’aujourd’hui
Planté au 12e siècle par des moines Cisterciens, le vignoble de la Coulée de Serrant, aujourd’hui propriété de la famille Joly, n’a jamais eu d’autre vocation que celle de la vigne. L’ancien monastère d’époque existe toujours. Quelques centaines de mètres plus loin, également dans le périmètre de la propriété, a été construit le Château de la Roche aux Moines. Cette forteresse qui veillait sur la Loire présente en contrebas, a connu son heure de gloire en 1214, lorsque le Prince Louis, fils de Philippe Auguste, mis en déroute Jean Sans Terre, roi d’Angleterre. Au 16e siècle, sur ordre du roi, la forteresse a été démantelée lors des guerres de religion pour qu’elle ne devienne pas un bastion protestant. Aujourd’hui, les ruines sont toujours visibles et sont classées, tout comme le monastère. Des souterrains servent encore de chais à l’habitation actuelle, reconstruite deux siècles après la destruction du château. Elle est le siège actuel du prestigieux vignoble, installé, comme le précise son propriétaire, sur un ancien lieu celtique.
Les sept hectares de la Coulée de Serrant, qui figure parmi les meilleurs vins blancs de France, sont cultivés en partie à la main et au cheval, en raison de la raideur des pentes surplombant le fleuve. Louis XI et Louis XIV célébraient déjà ce vin comme un produit rare et unique. Depuis 1985, le vignoble est entièrement cultivé en biodynamie.

Biodynamie: les préceptes fondamentaux

Il est difficile, voire impossible de résumer la biodynamie en quelques lignes. Nicolas Joly estime que seul un sol vivant doté des micro-organismes qui lui sont propres peut donner un vignoble sain et de valeur. Pour lui, quatre associations sont vitales entre la terre et la plante: le minéral et la racine, le liquide et la feuille, la lumière et la fleur, la chaleur et le fruit.
Il faut également tenir compte de l’existence d’une polarité entre la gravité (qui tire vers le bas, par les racines), et la force ascensionnelle (qui tire vers le haut, notamment par la fleur). La biodynamie préconise la prise en compte subtile d’une multitude de paramètres destiné à préserver la santé de la vigne et à rétablir l’équilibre naturel du vignoble.

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